Salut! Ça va?

« Chroniques de la Volga »

2025-01-04 21:57 2024-11
Dans le monde francophone de notre vaste pays, la Russie, nous, les enseignants de français, sommes tous unis par les mêmes passions, les mêmes aspirations et les mêmes problèmes. Nous réalisons ensemble des projets francophones malgré de larges espaces qui nous séparent. Nous nous soutenons, nous nous inspirons et partageons généreusement des idées qui rendent la vie francophone en Russie plus intéressante et fructueuse. Cette solidarité entre les professeurs de français perdure à travers des hauts et des bas que traverse le français langue étrangère dans le cadre du système d’éducation dans notre pays.

Je connais Elena Sidorova depuis 2015, ou nous nous sommes entretenues pour une interview dans notre revue. À l’époque elle était maître de conférence à la chaire « Technologie de constructions mécaniques » à l’Université nationale technique de Donetsk, et nous avons parlé de la francophonie dans le Donbass, du positionnement du français, sa popularité auprès de la jeunesse et la vie culturelle francophone très dynamique.

Aujourd’hui, le credo de la vie d’Elena reste toujours « Vive l’amitié franco-russe ! », elle travaille à Novotcherkassk, à l’Institut franco-russe près de l’Université Polytechnique d'État du Sud de la Russie M.I. Platov. J’admire toujours son dynamisme et son enthousiasme en faveur de la coopération franco-russe.

Au moment où Elena m’a proposé d’organiser dans notre université une projection d’un film documentaire « Chroniques de la Volga » (2021) du réalisateur français Didier Feldman, suivie d’une visioconférence avec l’auteur, j’étais submergée des projets innombrables en cours et du travail quotidien qui ne manque jamais. Mais je savais d’avance qu’il fallait saisir cette occasion unique, car elle promettait une découverte curieuse, une œuvre artistique, un regard français sur l’évènement historique si important pour la Russie.

Il s’agissait d’un film sur l’exploit du peuple soviétique lors de la Seconde Guerre mondiale, son héroïsme dans la bataille de Stalingrad (juillet 1942 — février 1943), le moment tragique qui avait joué un rôle prépondérant dans la défaite des forces nazies en Europe.

Avant de regarder le film avec mes étudiants et avant de rencontre le réalisateur par visioconférence, j’ai regardé le film moi-même d’abord. Ni interviews, ni documents d’archives, seule la voix du narrateur sur les images actuelles en noir et blanc de Volgograd. La voix qui raconte une histoire personnelle. L’histoire qui touche profondément par les réflexions si sensibles et déchirantes pour le cœur russe.

Le cœur qui se bat fort à la mémoire des 27 millions de morts innocents dans cette guerre horrible contre les fascistes. La guerre qui a marqué toutes les familles soviétiques dont l’écho atroce se fait entendre même aujourd’hui.

Beaucoup de questions dans la tête, et le sentiment majeur : la reconnaissance profonde à l’auteur d’avoir réussi à sentir si finement tout le drame du peuple russe ayant vaincu et chassé les forces des nazis de la terre Patrie tout en portant des sacrifices innombrables…

Pour mes étudiants notre entretien avec Didier Feldman a été très enrichissant. Ils ont pu poser leurs questions sur le film, l’histoire de sa création, sur l’œuvre cinématographique du réalisateur en général. Plus tard dans une conversation plus décontractée en russe, ils m’exprimaient leur léger étonnement : mais pourquoi exposer dans le film le déroulement des évènements de la bataille de Stalingrad, les informations que chaque écolier russe connait grâce aux cours d’histoire à l’école ? Je leur répondais : il faut le faire, mes chers, l’histoire est tellement méconnue aujourd’hui, elle est défigurée et manipulée. Alors qu’eux, ces 27 millions de victimes innocentes tombées, avaient juste eu la malchance de vivre au moment dramatique ou le mal est venu sur leurs terres. Comme dit le réalisateur dans son film, « nous sommes nés de leurs victoires et leurs morts »… Il faut en parler encore et encore !

Et les artistes comme Didier Feldman savent trouver des moyens pour toucher les esprits et faire connaitre pour ne pas oublier.

Bonjour Monsieur ! je vous remercie d'avoir consenti à nous accorder cette interview. Pourriez-vous d’abord présenter en bref votre parcours cinématographique ?
Bonjour et merci de m’accueillir dans votre magazine !
C’est un parcours pas très standard ! Dès mon adolescence j’ai eu envie de faire des films, j’ai fait quelques films « expérimentaux » en Super 8, inspirés d’Hans Richter, puis j’ai démarré une carrière dans l’informatique. En 2004 j’ai décidé qu’il fallait faire le pas et qu’il était temps (j’avais 50 ans !) de passer à l’acte. J’ai démarré une activité de réalisateur indépendant pour la réalisation de films institutionnels (principalement pour la SNCF) et quand j’avais le temps et l’argent (!) je réalisais des films personnels.

Qu’est-ce qui vous a inspiré à pour la création des films ?
Beaucoup de choses ! Les Surréalistes quant au début je faisais des films d’animation (Motion Design) et puis tous les Cinéastes qui ne font pas des films narratifs standards, entre autres : Ingmar Bergman, Marguerite Duras, Raymond Depardon, Georges Perec, Fréderic Mitterrand, Andreï Tarkovski. La plupart de mes films mélangent images et textes que j’écris.

Qu’est-ce qui ou qui vous a donné l’idée de créer un film sur la bataille de Stalingrad ?
J’ai été élevé dans une famille pour qui le débarquement anglo-américain en Normandie était sacré. Par hasard j’ai lu Kaputt de Curzio Malaparte, puis les Carnets de Guerre de Vassili Grossman, et ayant pris conscience des incroyables pertes et sacrifices soviétiques, j’ai approfondi ma connaissance du front de l’Est, et il m’est paru évident qu’il fallait rendre hommage aux Soviétiques, les véritables vainqueurs du Nazisme en Europe, que faire un film serait mon devoir de mémoire envers tous ses gens qui se sont sacrifiés ou ont été assassinés. La bataille de Stalingrad fut le pivot de la Seconde Guerre mondiale, le début du déclin nazi, c’est un symbole des sacrifices soviétiques, il m’est paru évident que cette bataille serait le point d’ancrage de mon film.

Quel était votre objectif initial ? A-t-il changé avec le temps ?
Je voulais faire un film qui ne soit pas un documentaire standard avec des interviews, des images d’archives, etc. (quand bien même je l’aurais voulu, je n’avais pas le budget pour), et qui mêlerait la description du Front de l’Est de Barbarossa à Bagration, et celle de la bataille de Stalingrad, avec 2 niveaux de texte — le premier explicatif, descriptif et l’autre émotionnel. Je me suis souvenu du film « Lettre d’amour de Somalie » de Frederic Mitterrand qui avait ce type de schéma dramatique. J’ai donc imaginé un homme ayant une lointaine parenté soviétique (comme moi en quelque sorte, puisque mon arrière-grand-père et mon grand-père paternel sont nés à Nikolaïev) qui retrouverait par hasard les carnets d’une tante éloignée qui aurait vécu à Stalingrad, et qui partirait en pèlerinage à Volgograd. Je me suis donc mis à écrire les « Chroniques de la Volga », en m’appuyant sur différents témoignages trouvés dans mes nombreuses lectures et le texte de l’homme, le narrateur, qui va en pèlerinage à Stalingrad.
Ce travail d’acquisition de connaissance historique m’a pris 3 ans.

Le travail sur le film se déroula comme prévu, sans difficulté spéciale ?
Non rien de spécial, à part les sempiternelles contraintes des autoproductions (j’ai financé le film moi-même), obligeant à faire des choix plus liés aux finances qu’à la création, par exemple j’ai tourné 11 jours et j’aurais voulu rester 8 jours de plus, pour refaire des prises.

Avez-vous fait, vous-mêmes des découvertes historiques, culturelles ou autres lors du tournage et du travail sur le film en général ?
Je n’ai pas fait de découverte à proprement parler, mais lors de ma venue à Volgograd, accueilli par la Fondation Stalingrad (www.stalingrad-fund.ru), j’ai été ému par le fait que toutes les générations de Russes portent en eux le souvenir de la Grande Guerre Patriotique et aussi par le soutien à ma démarche et au projet.

Qui a vu le film le premier ? Comment la présentation s’est passée ?
Ce sont les spectateurs du Xème festival « Flamme Éternelle » en septembre 2020 qui se tenait à Volgograd qui ont vus « Chroniques de la Volga » en premier, le film a reçu « Le grand prix », en pleine période de COVID. Il m’a été impossible d’y aller, mais via l’Ambassade de Russie à Paris, le trophée m’a été remis à Paris en juillet 2021. Puis il a été diffusé en juin 2021 au cinéma parisien d’Art et Essais le Saint André des Arts dans sa programmation « Les découvertes du Saint André des Arts ». La diffusion a duré 10 jours avec une séance par jour à 13H. Après chaque projection j’étais présent pour dialoguer avec les spectateurs. Comme vous pouvez vous en douter le nombre de spectateurs fut faible, environ 80 personnes, qui ont généralement apprécié le film et majoritairement ne connaissaient par l’Histoire du front de l’Est et la dimension des sacrifices soviétiques. Enfin, il a été diffusé une fois, via Internet à la Maison russe des Sciences et de la Culture à Paris. La version française est disponible en V.O.D sur CINE MUTIN (https://www.cinemutins.com/chroniques-de-la-volga), un opérateur de V.O.D sans abonnement.

J’ai trouvé les paroles du narrateur très fortes et bouleversantes, même moi, qui suis Russe et qui connais bien tout le drame du peuple soviétique à cause de cette guerre. J’ai pensé inévitablement qu’il fallait absolument le faire voir aux Français, au public francophone en général ! Comment diffusez-vous le film et quels sont les retours ?
La diffusion des films indépendants qui ne correspondent pas aux « standards » des films et qui plus est sur le Front de l’Est vu du côté Soviétique est très-très-très difficile dans un Occident (et particulièrement en France) où l’histoire de la Seconde Guerre mondiale a été réécrite par les Anglo-américains. J’ai proposé mon film à plusieurs festivals internationaux, mais aucun ne l’a sélectionné.

Le film est généralement apprécié. Pour les spectateurs français, c’est une prise de conscience du rôle prépondérant des Soviétiques dans la victoire contre le nazisme. Du côté russe, les retours sont très émouvants pour moi, car majoritairement les spectateurs russes sont bouleversés par le film et me remercient de l’avoir réalisé. J’ai aussi certaines critiques quant à mes évocations du Stalinisme, pour lesquelles j’ai essayé d’être le plus objectif possible soulignant les points positifs et négatifs du rôle de Staline.

D’une manière générale pour les historiens, la forme trop artistique du film n’est pas un gage de « sérieux », bien que tout ce qui est dit dans le film puisse être vérifié, et que cela a nécessité 3 ans de travail d’acquisition et d’analyse historique.

Qu’est-ce que vous souhaitez à votre film ?
Je souhaiterais qu’il soit diffusé au sein des écoles et des, lycées français. Avant le conflit Russo-Ukrainien c’était déjà compliqué, à l’heure actuelle ça l’est encore plus hélas.

Je souhaite aussi qu’il soit diffusé en Russie pour montrer au peuple russe qu’en Occident certains honorent et se souviennent des sacrifices soviétiques.

Je vous remercie beaucoup de ma part et de la part du peuple russe. Je remercie aussi ma collègue de Novotcherkassk Elena Sidorova qui nous a fait connaitre votre œuvre. Je souhaite aux « Chroniques de Volga » d’être vues et connues le plus largement possible !
Je vous remercie beaucoup pour cette projection, vos retours et cette interview !