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Zoya Arrignon : « Par nos actions, nous continuons à consolider et à construire les ponts d’amitié entre nos deux grands pays »

2025-01-04 23:55 2024-11
Madame Arrignon, vous êtes Présidente de la Délégation russe de la « Renaissance Française », membre du Conseil d’Administration. Dans notre pays on ne connait pas beaucoup cette association française. On la confond assez souvent avec l’époque de la Renaissance. Pourriez-vous parler de vos activités ?
On nous confond également avec le partie du Président actuel (Renaissance/ RE). Je vous assure tout de suite, nous sommes une association apolitique et n’avons aucun lien avec les parties politiques. Toutefois l’association se trouve sous le patronage de quatre Ministres de la République : des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Défense et de l’Éducation nationale.
La Renaissance Française est la plus ancienne association française de la promotion de la francophonie. Elle a été fondée par Raymond Poincaré en 1915, en pleine guerre 14-18, avec comme objectif de maintenir la francophonie et de protéger la population francophone dans les zones occupées de l’Alsace et de la Moselle. Après la guerre, l’association a élargi son champ d’activité. Elle a pour vocation de promouvoir la culture française, le savoir - faire français et la langue française. Elle fut reconnue d’utilité publique par décret du 14 décembre 1924.
La Renaissance Française est représentée dans chaque région française mais aussi dans le monde entier à travers ses délégations. En France, les délégations œuvrent pour la promotion des traditions et du savoir-faire des régions tandis qu’à l’étranger, les délégations se chargent de promouvoir la langue française, la culture française et le savoir-faire français.
Depuis sa création, l’association a eu, parmi ses présidents d’honneur, d’illustres personnalités telles que Paul Appell, mathématicien, recteur de l’académie de Paris, membre de l’Académie des sciences française et membre d’honneur de l’Académie des sciences de Russie ; Maurice Schumann, homme d’État, héros de la Seconde Guerre mondiale, qui fut « la voix de la France libre » sur les ondes de la BBC, ministre des Affaires étrangères, membre de l’Académie française ; Simone Veil, magistrate et femme politique, ministre de la Santé, présidente du Parlement européen, membre de l’Académie française.
Depuis la disparition de Simone Veil, en 2017, c’est Gabriel de Broglie, membre de l’Académie française, chancelier honoraire de l’Institut de France qui en est le président d’honneur. Il est le descendant de Victor-François de Broglie (1718-1804), général feld-maréchal de Russie (1797).
La Renaissance Française est autorisée, dès sa création, d’accorder des distinctions. Parmi les premiers lauréats figure Vladimir Lazarevski (1897-1953), fondateur de La pensée russe, l’hebdomadaire russe édité en France. En 1928 il a reçu la Médaille des valeurs francophones pour ses traductions d’écrivains russes en français. Parmi les lauréats russes il y a également Madame Jeanne Aroutiounova, Présidente de l’association des enseignants de français en Russie (promotion 2017), Madame Greta Tchesnovitskaya, poète et rédacteur en chef du bimensuel La langue française (promotion 2012), Madame Christine Zeytounian-Beloüs, traducteur littéraire, écrivain, poète (promotion 2013), Chœur Georges Brassens de Moscou (2019) etc.
La Renaissance Française a fondé, à l’occasion de son centième anniversaire, le Prix littéraire de la Renaissance Française. Ce prix couronne « une œuvre écrite en français d’un auteur dont la langue maternelle n’est pas la langue française ». Il est décerné chaque année par un jury constitué d’auteurs de différentes nationalités, parmi lesquels des écrivains dont le français n’est pas la langue maternelle. Depuis l’année dernière, le jury est présidé par Daniel Rondeau, écrivain, journaliste et diplomate, membre de l’Académie française.
La remise de ce prix a lieu à Paris chaque mois de novembre. En 2020, ce prix a été décerné à Katerina Autet, écrivaine d’origine russe pour son premier roman La chute de la maison Whyte (édition Robert Laffont). Mme Autet est native de Moscou et vit actuellement à Paris.
Nous avons également la rose de Centenaire de Renaissance Française qui porte le nom de notre présidente d’honneur, Simone Veil. En 2015, la rose a été créée à notre demande par le rosiériste Orard, créateur de roses à Feyzin (région lyonnaise). Le baptême de cette rose s’est déroulé au jardin de Luxembourg en présence de Pierre-François Veil et à Jean Veil, fils de Simone Veil. Chaque 1er juillet, anniversaire de l’entrée de Simone Veil au Panthéon, la Renaissance Française dépose sur son tombeau un coussin de roses « Simone Veil ». Depuis, ces roses embaument les nombreux jardins et parcs en France et à l’étranger. J’espère qu’un jour, nous pourrons inaugurer le parterre de ces roses en Russie.
Cet été la délégation russe de la « Renaissance Française » s’est présentée parmi les organisateurs du festival «Les Russes a étranger: villes et visages» qui eut lieu du 5 au 7 juillet à Iaroslavl. Pourriez-vous en parler plus en détails ? Qui a eu l’idée de l’organiser ?
Il a été organisé par la Fondation de l’héritage russe à l’étranger (Président : S.E.M. Alexandre Avdeev) et la Maison des Russes à l’étranger Alexandre Soljenitsine dont le Directeur est Victor Moskvine. Ce festival a été créé il y a 3 ans et se déroule partout en Russie, de Moscou à Vladivostok. Cette année, il s’est tenu dans 5 villes : Iaroslavl, Ielets, Khabarovsk, Kirov et Orenbourg.
L’objectif de ce festival est la présentation de l’héritage qu’ont laissé les Russes à l’étranger et leur contribution au développement de la civilisation mondiale. Ce festival offre aux habitants et aux touristes des expositions, des conférences, des concerts et des excursions.
L’une des activités de notre délégation est justement la préservation de la mémoire des Russes et des Français qui ont contribué au rayonnement de nos deux pays. C’est à ce titre, que notre délégation a pris part dans l’organisation de ce festival à Iaroslavl. Nous avons offert deux événements dédiés à deux personnalités natives de Iaroslavl.
Une conférence intitulée « Galia Solovieva-Barbisan : mécène et artiste : Iaroslavl – Paris – Cortina d’Ampezzo – Venise ». Galia Barbisan est née à Iaroslavl et enterrée à Venise, ville natale de son époux. Cette année est le 120ème anniversaire de sa naissance. En 1958, elle a fondé avec Jean-Pierre Girodoux, le prix littéraire Médicis. Elle a été également son mécène. A Iaroslavl, elle est connue grâce au don qu’elle a fait au Musée des Beaux-Arts de Iaroslavl. Dans les années 50 du siècle dernier, elle a offert une belle collection des œuvres de Constantin Korovine. En 2019, le jour de l’annonce du prix Médicis, la délégation russe de la Renaissance Française avait organisé à Paris, une soirée en son hommage. Ce festival était une belle occasion pour nous pour évoquer la mémoire de cette femme remarquable dans sa ville natale.
Un autre évènement que nous avons organisé, c’est un concert dédié aux œuvres de Sergueï Liapounov interprétées par le pianiste Constantin Khatchikian (Moscou), Lauréat de plusieurs prix internationaux. Sergeï Liapounov, pianiste, compositeur, chef d’orchestre, Professeur au Conservatoire de Saint-Pétersbourg est également natif de Iaroslavl. Il a quitté la Russie révolutionnaire en 1923. Il était l’un des fondateurs du Conservatoire russe Rachmaninoff de Paris. Il est enterré au cimetière parisien des Batignolles. A l’occasion de son double anniversaire (100 ans de sa disparition et 165ème anniversaire de sa naissance), nous avons offert ce concert aux habitants de Iaroslavl. En 2017, la délégation russe de La Renaissance Française avait restauré sa sépulture.
Native de Iaroslavl je suis particulièrement sensible à la préservation de la mémoire de mes compatriotes. J’utilise toutes les occasions pour leur rendre hommage en France et en Russie.
Et un peu avant ce festival vous avez participé à un forum international « Vecteur d’Altaï de l’intégration eurasiatique : dans les intérêts du renforcement de l’entente internationale et interreligieuse». Pourriez-vous partager avec nous vos impressions de cet évènement ?
Ce forum s’est tenu du 21 au 23 juin à Gorno-Altaïsk. Il a été organisé par l’Assemblée des peuples d’Eurasie et le gouvernement de la République d’Altaï. Les experts des différents pays (La Chine, la Mongolie, l’Égypte, la Syrie, l’Iran, la Bulgarie, la France, Les Émirats arabes unis, les Républiques de l’Asie Centrale etc.) sont venus pour échanger sur ce thème. J’ai été invitée pour représenter la France et je suis intervenue avec le sujet « La mémoire collective comme le vecteur de renforcement des liens entre les pays ».
L’un des points forts de forum d’Altaï était le dépôt des fleurs au monument aux morts le 22 juin à 4h00 du matin (l’heure de Moscou), l’heure à laquelle l’Allemagne nazie a envahi l’URSS en 1941. Cette émouvante cérémonie était un exemple fort de cette mémoire collective qui unit les peuples.
Pour vous personnellement, que signifient tous ces évènements auxquels vous participez et tous ces projets réalisés par « La Renaissance Française »?
En 2012, déjà membre de l’association, j’ai été sollicitée par le préfet Antoine Guerrier de Dumast, alors président international de La Renaissance Française, pour développer une délégation en Russie. Notre délégation se trouve sous le patronage de l’Ambassadeur de France en Russie et de l’Ambassadeur de Russie en France.
En parallèle de la cérémonie annuelle de remise des distinctions, qui se déroule à Moscou sous la présidence de l’Ambassadeur de France, la délégation russe a organisé de nombreuses manifestations en France et en Russie en hommage aux Français et aux Russes ayant œuvré pour défendre les valeurs portées par notre institution : Pierre Crémont (1784-1846) : compositeur, pianiste virtuose français qui fut engagé par Alexandre 1er pour sa cour à Saint-Pétersbourg comme Maître de chapelle puis devenu Premier violon et Directeur du Théâtre Français de Moscou, Galia Solovieva-Barbisan (1904-1982) : fondatrice et mécène du Prix littéraire Médicis, Konstantin Korovine (1861-1939) : célèbre impressionniste et écrivain, Général Nicolaï Obroutcheff (1830-1904) et Général Raoul Le Mouton de Boisdeffre (1839-1919) : 2 acteurs majeurs de la mise en forme de l’alliance franco-russe, Ivan Bounine (1870-1953) : Prix Nobel de littérature, Sergueï Liapounov (1859-1924) : compositeur et pianiste, un des co-fondateurs du conservatoire Rachmaninov, Anatolï Samonov (1931-2013) : compositeur et pianiste, auteur des « 9 fantaisies musicales pour piano pour la lecture du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry », le Professeur Jean-Pierre Arrignon (1943-2021) : médiéviste français, spécialiste de la Rus’ de Kiev et de la Russie etc.
Parmi les moments les plus marquants de notre délégation étaient les rencontres avec des vétérans russes du célèbre régiment « Normandie-Niemen. J’ai eu la chance de côtoyer deux vétérans russes : Valentin Ogourtsov (1926-2021), mécanicien d’Yves Mourier et de Georges Henry, et Ivan Moltchanov (1918-2016), pilote et doyen des anciens combattants de ce régiment. Nous avons organisé plusieurs rencontres émouvantes avec ces deux vétérans en présence de lycéens russes et français.
Il y a quelques années, j’ai été sollicitée par Frédéric Mourier (petit-fils d’Yves Mourier) pour transmettre des présents à Valentin Ogourtsov, « l’ange gardien de son grand-père ». Depuis, Alexandre (fils de Valentin Ogourtsov) et Fréderic Mourier entretiennent une correspondance régulière. Fréderic espère venir un jour avec sa famille à Iaroslavl. Le devoir de mémoire est très important dans le temps actuel. L’un de nos objectifs forts est le maintien de cette mémoire collective à travers des publications, des émissions, des conférences etc.
En février 2020, par décret du Président Vladimir Poutine, j’ai reçu la Médaille Pouchkine, la plus haute distinction d’État russe dans le domaine culturel, pour la contribution dans le renforcement des liens culturels entre la France et La Russie. En novembre 2022, à l’occasion de 10ème anniversaire de la délégation russe, j’ai reçu la lettre de la Première Dame de France, Madame Brigitte Macron avec ses encouragements « dans la poursuite de notre engagement en faveur de la promotion de la francophonie en Russie et de la préservation de l’amitié qui existe entre le peuple russe et le peuple français ». Ces deux marques d’attention gouvernementale prouvent que nos actions sont bien appréciées par les Présidents de nos deux pays.
Dans le contexte actuel très tendu entre la France et la Russie, nous continuons à œuvrer pour maintenir les relations entre nos deux peuples. En janvier 2024, j’ai fait venir en Russie le pianiste français Hugo Martin. Le jeune virtuose, diplômé du prestigieux Conservatoire d’État de Moscou P.I. Tchaïkovski, a donné deux concerts à Iaroslavl et à Rybinsk. Il a émerveillé les mélomanes russes avec des œuvres d’Alexandre Skriabine et de Maurice Ravel. Nous avons donné à ce projet le nom symbolique « Miroirs » : c’est le nom de cinq pièces pour piano de Maurice Ravel mais c’est aussi les miroirs de deux cultures, de deux écoles musicales – russe et française.
Ensuite, le même concert a été donné au mois de mars, au guichet fermé dans la Maison russe à Paris. La presse a appelé notre projet « le pont musical entre la France et la Russie ».
Quels sont les projets à venir ?
Nous nous préparons à commémorer à Paris le 100ème anniversaire de Sergueï Liapounov, l’un des fondateurs du Conservatoire Rachmaninov à Paris. Le conservatoire qui célèbre également cette année son 100ème anniversaire.
Au moment de notre interview, les relations officielles diplomatiques entre nos deux pays sont malheureusement au plus bas. Pour ceux qui ont consacré leurs vies et leurs carrières au renforcement des liens entre la France et la Russie, la situation actuelle ne peut susciter que regret et désolation. Je suis persuadée que le maintien du dialogue est nécessaire pour construire un avenir commun dont nous sommes tous responsables. C’est d’ailleurs l’un des objectifs forts de notre institution fondée il y a plus de 100 ans par Raymond Poincaré. Par nos actions, nous continuons à consolider et à construire les ponts d’amitié entre nos deux grands pays.
Je vous souhaite du succès dans vos nombreuses activités. Merci pour cette interview !
Site de la délégation russe de la Renaissance Française :