« L’avenir de l’homme, c'est la femme. Elle est la couleur de son âme. » Louis Aragon, Le fou d’Elsa (1963)
Inspirer des écrivains et des poètes célèbres est un travail difficile, qui n’est pas à la portée de toutes les muses. Après tout, il faut souvent partager avec elles non seulement les affres de la créativité, mais aussi les coups cruels du destin et les tragédies amères de la vie. Certains écrivains ont eu une chance exceptionnelle : face aux muses, ils ont trouvé des femmes sincèrement aimantes, des amies fidèles et des compagnons intrépides, prêtes à les accompagner jusqu’au bout.
Le nom d’Elsa Triolet est familier à tout Français instruit. Écrivain, traductrice talentueuse, muse du poète et romancier Louis Aragon. Cependant, avant de réaliser tout cela, elle était Elia Kagan, la fille d’une pianiste et d’un avocat moscovite, la sœur de Lily Brick. Elle est née cinq ans plus tard que sa célèbre sœur, le 11 septembre 1896 dans une famille juive aisée.
Elia Kagan (son nom de jeune fille) a fréquenté très jeune les milieux intellectuels progressistes de la capitale russe. Sœur cadette de Lili Brick, la femme de Maïakovski, elle est aussi l’amie d’enfance du linguiste Roman Jakobson. Sa beauté, son charme et son intelligence font d’elle une sorte de muse du groupe futuriste. C’est pour elle que Victor Chklovski écrit Zoo, lettres qui ne parlent pas d’amour ou la Troisième Héloïse (1923). Il y inclut quelques textes de la jeune femme. Gorki les remarque et incite alors Elsa à écrire. En octobre 1917, la révolution éclate. La jeune Kagan tentait désespérément de sortir du chaos. Et cette chance s’est présentée à elle. En hiver 1918, elle fait la connaissance du diplomate français André Triolet. Bientôt, ils se marièrent et allèrent sur l’île exotique de Tahiti. Avec le nom de son mari, la fille a pris un nouveau prénom — Elsa. Ce voyage inspire son premier roman écrit en russe : À Tahiti (1926). Deux autres suivent : Fraise des bois (1926) et Camouflage (1928). En 1928, elle rencontre Louis Aragon à Paris.
Fils de Louis Andrieux et de Marguerite Toucas, Louis Aragon est né le 3 octobre 1897 à Neuilly-sur-Seine. Son père est préfet de police et ancien sénateur, mais il ne reconnaîtra jamais son fils naturel.
En 1917 Louis est incorporé et part pour le front où il rencontrera par hasard André Breton. Trois fois enseveli sous les bombes, Aragon survit cependant au conflit et se consacre avec une énergie décuplée à l’écriture, sous toutes ses formes : poétique avec Feu de Joie (1920), romanesque avec Anicet ou le Panorama, roman (1921). Il participe également à la création d’un mouvement artistique d’avant-garde (qu’on appellera le Dadaïsme) puis, à partir de 1924, à la naissance du Surréalisme qu’il sera le premier à théoriser avec Une vague de rêve (1924). Dès lors, sa dimension d’écrivain et de poète ne va cesser de s’accroître, notamment avec Le Paysan de Paris (1926), qui est un des sommets de la prose surréaliste de l’époque. Inscrit au Parti Communiste dès 1927, comme beaucoup de surréalistes (Breton, Éluard), Aragon se sépare peu à peu de ses amis qui refusent de se soumettre à la volonté d’un quelconque groupe et s’engage corps et âme dans la lutte politique.
La rencontre fatidique entre Elsa Triolet et Louis Aragon a eu lieu au café « La Coupole ». À ce moment-là, la première gloire poétique avait déjà atteint Aragon. Avec elle, il a connu une déception amère de l’amour non partagé et a guéri les blessures de l’âme dans les bras d’une autre coquette.
Selon une histoire romantique, la connaissance s’est déroulée de la manière suivante. Elsa prend le temps de s’asseoir à une table avec la compagne du poète qui s’était retiré pour quelques minutes et lui demande sans préambule : « Avoue, couches-tu avec Aragon ? » Après avoir repris conscience de cette audace, la jeune fille répond en toute franchise : « Oui… c’est un bel amant. Mais surtout, j’apprends tant de choses nouvelles avec lui ! C’est quelqu’un de très intéressant ! » Elsa fixe la jeune fille droit dans les yeux et lui dit calmement sur un ton qui ne tolère aucune objection : « Il n’est rien pour toi. Pour moi, il est tout. Va-t’en ! » Aragon, qui était revenu à table, tombe dans les bras d’Elsa et est brûlé d'un baiser chaud en guise de salutations.
Cette histoire dans la meilleure tradition d’Hollywood fera sourire. Les faits suggèrent que le jour de la rencontre, le 6 novembre 1928, Aragon a conduit Elsa à la porte de sa chambre d’hôtel. Et le lendemain matin, ils sont descendus au petit-déjeuner ensemble.
La première personne qui’ils ont rencontrée était Vladimir Maïakovsky. Louis Aragon lui-même se souvient ainsi du jour de la rencontre avec sa future épouse : « Tout a changé pour moi, quand tu es apparue à l’hôtel “Istria”, la rue Campagne-Première. » Le Journal que tient Elsa témoigne d’ailleurs de la fragilité du lien qui les unit dans les premiers temps du couple. Mais dès avril 1929, ils sont tous les deux à Berlin pour voir la sœur d’Elsa, Lili Brick, qui est aussi la compagne de Maïakowsky. « C’était en 1928 à midi. Depuis, Paris sans Elsa n’existe plus pour moi. »
Les premières années de vie commune ont subi le test sévère de la pauvreté. Le travail littéraire n’a pas apporté de revenus à Aragon. Par conséquent, Elsa a commencé à fabriquer des perles — le talent artistique et le sens subtil du style sont utiles. Il y avait des boutons, de petits coquillages, des pois, des fragments de verre et de céramique. Aragon portait personnellement des bijoux dans les magasins parisiens, ce qui les renflouait avec de l’argent décent.
Selon les témoignages des amis, le rôle d’Elsa a été énorme, car elle a réussi à rationaliser la vie du génie d’Aragon, intellectuellement et spirituellement. Elsa vient de le sauver. Leurs amis ont dit que sans elle, il se serait suicidé. Étonnamment, Elsa a trouvé le temps pour sa propre créativité. Maxime Gorki y a d’abord vu le talent littéraire en lisant des essais de voyage sur Tahiti. Pendant dix ans, Elsa à l’insu de son mari a amélioré sa connaissance du français. Elle s'est activement engagée dans les traductions et a beaucoup écrit. Et quand elle a présenté à Aragon son manuscrit en français, il était sincèrement très admiratif. La Seconde Guerre mondiale est devenue un nouveau test de solidité pour le couple. En tant que communiste, Louis a participé au mouvement de la Résistance. Les racines juives d’Elsa rendaient leur situation mortelle. Ils se cachaient de la persécution, ont été arrêtés, mais ont pu miraculeusement s’échapper de la prison. Curieusement, c’est alors qu’Aragon connaît un essor créatif sans précédent. « Aragosha est devenu très célèbre », se souvient Elsa dans une lettre à Lili Brick. Au fil des années, deux romans et plusieurs volumes de poèmes ont été publiés. Les partisans l’honorent et l’aiment, seuls ses poèmes sont lus. Il écrit de mieux en mieux. »
Elsa a immédiatement fasciné Aragon. Elle avait un grand talent féminin pour asservir la volonté des hommes et leur dicter leurs désirs. Elsa a réussi à éloigner son mari de la fascination pour le surréalisme et l’a incliné vers une nouvelle religion — le communisme. Il a même rejoint le parti et a commencé à coopérer avec le journal communiste. De retour d’un séjour en URSS en 1931, Aragon publie Front rouge, poème militant.
Le mariage s’est avéré être un succès, ce qui a surpris leurs amis, et a duré un peu plus de quarante ans. Il était surprenant que deux personnes créatives, écrivains, aient pu coexister paisiblement et tranquillement sur le même territoire et donner au monde des chefs-d’œuvre littéraires.
Il devient simple journaliste à L’Humanité et entame une nouvelle carrière de romancier avec Les Cloches de Bâle (1934) qui raconte l’évolution de plusieurs personnages bourgeois (et notamment des femmes) vers le communisme. Sur le modèle de Balzac et de Zola, Aragon entame alors un grand cycle romanesque qu’il appelle Le Monde réel avec Les Beaux Quartiers (1936), Les Voyageurs de l’Impériale (1939), Aurélien (1944), et enfin Les Communistes (1949-1951) qu’il réécrira entièrement en 1966-67. Mais la « drôle de guerre » et surtout la défaite de juin 40, feront réapparaître une autre facette de l’écrivain, celle du poète, dont la production, à partir de Crève-cœur (1939) marquera toute la période de la Résistance française avec, notamment, Les Yeux d’Elsa (1942), Brocéliande (1942), Le Musée Grévin (1943) et La Diane Française (1944).
« L’écriture, la plus noble conquête de l’homme. Le roman, intermédiaire entre l’homme et la vie ». Cette maxime, extraite des Proverbes d’Elsa, permet de définir le projet littéraire d’Elsa Triolet : l’auteur se veut en prise directe sur son temps. Elle écrit pour ses contemporains et leur pose, clairement, le problème de ce qu’ils vivent aujourd’hui et de ce qu’ils doivent faire pour améliorer leurs lendemains. Il ne s’agit cependant pas d’une littérature de propagande. Elsa Triolet ne renonce à aucun des privilèges de l’Écriture et elle peut aussi bien faire appel au fantastique qu’aux mystères métaphysiques du temps. De l’amour et de la mort. La grande question qu’elle pose est celle du bonheur : chacun de ses personnages est mû par sa recherche douloureuse, impossible. La romancière prêche pourtant l’espoir. Elle affirme que le bonheur est à portée d’homme à condition d’ouvrir les yeux sur le monde et de vouloir le transformer. C’est en ce sens qu’elle est un écrivain militant. Elle affirme d’ailleurs : « Les bons sentiments ne font pas de bons livres, je sais ça par cœur, mais les bons sentiments ne font pas forcément des mauvais livres. »
Dès lors, leurs deux vies sont inséparables. C’est Aragon qui incite Elsa à écrire en français. À la fois compagne et inspiratrice du poète (il écrit pour elle Les Yeux d’Elsa, 1942), membre, comme lui, du Parti communiste, elle entend bâtir son œuvre propre qui constitue cependant une sorte de réponse à celle d’Aragon. Après un long silence, elle publie chez Denoёl son premier roman en français Bonsoir, Thérèse (1938). Son Maïakovski, poète russe (1939) contribue à faire connaître en France l’œuvre de l’écrivain disparu. Durant la guerre, elle prend rang au côté des écrivains résistants et participe à la fondation des Lettres françaises et du Comité national des écrivains. Le Cheval blanc (1943) montre la recherche d’un bonheur insaisissable. Les Amants d’Avignon, parus d’abord clandestinement sous le pseudonyme de Laurent Daniel, en 1943, retranscrivent de façon directe l’expérience de la Résistance. Réuni avec un autre récit, Yvette, publié aussi dans la clandestinité, ils constituent le volume : Le premier accroc coûte deux cents francs qui obtient le prix Goncourt en 1944. Suit alors le cycle de L’Âge de Nylon où l’auteur entend, selon les principes du réalisme socialiste, dépeindre le monde capitaliste : Roses à crédit (1959), Luna Park (1959) et L’Âme (1963). Elle n’oublie cependant pas ses origines russes et traduit un choix de Vers et proses de 1913 à 1930 de Maïkovski (1957). Elle s’attache aussi à traduire le théâtre de Tchékhov, notamment Platonov, encore mal connu en France (1967). On doit également à Elsa Triolet la traduction d’une importante Anthologie de la poésie russe, édition bilingue, parue en 1965 dans les Éditions Seghers. Dans la préface « L’art de traduire », l’auteure partage son avis : « La traduction… Travail pénible, épuisant, irritant, désespérant. Travail enrichissant, nécessaire aux hommes, qui exige de l’abnégation, des scrupules, de l’honnêteté, de la modestie… Et évidemment, du talent. » En 1960, commence la publication des Œuvres croisées d’Aragon et d’Elsa Triolet tandis qu’un an plus tard le poète publie un choix des meilleures pages de sa compagne : Elsa Triolet choisie par Aragon. À La Mise à mort, de celui-ci, Elsa répond en écho par Le Grand Jamais (1965).
Le destin a mesuré à Elsa Triolet 73 ans. L’année de sa mort, en 1970, son dernier livre, le roman Le rossignol se tait à l’aube, a été publié.
Louis Aragon meurt le 24 décembre 1982 à son domicile de la rue de Varenne, dans le 7e arrondissement, veillé par son ami Jean Ristat, exécuteur testamentaire d’Elsa et de Louis. Il est inhumé dans le parc du Moulin de Villeneuve, dans sa propriété de Saint-Arnoult-en-Yvelines, aux côtés d’Elsa.
BIBLIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE
1.Французская поэзия в переводах русских поэтов 10-70-х годов XX века: Сборник. М.: ОАО Издательство «Радуга», 2005.
2.Olivera Ph. Louis Aragon. – Paris: Adpf, 1997. – 75 с.: фот., портр. – На фр. яз.
3.https://fb.ru/post/history/2021/6/28/316783
4.https://openlibrary.org/books/OL19702469M/Louis_Aragon
5.https://www.lalanguefrancaise.com/litterature/louis-aragon
6.https://www.toupie.org/Citations/Aragon.htm
Ci-dessous, quelques poèmes de Louis Aragon qui vous aideront à apprécier son talent
Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux […]
Il n’y a pas d’amour qui ne soit à douleur
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit meurtri
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l’amour de la patrie
Il n’y a pas d’amour qui ne vive de pleurs
Il n’y a pas d’amour heureux
Mais c’est notre amour à tous les deux.
Un beau désordre suit les guerres qui s’achèvent
Les négociateurs y pratiquent le tri
Des peuples des espoirs des terres et des rêves
Et les aventuriers jonglent de la patrie […]
Je ne demande pas le pardon des outrages
La pitié d’une enfance ou Dieu sait quel oubli
Les longs labeurs m’ont fait un homme d’un autre âge
Et j’ai bu le vin noir et j’ai laissé la lie
Mais j’aurai beau savoir comme on dit à merveille
Quelles gens mes amis d’alors sont devenus
Rien ne fera jamais que je prête l’oreille
À ce que dira d’eux qui ne les a connus.
C’est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midi d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes […]
Il y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l’aube première
Il y aura toujours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le passant […]
Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle
Как странно, что однажды
Я уйду, покинув этот мир,
Не высказав всего,
Что было на душе
О счастье, о мгновениях любви
И в жаркий полдень
И в ночной тиши,
Когда лишь отблески луны
В кромешной темноте...
Но будет так всегда!
Сгорая от любви,
Дрожа всем телом
В объятиях друг друга
Встречать рассвет
Впервые суждено Влюбленной паре,
Что жить не может друг без друга
И вечен будет мир
Вода и ветер, все стихии
И будет свет
И не изменится ничто
Лишь сам изменник
И все-таки я обращаюсь
К вам, кто слушает меня
Благодарю за всё
И говорю, что жизнь
Прекрасна была и будет
Пока на свете есть любовь!
Art poétique
Pour mes amis morts en Mai
Et pour eux seuls désormais
Que mes rimes aient le charme
Qu'ont les larmes sur les armes
Et que pour tous les vivants
Qui changent avec le vent
S’y aiguise au nom des morts
L’arme blanche du remords
Mots mariés mots meurtris
Rimes où le crime crie
Elles font au fond du drame
Le double bruit d'eau des rames
Banales comme la pluie
Comme une vitre qui luit
Comme un miroir au passage
La fleur qui meurt au corsage
L’enfant qui joue au cerceau
La lune dans le ruisseau
Le vétiver dans l’armoire
Un parfum dans la mémoire
Rimes rimes où je sens
La rouge chaleur du sang
Rappelez-nous que nous sommes
Féroces comme des hommes
Et quand notre cœur faiblit
Réveillez-nous de l’oubli
Rallumez la lampe éteinte
Que les verres vides tintent
Je chante toujours parmi
Les morts en Mai mes amis
Стихи отныне только им
Понятно было б рифм очарование
Как слезы, падающие в дым
И как для тех, кто жив
И держит нос по ветру
Оттачиваю слово
Как клинок, очистив совесть
От упреков предков
Слова, растерзанные в рифмах, вновь
Кричат и вопиют о зле
Так глубоки и свежи раны, их драмы
Не заглушит шум и весел у реки
Просты как дождь
Как свет в окошке
Как зеркало в пассаже
И сорванный цветок в корсаже
Ребенок, что в серсо играет
И лунный свет в реке
Он небо отражает
И бородач в шкафу
И аромат духов
Вдруг в памяти всплывает
Рифм чувствую
Я алый жар крови
Напомните Вы нам,
Что мы еще мужчины
Как только сердце устает
Окликните и вырвите нас из рутины
И вновь зажгите нам потухшую свечу
Les yeux rencontrés au coin d’un bazar
À quoi rêvaient-ils ces grands yeux bizarres
Ah Paris palpite après qu’il a plu
Plaira-t-il encore autant qu’il a plu
Dans l’eau du ruisseau des bouquets de fleurs
S’en vont effeuillant toutes les couleurs
Je verrai toujours la Chaussée d’Antin
Ses trottoirs de Parme au pied des putains
Les indifférents le soir les voitures
Les voilettes d’ombre et les aventures
On faisait trois pas vers la Trinité
Le temps d’hésiter on s'était quitté
Dans le brouhaha gare Saint-Lazare
Pourquoi pleurent-ils ces yeux de hasard
Ah Paris Paris tu ne chantes pas
Tu tournes la tête et traînes le pas
C’est l’heure du gaz et des imprudences
Les squares sont faits pour les confidences
C’est l’heure du gaz que n’allumes-tu
Que n’allumes-tu Mais Paris s’est tu
Inspirer des écrivains et des poètes célèbres est un travail difficile, qui n’est pas à la portée de toutes les muses. Après tout, il faut souvent partager avec elles non seulement les affres de la créativité, mais aussi les coups cruels du destin et les tragédies amères de la vie. Certains écrivains ont eu une chance exceptionnelle : face aux muses, ils ont trouvé des femmes sincèrement aimantes, des amies fidèles et des compagnons intrépides, prêtes à les accompagner jusqu’au bout.
Le nom d’Elsa Triolet est familier à tout Français instruit. Écrivain, traductrice talentueuse, muse du poète et romancier Louis Aragon. Cependant, avant de réaliser tout cela, elle était Elia Kagan, la fille d’une pianiste et d’un avocat moscovite, la sœur de Lily Brick. Elle est née cinq ans plus tard que sa célèbre sœur, le 11 septembre 1896 dans une famille juive aisée.
Elia Kagan (son nom de jeune fille) a fréquenté très jeune les milieux intellectuels progressistes de la capitale russe. Sœur cadette de Lili Brick, la femme de Maïakovski, elle est aussi l’amie d’enfance du linguiste Roman Jakobson. Sa beauté, son charme et son intelligence font d’elle une sorte de muse du groupe futuriste. C’est pour elle que Victor Chklovski écrit Zoo, lettres qui ne parlent pas d’amour ou la Troisième Héloïse (1923). Il y inclut quelques textes de la jeune femme. Gorki les remarque et incite alors Elsa à écrire. En octobre 1917, la révolution éclate. La jeune Kagan tentait désespérément de sortir du chaos. Et cette chance s’est présentée à elle. En hiver 1918, elle fait la connaissance du diplomate français André Triolet. Bientôt, ils se marièrent et allèrent sur l’île exotique de Tahiti. Avec le nom de son mari, la fille a pris un nouveau prénom — Elsa. Ce voyage inspire son premier roman écrit en russe : À Tahiti (1926). Deux autres suivent : Fraise des bois (1926) et Camouflage (1928). En 1928, elle rencontre Louis Aragon à Paris.
Fils de Louis Andrieux et de Marguerite Toucas, Louis Aragon est né le 3 octobre 1897 à Neuilly-sur-Seine. Son père est préfet de police et ancien sénateur, mais il ne reconnaîtra jamais son fils naturel.
En 1917 Louis est incorporé et part pour le front où il rencontrera par hasard André Breton. Trois fois enseveli sous les bombes, Aragon survit cependant au conflit et se consacre avec une énergie décuplée à l’écriture, sous toutes ses formes : poétique avec Feu de Joie (1920), romanesque avec Anicet ou le Panorama, roman (1921). Il participe également à la création d’un mouvement artistique d’avant-garde (qu’on appellera le Dadaïsme) puis, à partir de 1924, à la naissance du Surréalisme qu’il sera le premier à théoriser avec Une vague de rêve (1924). Dès lors, sa dimension d’écrivain et de poète ne va cesser de s’accroître, notamment avec Le Paysan de Paris (1926), qui est un des sommets de la prose surréaliste de l’époque. Inscrit au Parti Communiste dès 1927, comme beaucoup de surréalistes (Breton, Éluard), Aragon se sépare peu à peu de ses amis qui refusent de se soumettre à la volonté d’un quelconque groupe et s’engage corps et âme dans la lutte politique.
La rencontre fatidique entre Elsa Triolet et Louis Aragon a eu lieu au café « La Coupole ». À ce moment-là, la première gloire poétique avait déjà atteint Aragon. Avec elle, il a connu une déception amère de l’amour non partagé et a guéri les blessures de l’âme dans les bras d’une autre coquette.
Selon une histoire romantique, la connaissance s’est déroulée de la manière suivante. Elsa prend le temps de s’asseoir à une table avec la compagne du poète qui s’était retiré pour quelques minutes et lui demande sans préambule : « Avoue, couches-tu avec Aragon ? » Après avoir repris conscience de cette audace, la jeune fille répond en toute franchise : « Oui… c’est un bel amant. Mais surtout, j’apprends tant de choses nouvelles avec lui ! C’est quelqu’un de très intéressant ! » Elsa fixe la jeune fille droit dans les yeux et lui dit calmement sur un ton qui ne tolère aucune objection : « Il n’est rien pour toi. Pour moi, il est tout. Va-t’en ! » Aragon, qui était revenu à table, tombe dans les bras d’Elsa et est brûlé d'un baiser chaud en guise de salutations.
Cette histoire dans la meilleure tradition d’Hollywood fera sourire. Les faits suggèrent que le jour de la rencontre, le 6 novembre 1928, Aragon a conduit Elsa à la porte de sa chambre d’hôtel. Et le lendemain matin, ils sont descendus au petit-déjeuner ensemble.
La première personne qui’ils ont rencontrée était Vladimir Maïakovsky. Louis Aragon lui-même se souvient ainsi du jour de la rencontre avec sa future épouse : « Tout a changé pour moi, quand tu es apparue à l’hôtel “Istria”, la rue Campagne-Première. » Le Journal que tient Elsa témoigne d’ailleurs de la fragilité du lien qui les unit dans les premiers temps du couple. Mais dès avril 1929, ils sont tous les deux à Berlin pour voir la sœur d’Elsa, Lili Brick, qui est aussi la compagne de Maïakowsky. « C’était en 1928 à midi. Depuis, Paris sans Elsa n’existe plus pour moi. »
Les premières années de vie commune ont subi le test sévère de la pauvreté. Le travail littéraire n’a pas apporté de revenus à Aragon. Par conséquent, Elsa a commencé à fabriquer des perles — le talent artistique et le sens subtil du style sont utiles. Il y avait des boutons, de petits coquillages, des pois, des fragments de verre et de céramique. Aragon portait personnellement des bijoux dans les magasins parisiens, ce qui les renflouait avec de l’argent décent.
Selon les témoignages des amis, le rôle d’Elsa a été énorme, car elle a réussi à rationaliser la vie du génie d’Aragon, intellectuellement et spirituellement. Elsa vient de le sauver. Leurs amis ont dit que sans elle, il se serait suicidé. Étonnamment, Elsa a trouvé le temps pour sa propre créativité. Maxime Gorki y a d’abord vu le talent littéraire en lisant des essais de voyage sur Tahiti. Pendant dix ans, Elsa à l’insu de son mari a amélioré sa connaissance du français. Elle s'est activement engagée dans les traductions et a beaucoup écrit. Et quand elle a présenté à Aragon son manuscrit en français, il était sincèrement très admiratif. La Seconde Guerre mondiale est devenue un nouveau test de solidité pour le couple. En tant que communiste, Louis a participé au mouvement de la Résistance. Les racines juives d’Elsa rendaient leur situation mortelle. Ils se cachaient de la persécution, ont été arrêtés, mais ont pu miraculeusement s’échapper de la prison. Curieusement, c’est alors qu’Aragon connaît un essor créatif sans précédent. « Aragosha est devenu très célèbre », se souvient Elsa dans une lettre à Lili Brick. Au fil des années, deux romans et plusieurs volumes de poèmes ont été publiés. Les partisans l’honorent et l’aiment, seuls ses poèmes sont lus. Il écrit de mieux en mieux. »
Elsa a immédiatement fasciné Aragon. Elle avait un grand talent féminin pour asservir la volonté des hommes et leur dicter leurs désirs. Elsa a réussi à éloigner son mari de la fascination pour le surréalisme et l’a incliné vers une nouvelle religion — le communisme. Il a même rejoint le parti et a commencé à coopérer avec le journal communiste. De retour d’un séjour en URSS en 1931, Aragon publie Front rouge, poème militant.
Le mariage s’est avéré être un succès, ce qui a surpris leurs amis, et a duré un peu plus de quarante ans. Il était surprenant que deux personnes créatives, écrivains, aient pu coexister paisiblement et tranquillement sur le même territoire et donner au monde des chefs-d’œuvre littéraires.
Il devient simple journaliste à L’Humanité et entame une nouvelle carrière de romancier avec Les Cloches de Bâle (1934) qui raconte l’évolution de plusieurs personnages bourgeois (et notamment des femmes) vers le communisme. Sur le modèle de Balzac et de Zola, Aragon entame alors un grand cycle romanesque qu’il appelle Le Monde réel avec Les Beaux Quartiers (1936), Les Voyageurs de l’Impériale (1939), Aurélien (1944), et enfin Les Communistes (1949-1951) qu’il réécrira entièrement en 1966-67. Mais la « drôle de guerre » et surtout la défaite de juin 40, feront réapparaître une autre facette de l’écrivain, celle du poète, dont la production, à partir de Crève-cœur (1939) marquera toute la période de la Résistance française avec, notamment, Les Yeux d’Elsa (1942), Brocéliande (1942), Le Musée Grévin (1943) et La Diane Française (1944).
« L’écriture, la plus noble conquête de l’homme. Le roman, intermédiaire entre l’homme et la vie ». Cette maxime, extraite des Proverbes d’Elsa, permet de définir le projet littéraire d’Elsa Triolet : l’auteur se veut en prise directe sur son temps. Elle écrit pour ses contemporains et leur pose, clairement, le problème de ce qu’ils vivent aujourd’hui et de ce qu’ils doivent faire pour améliorer leurs lendemains. Il ne s’agit cependant pas d’une littérature de propagande. Elsa Triolet ne renonce à aucun des privilèges de l’Écriture et elle peut aussi bien faire appel au fantastique qu’aux mystères métaphysiques du temps. De l’amour et de la mort. La grande question qu’elle pose est celle du bonheur : chacun de ses personnages est mû par sa recherche douloureuse, impossible. La romancière prêche pourtant l’espoir. Elle affirme que le bonheur est à portée d’homme à condition d’ouvrir les yeux sur le monde et de vouloir le transformer. C’est en ce sens qu’elle est un écrivain militant. Elle affirme d’ailleurs : « Les bons sentiments ne font pas de bons livres, je sais ça par cœur, mais les bons sentiments ne font pas forcément des mauvais livres. »
Dès lors, leurs deux vies sont inséparables. C’est Aragon qui incite Elsa à écrire en français. À la fois compagne et inspiratrice du poète (il écrit pour elle Les Yeux d’Elsa, 1942), membre, comme lui, du Parti communiste, elle entend bâtir son œuvre propre qui constitue cependant une sorte de réponse à celle d’Aragon. Après un long silence, elle publie chez Denoёl son premier roman en français Bonsoir, Thérèse (1938). Son Maïakovski, poète russe (1939) contribue à faire connaître en France l’œuvre de l’écrivain disparu. Durant la guerre, elle prend rang au côté des écrivains résistants et participe à la fondation des Lettres françaises et du Comité national des écrivains. Le Cheval blanc (1943) montre la recherche d’un bonheur insaisissable. Les Amants d’Avignon, parus d’abord clandestinement sous le pseudonyme de Laurent Daniel, en 1943, retranscrivent de façon directe l’expérience de la Résistance. Réuni avec un autre récit, Yvette, publié aussi dans la clandestinité, ils constituent le volume : Le premier accroc coûte deux cents francs qui obtient le prix Goncourt en 1944. Suit alors le cycle de L’Âge de Nylon où l’auteur entend, selon les principes du réalisme socialiste, dépeindre le monde capitaliste : Roses à crédit (1959), Luna Park (1959) et L’Âme (1963). Elle n’oublie cependant pas ses origines russes et traduit un choix de Vers et proses de 1913 à 1930 de Maïkovski (1957). Elle s’attache aussi à traduire le théâtre de Tchékhov, notamment Platonov, encore mal connu en France (1967). On doit également à Elsa Triolet la traduction d’une importante Anthologie de la poésie russe, édition bilingue, parue en 1965 dans les Éditions Seghers. Dans la préface « L’art de traduire », l’auteure partage son avis : « La traduction… Travail pénible, épuisant, irritant, désespérant. Travail enrichissant, nécessaire aux hommes, qui exige de l’abnégation, des scrupules, de l’honnêteté, de la modestie… Et évidemment, du talent. » En 1960, commence la publication des Œuvres croisées d’Aragon et d’Elsa Triolet tandis qu’un an plus tard le poète publie un choix des meilleures pages de sa compagne : Elsa Triolet choisie par Aragon. À La Mise à mort, de celui-ci, Elsa répond en écho par Le Grand Jamais (1965).
Le destin a mesuré à Elsa Triolet 73 ans. L’année de sa mort, en 1970, son dernier livre, le roman Le rossignol se tait à l’aube, a été publié.
Louis Aragon meurt le 24 décembre 1982 à son domicile de la rue de Varenne, dans le 7e arrondissement, veillé par son ami Jean Ristat, exécuteur testamentaire d’Elsa et de Louis. Il est inhumé dans le parc du Moulin de Villeneuve, dans sa propriété de Saint-Arnoult-en-Yvelines, aux côtés d’Elsa.
BIBLIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE
1.Французская поэзия в переводах русских поэтов 10-70-х годов XX века: Сборник. М.: ОАО Издательство «Радуга», 2005.
2.Olivera Ph. Louis Aragon. – Paris: Adpf, 1997. – 75 с.: фот., портр. – На фр. яз.
3.https://fb.ru/post/history/2021/6/28/316783
4.https://openlibrary.org/books/OL19702469M/Louis_Aragon
5.https://www.lalanguefrancaise.com/litterature/louis-aragon
6.https://www.toupie.org/Citations/Aragon.htm
Ci-dessous, quelques poèmes de Louis Aragon qui vous aideront à apprécier son talent
Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n’y a pas d’amour heureux […]
Il n’y a pas d’amour qui ne soit à douleur
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit meurtri
Il n’y a pas d’amour dont on ne soit flétri
Et pas plus que de toi l’amour de la patrie
Il n’y a pas d’amour qui ne vive de pleurs
Il n’y a pas d’amour heureux
Mais c’est notre amour à tous les deux.
Louis Aragon, La Diane française, « Il n’y a pas d’amour heureux »
Un beau désordre suit les guerres qui s’achèvent
Les négociateurs y pratiquent le tri
Des peuples des espoirs des terres et des rêves
Et les aventuriers jonglent de la patrie […]
Je ne demande pas le pardon des outrages
La pitié d’une enfance ou Dieu sait quel oubli
Les longs labeurs m’ont fait un homme d’un autre âge
Et j’ai bu le vin noir et j’ai laissé la lie
Mais j’aurai beau savoir comme on dit à merveille
Quelles gens mes amis d’alors sont devenus
Rien ne fera jamais que je prête l’oreille
À ce que dira d’eux qui ne les a connus.
Louis Aragon, Les Yeux et la Mémoire, « On vient de loin »
C’est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midi d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes […]
Il y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l’aube première
Il y aura toujours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le passant […]
Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle
Louis Aragon, Les Yeux et la mémoire, « Que la vie en vaut la peine
Как странно, что однажды
Я уйду, покинув этот мир,
Не высказав всего,
Что было на душе
О счастье, о мгновениях любви
И в жаркий полдень
И в ночной тиши,
Когда лишь отблески луны
В кромешной темноте...
Но будет так всегда!
Сгорая от любви,
Дрожа всем телом
В объятиях друг друга
Встречать рассвет
Впервые суждено Влюбленной паре,
Что жить не может друг без друга
И вечен будет мир
Вода и ветер, все стихии
И будет свет
И не изменится ничто
Лишь сам изменник
И все-таки я обращаюсь
К вам, кто слушает меня
Благодарю за всё
И говорю, что жизнь
Прекрасна была и будет
Пока на свете есть любовь!
Traduction : Lioudmila Sviridova
Art poétique
Pour mes amis morts en Mai
Et pour eux seuls désormais
Que mes rimes aient le charme
Qu'ont les larmes sur les armes
Et que pour tous les vivants
Qui changent avec le vent
S’y aiguise au nom des morts
L’arme blanche du remords
Mots mariés mots meurtris
Rimes où le crime crie
Elles font au fond du drame
Le double bruit d'eau des rames
Banales comme la pluie
Comme une vitre qui luit
Comme un miroir au passage
La fleur qui meurt au corsage
L’enfant qui joue au cerceau
La lune dans le ruisseau
Le vétiver dans l’armoire
Un parfum dans la mémoire
Rimes rimes où je sens
La rouge chaleur du sang
Rappelez-nous que nous sommes
Féroces comme des hommes
Et quand notre cœur faiblit
Réveillez-nous de l’oubli
Rallumez la lampe éteinte
Que les verres vides tintent
Je chante toujours parmi
Les morts en Mai mes amis
En étrange pays dans mon pays lui-même, 1945
Моим друзьям, погибшим в МаеСтихи отныне только им
Понятно было б рифм очарование
Как слезы, падающие в дым
И как для тех, кто жив
И держит нос по ветру
Оттачиваю слово
Как клинок, очистив совесть
От упреков предков
Слова, растерзанные в рифмах, вновь
Кричат и вопиют о зле
Так глубоки и свежи раны, их драмы
Не заглушит шум и весел у реки
Просты как дождь
Как свет в окошке
Как зеркало в пассаже
И сорванный цветок в корсаже
Ребенок, что в серсо играет
И лунный свет в реке
Он небо отражает
И бородач в шкафу
И аромат духов
Вдруг в памяти всплывает
Рифм чувствую
Я алый жар крови
Напомните Вы нам,
Что мы еще мужчины
Как только сердце устает
Окликните и вырвите нас из рутины
И вновь зажгите нам потухшую свечу
Traduction : Lioudmila Sviridova
L’Inconnue du printempsLes yeux rencontrés au coin d’un bazar
À quoi rêvaient-ils ces grands yeux bizarres
Ah Paris palpite après qu’il a plu
Plaira-t-il encore autant qu’il a plu
Dans l’eau du ruisseau des bouquets de fleurs
S’en vont effeuillant toutes les couleurs
Je verrai toujours la Chaussée d’Antin
Ses trottoirs de Parme au pied des putains
Les indifférents le soir les voitures
Les voilettes d’ombre et les aventures
On faisait trois pas vers la Trinité
Le temps d’hésiter on s'était quitté
Dans le brouhaha gare Saint-Lazare
Pourquoi pleurent-ils ces yeux de hasard
Ah Paris Paris tu ne chantes pas
Tu tournes la tête et traînes le pas
C’est l’heure du gaz et des imprudences
Les squares sont faits pour les confidences
C’est l’heure du gaz que n’allumes-tu
Que n’allumes-tu Mais Paris s’est tu
En étrange pays dans mon pays lui-même, 1945