Salut! Ça va?

LES « RUSSES » D’OUTRE-FRONTIÈRE

2025-01-04 22:56 2024-11
Yves GENTILHOMME, neveu d’Ivan Sergueïevitch CHMELIOV

Yves Gentilhomme a vécu à Besançon et il y est mort le 16 août 2016. Il était le neveu d’Ivan Sergueïevitch Chmeliov (1873, Moscou — 1950, Paris). Il vécut à Paris avec sa mère Ioulia Aleksandrovna Koutyrina, poétesse à ses heures et son oncle Ivan qui émigra en France en 1923. Plus tard Yves s’installa à Besançon pour enseigner la linguistique et les mathématiques à l’Université de Franche-Comté ; il y fut le directeur du centre de recherche Tesnière et écrivit de nombreux articles et ouvrages dont un gros livre original sur « L’apprentissage rapide du russe » pour que les mathématiciens puissent lire et comprendre rapidement des articles de leur spécialité envoyés depuis Novossibirsk (Akademgorodok), ville avec laquelle nous avions des échanges universitaires. Dans sa méthode il proposait uniquement la conjugaison de « il », mais ni celle de « je », ni celle de « tu », car ce n’était pas un manuel de conversation….

Yves Gentilhomme était un grand ami de mes parents ; étant petite je l’admirais, car il jouait de la guitare en me chantant des chansons populaires russes et des couplets folkloriques (tchastuchki). Il me lisait parfois, en russe bien sûr, des extraits des œuvres de son oncle et je me souviens bien de certains passages de « Noël » (Rojdestvo) où l’on grillait le cochon pour les fêtes de Noël en Russie tsariste ! (1)

Plus tard à Besançon, il fut contacté par des Moscovites qui lui demandèrent l’autorisation de transférer Ivan Chmeliov du cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois près de Paris où il était enterré… à Moscou, car le vœu le plus cher d’Ivan Chmeliov était de revenir en terre russe. Yves donna l’autorisation et partit avec son épouse Serena à Moscou pour assister à l’inhumation au cimetière du monastère du Don en présence du patriarche Alexis en mai 2000.

De nombreux ouvrages de Chmeliov furent édités à Moscou à partir de cette date, alors qu’Ivan Sergueïevitch était très peu connu et lu en France. (1)

Les souvenirs affluent. J’aimais beaucoup Yves Gentilhomme et je l’appréciais. C’était un pédagogue extraordinaire. Par exemple, il entrait dans l’amphithéâtre où il enseignait les mathématiques modernes à des professeurs de lettres en disant : « Tout ouvrier vient au travail avec ses outils » ; il sortait d’un vieux cartable un vrai « bleu de travail », l’enfilait et retirait du même cartable des craies de toutes les couleurs, une règle et un gros chiffon rouge pour effacer le tableau. L’entrée en matière était faite. Puis il commençait le cours de maths en disant : « Les poules du couvent couvent » ; des explications mathématico-littéraires s’ensuivaient et quand, chez soi, on relisait les notes mathématiques qu’il nous avait distribuées à la fin du cours tout était miraculeusement clair ; merci Yves, grâce à toi j’ai obtenu à l’examen la note de 14 en mathématiques, note que je n’avais jamais pu obtenir à l’école !

Serena Gentilhomme habite non loin de chez moi et garde précieusement dans sa bibliothèque, entièrement construite en bois par Yves d’ailleurs, les œuvres d’I.S. Chmeliov et celles de son mari bien aimé.

Valentine GROSJEAN-ZERBINO (Valentina Andreevna)

Mon père

Andreï Zerbino est né à Taganrog dans une maison de la rue Tchekhov ; cette maison a été détruite, mais celle de Tchekhov est toujours là ! À l’époque une tante de Tchekhov avait offert à un membre de ma famille un livre de Tchekhov signé de sa main, mais où est ce livre maintenant ? Mon père a quitté Taganrog à l’âge de 14 ans. En fait, il s’est retrouvé dans les bataillons de l’armée blanche malgré l’interdiction de son père qui lui disait d’aller à l’école et n’a jamais pu revenir à la maison. Ensuite il a échoué à Istanbul, trouvant un travail de nuit et dormant sous les ponts ; je me souviens lorsqu’il se querellait avec ma mère elle lui disait « Tais-toi, sinon tu vas te retrouver à dormir sous les ponts » ! Puis il a émigré en Bulgarie et y a passé son baccalauréat. Il est arrivé en France en 1930, a travaillé comme ouvrier dans la papeterie de Novillars près de Besançon en attendant ses papiers officiels. Une fois intégré, il a obtenu une bourse pour 3 ans d’étude à l’université de Besançon et a choisi la chimie comme tous ses amis émigrés : Potchekaiev, le cosaque Constantin, diadia Pavel et d’autres….. les amis de Papa ! Tous sont devenus ingénieurs, mon père aussi. La chimie a été choisie, car on obtenait son diplôme d’ingénieur chimiste au bout de 3 ans d’études. Dans les archives de Novillars il y a la liste des Russes émigrés.

Je suis allée à Taganrog en septembre 2019… Quelle émotion ! L’université m’a accueillie afin que je donne des cours de français et fasse des exposés sur « l’emploi des articles de la langue française ». La section d’histoire de l’université m’a demandé de faire une présentation en russe de l’histoire de ma famille. Je l’ai faite avec plaisir et je leur ai parlé entre autres du pogrom qui a eu lieu dans les années 1930 contre les Russes d’origine grecque qui vivaient autour de la mer d’Azov ; toute ma famille a péri sauf mon père qui était en France et un de ses frères Ivan qui faisait ses études de médecine à Perm. Ivan a eu un fils, Dimitri Zerbino, mon cher cousin germain, mort en décembre 2023. Paix à son âme ! Dimitri était médecin, académicien, professeur d’anatomie et de pathologie.

Pogrom contre les Russo-Grecs ?

Zerbino est un nom de famille typiquement génois. Au Camposanto di Genova il y a d’ailleurs une belle tombe avec le nom Zerbino… Est-ce un ancêtre ? Au cours des siècles, des marins quittaient Gênes, s’installaient en Grèce et devenaient Grecs ; certains de ces Grecs naviguaient jusqu’à la mer Noire et la mer d’Azov et y installaient des comptoirs marchands, épousaient de jeunes femmes russes ; ils étaient Russo-Grecs ainsi que les membres de notre famille ; ils aimaient vivre en Russie, mais Staline en a décidé autrement.

Le cousin de mon père (mon parrain) s’appelait d’ailleurs Kharlampi Sofianopoulos. Il quitta le pays juste avant le pogrom, car on lui avait préparé un visa pour son départ en Italie où il devait, à Milan, représenter l’URSS en participant à un concours de chant. Après l’émigration il chercha mon père et le retrouva, avec bien du mal, grâce à des annonces publiées dans des revues françaises éditées pour les Russes émigrés. Ensuite, il épousa une belle Suissesse, travailla comme ouvrier et… perdit sa belle voix.

Sa mère qui était 100 % grecque ne fut pas « supprimée », mais renvoyée en Grèce d’où elle rejoignit son fils et mon père en France ; elle racontait ce qu’elle avait vu et vécu toujours à voix basse de peur d’être entendue, la malheureuse ! Et moi je demandais alors à maman : « Pourquoi tiotia Mouma (tante Maria) chuchote quand elle parle à papa dans la cuisine » ; et maman répondait : « Je t’expliquerai quand tu seras plus grande ». C’est ainsi que ma famille apprit ce qui s’était passé dans la ville de Taganrog en 1930. Mon cousin Dimitri Zerbino a cherché et a retrouvé dans les archives moscovites des documents avec la liste des noms d’habitants de Taganrog à « supprimer ».

Les Génois installèrent des « colonies » dans la zone d’Azov dès le XIIIe siècle ! (2). Dans les rapports de l’époque, il était dit que le Don débordait 2 fois par an, en avril et en septembre ; c’est ce que j’ai découvert en me promenant avec un guide dans la zone cosaque de la région de Rostov-sur-le-Don ; j’ai mentionné ce fait dans la petite vidéo que j’ai réalisée en 2020 sur ce voyage au pays de mes ancêtres : « Fin d’été à Taganrog », collection « la Russie inconnue » sur YouTube.

Ma mère Natalia Aleksandrovna Petrova

Mes parents habitaient à Besançon ; pour faire mes études de russe, je partis à Paris et vécus chez mes grands-parents PETROFF (PETROV). Grand-père : Alexandre PETROV, grand-mère Sofia. Grand-père termina l’École de la Marine navale de Saint-Pétersbourg, devint ingénieur et partit travailler au port d’Odessa en 1918.

L’armée blanche se retrouve là ; grand-père aide à l’embarquement des soldats et des civils qui iront se réfugier à Istanbul d’abord, puis en Bulgarie. Ma mère qui avait 4 ans se souvient qu’un marin l’a prise dans ses bras et transportée sur un bateau, sa mère Sofia était là aussi, mais pas son père : « Le capitaine quitte le port le dernier ! » : en février, grand-père fuit Odessa sur un radeau avec 2 collègues, car il n’y a plus de bateau. Un navire turc les recueillera. Un des collègues aura le pied gelé et sera amputé ; grand-père, lui, se plaignait souvent de douleurs aux doigts de pieds. En Bulgarie, grâce à la Croix rouge, il retrouve son épouse Sofia et répare des moulins en circulant dans les montagnes sur un âne afin de gagner sa vie. En 1926, la France propose aux diplômés russes réfugiés en Bulgarie de venir en France avec un bon salaire d’ouvrier. Toute la famille se retrouve à Ugine, où il y a encore maintenant l’usine métallurgique où travailla grand-père. Plus tard il trouvera du travail à Paris, chez Dassault ; on y avait besoin de bons mathématiciens (grand-père a toujours eu du mal à bien parler le français, mais était un as en mathématiques !).

Grand-père laissa un frère à Saint-Pétersbourg, Nicolas. Ils correspondirent jusqu’en 1929, puis plus rien. Ce frère avait-il des descendants ? Oui, un petit-fils Vladimir. Vladimir Petrov sachant que grand-père avait émigré en France eut l’idée de chercher son nom dans la liste des noms du cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois. Bingo ! Grand-père et Sofia sont enterrés là. Il y a 10 ans, en février, Vladimir et son beau-fils arrivent à Paris, vont en taxi au cimetière, suspendent sur la croix de la tombe d’Alexandre Petrov un sac plastique avec lettre et photos pour les éventuels descendants et rentrent à Saint-Pétersbourg en passant devant la Tour Eiffel… Ils ne parlent ni le français ni l’anglais ! En juin, le directeur du cimetière découvre la missive, téléphone à ma sœur qui fleurit souvent la tombe et en août notre cousin germain Vladimir « débarque » avec sa femme Lena à l’aéroport de Paris Charles de Gaulle.

La boucle est bouclée.

(1)« Noël russe », éd. bilingue, traduit par François Lenoir, Paris, éditions l’Inventaire, 2000, 61 p.
(2) Voir l’article de Rudy Mahut : « Le marbre génois de Marly-le-Roi, et la reconstitution de la colonie de Tana », Mahut, 2020. ET : Alti della Società Ligure de Storia Patria, 2021, LXI À propos de cet article : Il m’a été transmis par Daniel qui habite à Marly-le-Roi et qui a fait ses études de Russe avec moi à l’École des Langues orientales de Paris. En 1965 l’école organise un voyage en URSS et nous partons tous, pour la première fois de notre vie, découvrir ce pays, objet de nos études. Au retour, nous nous perdons de vue. Lors de sa retraite, Daniel décide de me retrouver. Peut-être que je vis encore à Besançon ? L’Université de Besançon qu’il contacte lui dit avoir un professeur de russe qui s’appelle Valentine Grosjean-Zerbino… Bingo. Et depuis nous nous écrivons. Bientôt nous allons nous rencontrer à Paris après 60 ans… Pour le moment nous échangeons des photos : une d’autrefois et deux de maintenant.