Salut! Ça va?

Carnet de voyage d’une Russe qui est allée en Chine pour parler de l’Afrique en français

2024-04
Au tout début des amitiés sincères

J’ai fait connaissance avec le professeur chinois Liu Chengfu en 2012, à l’occasion d’un stage à Paris, organisé par la Fédération internationale des professeurs de français. Ce stage unique est resté gravé dans ma mémoire pour l’atmosphère conviviale des échanges entre les professeurs de français venant d’Algérie, du Paraguay, d’Indonésie, de Serbie, de Bolivie, d’Haïti, du Costa Rica, de Chine… et de Russie.

Dans les locaux de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris où nous avons travaillé, l’union des cultures, des caractères, des esprits a fait naître une amitié sincère qui dure jusqu’à ce jour.

Chez Liu Chengfu j’ai tout de suite ressenti une âme sœur : souriant, positif et ouvert d’esprit. Nous avions les mêmes humeurs, la même perception des choses. Devenus vite complices, nous nous sommes beaucoup promenés dans les rues de Paris, nous nous sommes même enfuis au moment de l’entracte d’un spectacle ennuyeux et interminable à la Comédie Française. Je me souviens toujours d’un choc culturel, alors que je m’imaginais être dans le saint des saints de la culture, je ne pouvais pas imaginer voir autant de spectateurs endormis ! Nous avons beaucoup ri ce soir-là ! Et c’est depuis que nous nous sommes appelés frère et sœur, d’après une tradition chinoise. Pour les Chinois cela veut dire qu’on est très proche du cœur de quelqu’un.

Pendant toutes ces années depuis 2012, nous avons entretenu notre amitié par internet. Et même si des mois passaient sans nouvelles, nous nous retrouvions aussi proches et complices comme si on s’était vu la veille.

Le Professeur Liu Chengfu et ses étudiants ont régulièrement publié leurs articles dans notre « Salut ! Ça va ? ».

Quoi que je lui propose, quoi qu’il fasse, il a toujours tout délivré dans les délais, avec brio et professionnalisme. J’ai pu me convaincre une fois de plus à quel point le professeur est respecté dans la culture chinoise. Ses étudiants étaient généralement prêts à rédiger des articles, quels que soient les thèmes proposés.

Une opportunité unique à ne pas manquer

En septembre 2023 mon ami m’a proposé de venir dans une des universités où il enseigne pour donner une conférence. J’ai consenti presque sans hésiter, car j’ai senti qu’une nouvelle expérience magnifique m’attendait !

Je savais que la surcharge au travail me laissait peu de temps pour organiser le voyage et préparer ma conférence, mais je me suis dit fermement « Je surmonterai tout et j’y arriverai, impensable de manquer cette opportunité unique ! »

Liu Chengfu est un interprète renommé en Chine. Il a déjà traduit plus de 60 livres français et a même reçu des lettres de remerciement pour la diffusion de la culture française en Chine signées par des présidents français. Depuis plusieurs années, il travaille dans les bureaux avoisinants de l’Université de Nankin avec le lauréat du prix Nobel J.M.G. Le Clézio. Le ministère de l’Éducation chinoise le convoque comme expert à différentes commissions. Il est membre des conseils de soutenance de thèses de doctorat au niveau national. Les éditions chinoises lui commandent régulièrement des traductions de livres des auteurs français populaires actuellement en France.

Liu Chengfu est connu en Chine comme un spécialiste en littérature française, et il dirige aussi le Centre d’études africaines au sein de l’Université des langues étrangères Zhejiang Yuexiu à Shaoxing.

C’est pourquoi il m’a proposé de consacrer ma conférence aux relations russo-africaines. Évidemment, ce thème est nouveau pour moi, même si la francophonie est toujours présente dans les contenus de nos cours. Il me fallait bien m’organiser et étudier de nombreuses sources pour que la présentation soit intéressante pour les étudiants chinois. Je la finalisais dans l’avion pour Nankin. Je savais que tous mes efforts seraient généreusement récompensés par l’expérience que je vivrai chez mon ami chinois, mais je ne pouvais pas supposer que ce serait à un tel point !
Un accueil chaleureux

À l’aéroport de Nankin, j’ai été accueillie par la charmante Li Xin, l’étudiante en master du professeur Liu Chengfu.

Je l’ai remarquée tout de suite : elle tenait une très jolie affiche avec mon nom dessus, décorée avec des dessins et des autocollants sympathiques. Elle a répondu à mon signe de main par un large sourire. À peine nous nous sommes saluées, elle m’a tendu un sac avec des cadeaux et un autre avec des provisions (« au cas où vous auriez faim »). Elle a commandé par internet spécialement pour moi des bonbons au chocolat russes « Babayevskie ». Ce geste m’a tellement touchée. Je ne savais plus comment la remercier. Li Xin m’a accompagnée jusqu’à la porte de ma chambre d’hôtel pour être sûre que je sois bien arrivée à destination. Elle ouvrait partout les portes devant moi et a tenté plusieurs fois de porter ma valise. J’étais tellement touchée et gênée par toutes ces attentions à mon égard, que je savais devoir accepter avec reconnaissance. Parce que c’est bien la Chine !

Le lendemain matin, avant d’aller à l’Université, ma chère hôtesse chinoise Li Xin m’avait organisé un tour dans le vieux Nankin. Le temps était magnifique, le soleil éblouissait, les couleurs de la nature environnante enchantaient mes yeux, la gentillesse attentionnée de Li Xin enchantait mon cœur.

Nous avons visité le Temple Confucius. Puis nous avons mangé dans un restaurant authentique. Si authentique que Li Xin elle-même goûtait certains plats pour la première fois. Il y en avait plusieurs, trop pour nous deux, mais elle tenait absolument à ce que je découvre les différentes spécialités locales, telles que, le canard de Nankin, la soupe de soja préférée de la femme d’un des empereurs chinois ou la soupe de pigeon avec des pommes.

Pour me faire plaisir, Li Xin me photographiait beaucoup, racontait tout ce qu’elle savait sur les lieux que nous visitions, répondait à mes questions curieuses. Et tout ça, avec mon sac à la main. Elle l’avait récupéré tout gentiment et je n’ai pas osé m’y opposer.

Dans l’après-midi j’allais donner ma conférence à l’Université Hohai de Nankin. J’ai été d’abord impressionnée par l’immensité du campus, des espaces impeccablement propres et arrangés, du nombre et de la hauteur des bâtiments.

Quand nous sommes montés en ascenseur à la faculté, j’ai failli tomber de surprise : à l’étage était installée une affiche plus grande que moi qui me présentait et annonçait ma conférence ! Je ne m’y attendais absolument pas. Ce que j’éprouvais était du jamais vu ni vécu pour moi.
Conférences « Russie-Afrique : histoire et actualités »

J’ai essayé de préparer mon intervention de façon que ce soit intéressant pour les jeunes Chinois : moins de conceptions historiques ou sociales, plus de faits curieux accompagnés d’images. Je voulais attirer leur attention sur le fait que malgré son statut exotique pour la culture russe, l’immense continent africain a toujours attiré les Russes et qu’actuellement il prend de plus en plus d’importance dans la politique moderne de l’État russe.

Les relations entre la Russie et l’Afrique, dont l’histoire remonte à plusieurs siècles, ont connu de sérieuses évolutions. Je voulais en faire part brièvement en commençant par les chroniques de l’historien Nestor du XIIe siècle sur les pèlerins russes en Égypte, puis en passant par les époques de Pierre le Grand et de Catherine la Grande qui se passionnaient énormément pour le continent noir. J’ai parlé de la politique de l’Empire russe en Afrique au XIX siècle, j’ai déclamé des vers des poètes russes chantant la beauté de ses peuples et de sa nature, et me suis arrêtée sur le début de la période compliquée de l’URSS ou de nouvelles opportunités de coopération soviéto-africaine s’ouvraient. Il était important de mentionner les Congres « Russie -Afrique » de Sotchi en 2019 et de Saint-Pétersbourg en 2023, car c’est là que les stratégies les plus importantes de notre collaboration ont été élaborées et discutées avec les dirigeants des pays africains, très demandeurs de coopération. J’ai décidé de terminer mon intervention en présentant la politique commune de la Chine et de la Russie sur le continent africain.

Les étudiants chinois, assez timides et réservés dans le cadre universitaire n’ont pas posé beaucoup de questions, mais nos échanges ont été très chaleureux. Ce sont surtout les collègues chinois ou ceux venant des pays francophones, y compris la France, qui m’ont questionnée, au sujet de la conférence, de moi-même, ma ville, ma région, mon pays…
Découvertes culturelles

À Nankin je voulais absolument visiter le musée, mémorial aux victimes du massacre japonais, vécu par les habitants de cette ville pendant trois mois entre 1937 et 1938. Ce mémorial était malheureusement fermé, mais la promenade aux alentours était d’un charme particulier pour moi : un beau quartier en verdure et en fleurs, un soleil éblouissant, l’architecture impressionnante du musée entouré d’un complexe de statues, nous permettent de sentir fortement toute la douleur du peuple chinois sur cette tragédie.

A propos, en Chine, de nombreux musées nationaux sont gratuits, y compris ce mémorial.

Le lendemain, nous avons pris le train à grande vitesse avec mon ami Liu Chengfu, pour Shaoxing, une des villes chinoises les plus anciennes, où m’attendaient de nouvelles découvertes historiques et culturelles de ce pays magnifique.

Mon ami est un chercheur passionné en lettres, c’est pourquoi il voulait me faire voir des lieux de « pèlerinage » de tous les Chinois parce qu’ils sont liés avec la vie des grands hommes ayant marqué l’histoire du pays et faisant partie de son patrimoine culturel.

La maison restaurée du « Dieu de calligraphie » Wang Xizhi (303-361) réaménagée en temple bouddhiste, située au cœur d’un très vieux quartier aux rues étroites, pavées et maisonnettes sympathiques abritant des boutiques et restaurants traditionnels.

La maison-musée du grand philosophe et penseur du XVIe siècle Wang Yangmin lu par chaque Chinois dès l’école primaire.

La maison-musée de Lu Xun, l’un des écrivains majeurs du début du XXe siècle, fondateur de la littérature chinoise contemporaine, qui bien avant Mao Zedong appelait le peuple chinois à se lever et se battre contre les injustices et les inégalités.

Pendant que nous nous promenions avec mon ami, il me racontait des histoires et des légendes. Enchantée par ses intonations de conteur consommé, son langage imagé et la sagesse des contes chinois, je pensais que ses étudiants devraient aimer ses conférences. Et pas seulement ses étudiants puisque Liu Chengfu est souvent invité dans différentes universités chinoises.

La Chine surprenante

La Chine n’arrête pas de me surprendre et m’émerveiller. Elle a beaucoup changé ces dernières années. Ici règne un tel ordre que, semble-t-il, chaque herbe est peignée, chaque arbre est soigné, chaque petit buisson est coupé, chaque centimètre carré de terre est nettoyé.

Un ordre idéal est partout : les rues sont propres, le transport est ponctuel et confortable, les nouvelles technologies sont bien présentes dans tous les domaines du quotidien.

Le respect inconditionnel de ceux qui sont plus âgés ou occupent des postes plus élevés me paraissait parfois un peu exagéré et bizarre, mais maintenant je ne le pense plus. De telles relations entre les gens sont bien naturelles et harmonieuses au regard de la culture chinoise. Cela ne blesse ni humilie personne. Si quelqu’un arrive à un statut important dans la société, c’est par un travail ferme, c’est donc bien mérité.

Dès les premiers moments de mon séjour en Chine s’affirmait en moi la conviction de la grandeur du peuple chinois, de sa culture millénaire, de la puissance inébranlable de son esprit national et de ses valeurs culturelles.

Qu’il est passionnant de faire des rencontres avec une autre culture et ainsi devenir aussi un autre ! Qu’il est passionnant de faire des rencontres et de s’enrichir d’une autre culture !