La littérature féminine marocaine se nourrit essentiellement de la littérature maghrébine de langue française. Sa naissance date des environs des années 80, il a donc fallu attendre presque 30 ans pour qu’elle voie le jour. Cette littérature, à la fois riche et diversifiée, est entièrement dédiée au combat contre les injustices sociales, elle a permis à la femme, autrefois objet dans les écrits littéraires, de devenir un sujet parlant, qui prend en main son destin. L’objectif de cette contribution est de mener une réflexion approfondie pour dégager les enjeux de l’écriture féminine, autrement dit de voir comment ces femmes écrivaines parviennent d’une part, à transposer le social dans le texte, et d’autre part, à le partager tout en insistant sur ce quotidien qui vacille entre malaise et crainte, espoirs et rêves. Le défi soulevé par ces écrivaines, n’était pas seulement de témoigner de la souffrance qu’elles vivent, mais aussi de créer des débats qui participeront à l’évolution de la société marocaine.
Depuis l’indépendance en 1956, la littérature maghrébine, a connu une évolution d’envergure. La présence de l’écriture féminine au Maghreb est un phénomène jeune et timide, et ce n’est que vers les années quatre-vingt que l’on a commencé à en parler. Parmi les causes du retard des écrits au féminin, on cite : les femmes, autrefois enfermées et prohibées de l’espace public, étaient incapables de prendre la parole publiquement et d’exprimer leurs points de vue. Une telle situation a été à l’origine d’une bataille acharnée d’un grand nombre d’écrivaines dans le but de dénoncer les injustices et de réclamer des droits. Citons à titre d’exemple la déclaration de l’écrivaine marocaine Siham Benchekroun qui, par ces mots, rejette la classification sexuelle de l’écriture qui refuse de lier ses écrits à son identité sexuelle :
« Il serait ridicule, n’est-ce pas, de demander à un homme écrivain, pardonnez ma boutade, l’impact de son sexe dans la gestation de son écriture ? Mais si l’écriture est celle d’une femme, alors cette écriture devient sexuée » [1].
Les écrivaines marocaines d’expression française se sont fortement inspirées de la société et de ses cataclysmes projetés dans le tissu textuel, elles ont aussi permis à la femme de devenir porte-parole de la société prenant en main leur destin. Pour la plupart de ces écrivaines, il s’agit d’un besoin d’expression et d’affirmation qui les motive plus que toute autre chose. Dans ce sens, la transgression de l’écriture n’est qu’un reflet personnalisé de la réalité d’une société en transformation. Ce qui nous met face à une écriture qui évolue parallèlement à la condition de la femme au sein de sa société, tout en faisant du texte écrit, un témoin qui dénonce les injustices, les ségrégations et les souffrances. On ne peut parler de littérature féminine marocaine sans évoquer :
Fatima Mernissi cette sociologue et écrivaine de renommée internationale, connue pour ses écrits sur les questions de genre, l’islam, les femmes et la société. Son ouvrage le plus célèbre est « Le Harem et l’Occident » (1977), dans lequel elle examine les stéréotypes occidentaux sur les harems et l’image de la femme dans la culture orientaliste.
Siham Benchekroun dans son livre « Oser vire » paru en 1999, la narratrice retrace le cheminement d’une femme vers la révolte et l’insurrection
Leila Slimani, cette romancière marocaine-française a remporté le Prix Goncourt en 2016 pour son roman « Chanson douce ». Son œuvre explore souvent des thèmes sociaux et psychologiques, et elle est reconnue pour sa capacité à mettre en lumière les questions de genre, de classe et d’identité.
Leila Bahsaîn écrivaine marocaine contemporaine, elle a publié plusieurs romans, dont « Je suis seule » (2009) et « A l’ombre de ma vie » (2017). Ses œuvres abordent des thèmes tels que la condition des femmes, les relations familiales et les luttes personnelles.
Touria Oulehri, poétesse marocaine est connue pour sa sensibilité lyrique et sa capacité à explorer des thèmes tels que l’amour, la douleur et l’identité. Ses recueils de poésie comprennent « L’Âme du vent » (2008) et « Femme ou je t’attends » (2014).
Leurs œuvres ont joué un rôle crucial dans la redéfinition des rôles et des droits des femmes dans la société marocaine.
À la lecture de la majorité des œuvres marocaines, on se rend compte que le personnage, tout comme l’être humain, se construit par étapes progressives c’est pourquoi ces écrivaines ont réussi à conférer au texte la fonction de s’ouvrir sur ce qui qui va au-delà des rôles et des évidences, tout en invitant le lecteur à y réfléchir profondément.
C’est alors dans les années quatre-vingt que l’on a commencé à donner plus d’importance aux écrits de femmes, où les publications, en langue française, se sont de plus en plus multipliées, favorisant ainsi l’épanouissement d’une littérature dite féminine. Cette littérature a connu un essor considérable, chaque auteure y a apporté sa contribution en participant à sa manière à son progrès. Dans ce sens, l’écriture, en tant que telle, ne se résume pas tout simplement à un outil d’expression, mais est également un moyen qui vise à transmettre un ensemble d’idéologies et de culture de la société selon une conception personnalisée qui prend en compte les soucis et les préoccupations de l’époque de chaque écrivaine. L’écriture est considérée comme un vecteur d’une certaine idéologie propre à l’auteure. Ce qui fait de la question de l’écriture, encore un sujet d’actualité, et qui suscite énormément de questionnements, où les notions d’éclatement et de révolte contre les règles sociales préoccupent les hommes de lettres dans le monde. C’est un sujet qui semble passionner les chercheurs.
Avec du temps et de la maturité intellectuelle, les auteures marocaines se sont imposées grâce à une production littéraire aussi riche que diversifiée. À cet égard, la réappropriation de la langue française a permis aux auteures marocaines, cette fois-ci, d’inscrire leurs propres valeurs culturelles qui se font nettement sentir, affectant non seulement les thèmes et les procédés de l’écriture, mais aussi la langue, qui elle-même était considérée comme un butin de combat contre l’injustice sociale dans une société accordant plus d’espace à l’homme qu’à la femme.
Beaucoup de travaux, études, thèses, séminaires, colloques…etc., ont traité de la question de la réappropriation de la langue française par des auteurs maghrébins tout en insistant sur la part des écrivains féminins ; vu l’intérêt accordé à la femme et particulièrement à l’écriture féminine, il semble intéressant d’approfondir ces recherches. À travers l’écriture, le genre féminin a su se frayer une place importante dans la scène littéraire, qui a été jadis consacrée aux hommes, tout en se forgeant une voix propre à la femme, une voix féminine, pour s’exprimer et exprimer ses problèmes, ses craintes, ses malaises, ses besoins et ses rêves également…etc.
En outre, au Maghreb, l’affirmation de la femme en tant qu’individu et plus encore en tant qu’écrivaine a été et toujours une source de comparaison continue avec l’univers masculin régi par des lois patriarcales, qui pendant des siècles lui ont refusé la parole, sauf dans l’espace privé de sa demeure, en lui léguant la tâche de gardienne de la tradition. Le récit au féminin était, initialement conçu comme « l’art de parler dans la nuit[4] », c’est-à-dire le murmure timide prononcé, en secret, à l’intérieur du foyer, est devenu pour la femme, au fil du temps et au prix de durs combats d’affirmation de soi, une arme pour briser le silence, qui lui a été imposé, et se libérer de l’espace de l’enfermement.
Au fil du temps la prise de la parole est devenue un moyen pour la femme écrivaine de s’affirmer. Son écriture demeure un sujet de querelle et de controverse : certaines nient catégoriquement l’existence de cette écriture, alors que d’autres se sentent fières de faire partie de son émergence, d’où la nécessité de se demander s’il existe vraiment une écriture purement féminine.
En résumé, la littérature marocaine féminine tire ses origines d’un riche héritage culturel, de luttes historiques et de l’émergence de voix diverses qui ont contribué à façonner le paysage littéraire du Maroc contemporain.
Ces écrivaines représentent une diversité de voix et de styles dans la littérature marocaine féminine contemporaine, chacune contribuant à enrichir le paysage littéraire avec ses perspectives uniques.
Notes bibliographiques :
[1]Charles Bonn, Romans féminins de l’immigration d’origine maghrébine en France et en Belgique, Ecarts d’identité N° 105. — 2004.29-36P. [2] Hélène, Cixous, Le rire de la Méduse, Paris, Galilée, 1975, P. 14. [3] S. Benchekroun, « Être une femme, être marocaine, écrire », dans Marc Gontard (dir.), Le récit féminin au Maroc, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p.18 [4] Z. Mezgueldi, « Les voix du récit féminin », dans M. Gontard (dir.), Le récit féminin au Maroc, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 30.
Bibliographie :
Benhaddou, Halima, (1982). Aicha la rebelle, Ed Jeune Afrique, Paris Houari, Leila, (1985). Zeida de nulle part, Ed. L’Harmattan. Paris Elfassi, Nouzha, (1990). Le ressac, Ed. L’Harmattan. Paris Tarabelsi, Bahae, (1995). Une femme tout simplement, Ed. Eddif. Casablanca Benchekroun, Siham. (1999) Oser vire Ed. Eddif. Casablanca