Salut! Ça va?

Éloge de l’Orangerie

2023-12
Emmitouflée pour la première fois de l’automne dans mon écharpe verte, je tousse déjà. Je n’aime pas le froid.

Traversée du jardin, j’observe les gens rêvasser ou se dépêcher. Je me réclame d’un savant mélange des deux : une flâneuse pressée par les horaires du musée.

Fière d’invoquer mon jeune âge pour ne pas payer, j’avance timidement dans le bâtiment. Il fait chaud. Je continue tout droit.

Invitation à la contemplation inscrite sur le mur qui réclame le silence. Je ne suis pas une menace, je suis venue seule. Que le spectacle commence.

Longue salle blanche à la lumière tamisée, les larges panneaux recouvrent tous les murs. Il y a beaucoup de monde devant l’œuvre. Nous sommes ensemble à contempler les nymphéas.

Je fais partie d’un tout, au même titre que ces insolents touristes qui se prennent compulsivement en photo devant le bleu de l’aube. La peinture n’est qu’un support à leur narcissisme. Ils sont laids. Ils contrastent.

Je fais partie d’un tout, au même titre que cet étudiant, si concentré qu’il semble s’endormir.

Il y a trop de lumières de téléphones. Il faudrait que chacun détourne son regard, oublie l’écran, arrête de prendre en photo ce qui jamais ne rendra aussi bien que dans la réalité. Pourtant moi aussi, je me penche et clique sur le bouton de la caméra. Je me trouve des excuses. Je me dégoute.

Je fais partie d’un tout, au même titre que ces amoureux qui rêvent dans les bras l’un de l’autre. Image un peu clichée. Elle est touchante.

Je vais m’assoir.

La jeune tête blonde à ma droite se décale. Elle dessine. Les gens qui dessinent sont intrigants, car ils oublient le temps.

De l’autre côté, une femme dit à son mari de se pousser. Elle est belle, car elle rigole. Elle me regarde d’un œil complice. Je le lui rends.

Puis je me perds. L’image appelle des souvenirs heureux. Une nuit d’été. Des retrouvailles au bord de l’eau. Nous étions beaux sous le saule pleureur et nous ne pleurions pas ce soir-là au clair de lune, comme la musique de Debussy qui tinte dans mes oreilles. Je ne dessine pas, mais pour moi aussi le temps est devenu flou.

Droguée par les couleurs, je me dis que les amas de peinture regardés de trop près ne ressemblent à rien de concret. Nécessité de la distance. Je me lève et regarde l’œuvre depuis plusieurs points de vue. Je fais le tour de la première salle puis de la seconde.

Demi-tour.

L’étudiant est toujours là, mais ne dort pas. Les amoureux ne sont plus enlacés. Maintenant il la regarde contempler. Cercle infini de l’art et de l’amour.

Huit minutes.

Il ne faut parfois pas beaucoup de temps pour vivre une œuvre et se dire qu’elle est enivrante. Mais il faut souvent moins de temps encore pour réaliser que celui qui la regarde est plus fascinant alors.