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La langue française eu Benin : statut, histoire et modernité

2024-06
Dans cet article, il s’agira d’aborder l’apparition de la langue française en République du Bénin, ainsi que des facteurs qui ont facilité son installation. Pour ce faire, l’article débutera par l’histoire de l’apparition et de l’installation de la langue française et se terminera par les défis qui s’imposent à cette dernière dans les conditions culturelles, socio-politiques et même géopolitiques d’aujourd’hui. Une attention particulière sera accordée non seulement aux langues locales, mais aussi à la langue anglaise qui, grâce à la mondialisation, occupe une place de plus en plus importante dans la sous-région ouest-africaine.

L’histoire de l’apparition et de l’installation de la langue française en République du Bénin

L’entrée officielle de la langue française dans la vie des Béninois date du XIXe siècle. Plus précisément, le français fait officiellement son apparition au Bénin grâce à l’ouverture de la première école française catholique en 1865 dans le royaume de Hogbonou, l’actuelle capitale historique de la République du Bénin reconnue sous le nom de Porto-Novo [Sotindjo, 2008, p. 227[1]]. L’ouverture de cette première école est due aux missionnaires catholiques français, qui avaient pour objectif d’une part de donner la possibilité aux natifs d’apprendre la langue de Molière, ce qui potentiellement facilitera la communication avec les colonisateurs français, et d’autre part de former l’Élite future du pays.

Il faut quand même reconnaitre que cette stratégie condamnera tout le pays à adopter la langue française comme langue officielle. Le français ainsi est donc devenu la langue primordiale pour le fonctionnement de l’administration, des écoles, et même de l’église catholique qui a pour vocation de prêcher la parole de Dieu sans aucune discrimination linguistique. La conséquence directe de la popularisation du français dans le pays est qu’une grande majorité des habitants se retrouve marginalisée à cause de la non-connaissance de ce dernier (le français). L’enseignement dans les premières écoles se fait exclusivement en français, ce qui doublement complique l’apprentissage. La majorité de la population se retrouve alors à apprendre une langue étrangère qui est totalement différente des autres langues traditionnelles du pays.

Alors que la langue française était présentée comme la langue de l’élite dirigeante, il est devenu beaucoup plus difficile de passer par les portes de l’école, afin de pouvoir s’assurer un avenir radieux tout en se mettant au service de l’État. Ceux qui y parvenaient étaient considérés comme des victorieux du « couvant scolaire » puisque leur avenir était déjà presque écrit dans les structures de l’État à cette époque-là. Ainsi, connaitre le français était devenu prestigieux. Il est important de notifier que l’école coloniale avait pour vocation non seulement de produire les futurs cadres du pays, mais aussi de former les futurs enseignants, afin d’accélérer la propagation de la langue française sur toute l’étendue du territoire.

Cette politique de propagation de la langue de Molière a été payante (c’est-à-dire avantageuse pour l’église catholique et surtout pour l’élite française) puisque vers les années soixante, c’est-à-dire vers la fin « officielle » de la colonisation, une place importante a été occupée par la langue française en défaveur des langues nationales. En réalité, plusieurs messages par exemple dans les domaines importants comme ceux de la santé, de l’agriculture, étaient véhiculés en français. Ce qui ne permettait pas à la population de bien s’informer puisque la majorité des habitants ne maîtrisait pas le français. Ce qui amène à dire que la majorité de la population était marginalisée.

Cette marginalisation est beaucoup plus remarquable dans l’avant-propos du livre légendaire d’André Prosper Davesne « Mamadou et Bineta lisent et écrivent couramment » puisque dans ce dernier, il est notifié d’une part que « l’Afrique a considérablement évolué après sa première édition… », et d’autre part que « l’apprentissage de la langue française demeure une nécessité pour les populations africaines… ».

Pendant l’époque coloniale et postcoloniale des années soixante à quatre-vingt-dix, il était quasi impossible d’avoir accès aux services de l’administration sans la connaissance de la langue française. Dans ces conditions, nous remarquons de nouveau que le français en République du Bénin est un outil de prestige qui donne un avantage social à ceux qui le connaissent. Le français est alors devenu un instrument de pouvoir. Cela était beaucoup plus criant, puisqu’il n’y avait pas assez d’écoles pour assurer la formation des enfants, mais ceux (les enfants et parents) qui avaient l’opportunité de bénéficier des bienfaits de la formation scolaire étaient confrontés aux problèmes de moyens financiers. Aujourd’hui en République du Bénin, les frais d’inscription dans une école publique ne sont plus un problème, car l’école est totalement gratuite. Ce sujet méritait une attention particulière, car quelques années avant, la gratuité de l’école en République du Bénin n’était pas un sujet d’actualité et était même carrément impensable.

L’autre sujet qui mérite également une attention particulière est que depuis la création de la première école française sous l’égide des missionnaires catholiques dans la ville de Porto-Novo, il a été créé dans le pays un genre d’homme idéal à qui est promis un avenir radieux avec toutes les portes qui lui seront ouvertes pour qu’il puisse bien s’intégrer professionnellement. Cet homme est communément appelé « Akowé » сe qui veut dire en langue fon « homme instruit », « intellectuel » ou « homme d’État ». « L’Akowé » reçoit un salaire consistant puisqu’il est un fonctionnaire d’État, pendant que les travaux ayant rapport à l’artisanat, l’agriculture, la pêche, etc., sont négligés voire méprisés.

Ainsi, nous constatons que le français a eu une grande influence sur la manière de penser des Béninois, car il a pu imposer une hiérarchie non négligeable au sein de la population. Ce constat peut être fait dans le cas de la République du Bénin, mais aussi d’autres pays d’Afrique où le français a pu bénéficier d’un statut privilégié en défaveur des langues locales.

Dans la suite de cet article, il s’agira de parler de la langue française et de son influence sur la presse en République du Bénin.

En réalité, dans les médias du Dahomey (nom officiel de la République du Bénin de 1960 à 1975) et de la République populaire du Bénin (nom officiel de la République du Bénin de 1975 à 1990), le français était pratiquement la seule langue utilisée. Ce constat peut être fait dans les journaux populaires comme : « l’Aube Nouvelle », « Daho-Express » « Ehuzu » (devenu aujourd’hui le journal « la Nation »), etc.

Sur certaines stations de radiodiffusion, la situation était contraire. Force est de constater que les radios étaient axées sur un auditoire beaucoup plus large contrairement à la presse écrite. L’auditoire des offices de radiodiffusion est majoritairement constitué de gens issus des milieux ruraux, vivant loin des grandes villes et n’ayant aucune connaissance de la langue française. Il est également important de notifier que la radio nationale doit émettre dans des langues comprises par la majorité de la population, afin de pouvoir enfin véhiculer des messages importants concernant l’hygiène, la santé, etc., ce qui a potentiellement joué un grand rôle dans le processus de non-marginalisation de la population cette fois-ci. Afin de maintenir l’intérêt des auditeurs, la radio nationale a également commencé à diffuser des émissions de divertissement comme : « xovikleun » et beaucoup d’autres. Mais le développement de la station publique de radio diffusion (connu sous le nom de ORTB : office de radio diffusion et télévision du Bénin) a été possible grâce à la volonté de l’État d’être plus proche de la population rurale, afin de leur assurer une information de qualité orientée sur la recherche de solutions à leurs problèmes les plus cruciaux. Cela n’empêche pas entre autres l’État à diffuser des informations politiques ayant pour but d’amener la population à soutenir les actions du gouvernement et potentiellement à faire réélire ce dernier lors d’élections futures.

Les défis de la langue française par rapport aux réalités d’aujourd’hui

La question du statut de la langue française depuis les indépendances à aujourd’hui, préoccupe beaucoup de chercheurs. Dans les réalités actuelles, la réponse à cette question est pratiquement impossible sans parler des langues nationales qui étaient déjà bien installées avant l’arrivée du français. Il s’agit des dialectes qui jusqu’à aujourd’hui continuent d’être utilisés malgré la forte domination de la langue de Molière. Dans un contexte géopolitique, il faut également reconnaitre que l’image de la langue française peine à s’émanciper de son passé colonial. Entre autres, les réalités linguistiques au Bénin sont que dès la prime enfance, les langues les plus utilisées au sein de la famille sont les langues traditionnelles.

Sur la figure ci-dessus, nous remarquons que la langue française est beaucoup plus utilisée dans les ménages, principalement dans les départements du Littoral, de l’Atlantique et de l’Ouémé (c’est-à-dire des départements proches de la Capitale historique).

Hormis l’influence des langues nationales sur le développement et l’assimilation de la langue française par les autochtones, le français est confronté à un défi beaucoup plus sérieux. Il s’agit de la propagation du monde anglo-saxon dû à une mondialisation galopante, qui n’épargne pas la région Ouest-africaine. Les pays limitrophes de la République du Bénin sont constitués pour la plupart de pays francophones, mais aussi de pays anglophones. L’un des pays anglophones le plus remarquables d’ailleurs est le Nigéria (avec ses 218,5 millions d’habitants). Le deuxième pays anglophone qui n’est directement pas limitrophe, mais qui a une influence non négligeable dans la sous-région est le Ghana (avec ses 34,6 millions d’habitants).

La particularité avec le Nigéria est que la population frontalière communique soit en anglais, soit en langues africaines (dialectes) qui leur sont communes. Ainsi donc, on peut remarquer que le français n’est d’aucune utilité dans cette région frontalière bien que ce dernier soit la langue officielle de la République du Bénin. La connaissance de l’anglais pour certains Béninois vivants dans cette région est une question de survie, car elle permet de mener des activités commerciales avec le Nigéria voisin. Afin de perpétuer cette pratique de la connaissance de l’anglais, les enfants des zones frontalières vont dans des écoles anglophones. Ce choix des parents est guidé non seulement par la volonté de préparer les enfants à la mondialisation comme nous la connaissons aujourd’hui, mais aussi à l’intégration sous-régionale puisque le Nigéria et le Ghana font partie entière de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

La bataille avec la diminution de l’influence de la langue française ne s’arrête pas seulement aux réalités frontalières avec les pays anglophones de la sous-région ouest-africaine, mais aussi à l’élargissement du monde anglo-saxon (surtout américain) sur le plan international. Cet élargissement du monde anglo-saxon est favorisé par la politique anti-migratoire de la France, ce qui est d’ailleurs paradoxal vu le travail et les efforts de certaines organisations internationales de défense de la langue française comme la Francophonie. Je m’explique ! un jeune africain issu d’un pays francophone et voulant immigrer dans les règles de la loi, choisit généralement comme destination la France pour plusieurs raisons. L’une de ces raisons est la facilité linguistique, afin de mieux et rapidement s’intégrer. Mais avec la nouvelle tendance, ces jeunes africains se tournent vers les États-Unis, le Canada ou même l’Allemagne où ils ont l’impression de subir moins de problèmes administratifs dans les processus d’obtention du visa. Il est clair que les faits énumérés ci-dessus ne confortent pas la position et le statut de la langue française non seulement au Bénin, mais aussi dans les autres pays d’Afrique francophone.

En conclusion, bien que la langue française ait joué un rôle positif non négligeable dans l’histoire de la République du Bénin, on constate qu’il y a une volonté du peuple autochtone à se réapproprier sa propre culture linguistique qui depuis des années est confrontée à l’expansion de celle du colon. Cela s’explique par la domination de la langue française sur les langues nationales depuis la création de la première école catholique par les missionnaires chrétiens dans la ville de Porto-Novo. Même si aujourd’hui la langue anglaise est une menace pour la langue de Molière à cause de l’expansion du monde anglo-saxon, le français demeure la langue officielle et administrative en République du Bénin. Il est également important de comprendre que le français est désormais ancré dans la culture du Bénin et, quelle que soit la politique de la France, ce dernier ne doit aucunement subir une quelconque discrimination.

Sources utilisées :

1.Adohounde Y.S. La Russie et le Bénin : des amis de longue date. //Salut ! Ça va ? 2023, № 3(71). — pp. 24-27
2.Amadou Sanni, M. (2017). Langues parlées au sein du ménage et assimilation linguistique au Bénin. Cahiers québécois de démographie, 46(2), 219–239.
3.https://archive.org/details/mamadou-et-bineta-lisent-et-ecrivent-couramment/page/n1/mode/2up
4.Site officiel de L’Alliance Solidaire des Français de l’Étranger (ASFE)//https://alliancesolidaire.org
5.Site officiel du gouvernement de la République du Bénin//www.gouv.bj
6.Site officiel de l’archive nationale « HAL science ouverte »//https://nantes-universite.hal.science/hal-03558965/document
7.Site officiel de l’association des cours constitutionnelles francophone//https://cdn.accf-francophonie.org/2022/07/Benin_Constitution_v2019.pdf
[1] Sotindjo Sébastien Dossa. Pérennité des structures de dépendance et reproduction du sous-développement : le cas du Bénin (ex-Dahomey) de la colonisation à aujourd’hui. //Adame Ba Konaré éd., Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy. Paris, La Découverte, « Cahiers libres », 2008, pp. 227-239.