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Professeur dans la littérature française

2023-07-29 22:34 2023-04
Les professeurs jouent souvent le rôle de figure d'autorité dans la littérature. Rabelais dans Gargantua (1534) développe sa vision de l'éducation, comme Rousseau (1712) dans l'Emile le fera ultérieurement. Ces ouvrages sont plus centrés sur la méthode que sur le professeur qui en demeure toutefois l'élément central.

L'éducation a été dès la fin du moyen âge d'une grande importance politique. A cet égard les universités, gérées par l'église, jouissaient de statuts particuliers, les « franchises » qui les mettaient au-dessus du pouvoir temporel. Certaines de ces franchises existent toujours malgré la loi de séparation de l'église et de l'Etat de 1905 comme la responsabilité du maintien de l'ordre qui incombe au président de l'Université. La IIIe république, née après la défaite cuisante de 1870, prônera l'école pour tous et surtout « la religion » de la laïcité pour s'affranchir de l'influence de l'église. Les professeurs en seront les missionnaires rigoureux et zélés, les « hussards noirs de la République », dira Charles Péguy.

L'école participe au développement de la culture républicaine ainsi qu’un temps à la formation militaire des futurs soldats de la république via les bataillons scolaires qui viennent préparer le service militaire obligatoire. Cette époque est donc propice à des descriptions de personnages aux caractères forts dans les romans.

Socialement, le professeur est un notable respecté. La brève IV république et la Ve verront le rôle du professeur se confirmer pendant les trente glorieuses qui marqueront son apogée avec l'école comme moyen de réussite sociale puis décliner au fil des réformes. Aujourd'hui ce métier ne fait plus rêver. Agressions, manque de respect, salaire..., 4000 postes n'étaient pas pourvus en 2023. Après tout, un bon consommateur doublé d'un citoyen docile ne doit pas être trop éduqué. Sa place dans la littérature en pâtit donc logiquement.

Dans la suite de cet article, nous allons examiner les représentations de professeurs dans la littérature française, en nous concentrant sur les œuvres de Marcel Aymé, Marcel Pagnol, Alexandre Jardin, Jules Vallès, Louis Pergaud et Christian Signol pour terminer sur un livre très récent.

« Uranus » (1948) de Marcel Aymé est une comédie sombre qui se déroule dans la France de 1948 pendant la libération et l'épuration. Le roman décrit les relations humaines, entre résistance, collaboration, trahisons, arrangements dans un contexte de la réécriture gaulliste de l'histoire nationale.

Watrin est professeur de mathématiques, son collègue Didier, professeur de lettres. Ils donnent des cours dans un bar réquisitionné, car l'école a été détruite.

Le premier est un éternel optimiste, amoureux du monde et de la vie. La guerre n'a pas eu de prise sur son optimisme. Il s'est endormi pendant un bombardement qui a détruit sa maison, tué sa femme alors qu'il lisait un livre sur Uranus. Toutes les nuits il est hanté par cette planète, mais se réveille heureux.

« Même lorsqu’il était sérieux, son visage maigre, ses yeux pâles avaient toujours une expression d’étonnement joyeux, d’honnêteté un peu crédule. Avec émerveillement, il regarda les enfants, la table mise et, par la porte-fenêtre, un rectangle de ciel bleu où noircissait un nuage. » et corrige les copies dans la nature : « Quelle journée ! dit-il. J’aurai passé mon après-midi dans les champs. J’ai corrigé un paquet de copies, couché dans l’herbe. »

Par opposition, son collègue accuse le poids de la guerre. « Le professeur Didier resta seul devant le zinc à boire son café. C’était un vieil homme, triste et fatigué, qui avait repris du service au début des hostilités. Il ne croyait plus à la valeur de son enseignement et disait parfois à ses collègues que pour faire des officiers de réserve et des électeurs, il n’y avait pas besoin de tant de simagrées. Il avait beau s’efforcer de lire dans les événements, dans les cœurs et dans les consciences, il n’y voyait ni le latin ni les classiques qu’il avait prodigués pendant quarante ans. »

Il représente la majorité des Français dans la guerre, ceux qui sont restés passifs : « Il me semble toujours que les gens me soupçonnent de ne pas haïr ce qui doit être haï, de ne pas adorer ce qui doit être adoré. Rien n’est plus éloigné de moi que les sentiments forcenés de haine et d’idolâtrie, et cette modération, j’en souffre maintenant comme d’une infirmité. »

Cependant, il est bienveillant : « Il notait avec indulgence. Estimant que la plupart de ces enfants vivaient et travaillaient dans des conditions pénibles, il voulait les encourager et souhaitait que l’école, autant que possible, leur offrît les sourires que leur refusait trop souvent une existence troublée. »

« Topaze » de Marcel Pagnol, pièce de théâtre (1928)

Topaze est un professeur naïf amoureux de l'orthographe, mais aussi d'Ernestine la fille du Directeur qui le manipule. Il est pauvre, austère, aime son métier qu'il pratique avec rigueur et un grand sens moral. « Au-dessus des tableaux, une frise de papier crème, sur laquelle se détachent en grosses lettres diverses inscriptions morales : « Pauvreté N’est PAS vice. » « Il vaut mieux SOUFFRIR le mal que de le FAIRE. » « L’oisiveté est la MÈRE de TOUS LES VICES. » « Bonne renommée vaut MIEUX que ceinture dorée. » Au centre, au-dessus de la chaire : « L’ARGENT NE FAIT PAS LE BONHEUR »

Il est licencié pour avoir donné une mauvaise note méritée à un élève dont les parents étaient de riches donateurs de l'école privée. Il va devenir malhonnête d'abord à son insu « Quoi ! Je découvre un criminel, et je deviendrais son complice ! » puis volontairement « Parce que j’ai l’intention de garder ce bureau pour travailler à mon compte. Désormais, cette agence m’appartient, les bénéfices qu’elle produit sont à moi. S’il m’arrive encore de traiter des affaires avec vous, je veux bien vous abandonner une commission de six pour cent… C’est tout. »

Il convainc finalement son ex-collègue, Monsieur Tamise, de venir travailler avec lui

« Ah ! l’argent… Tu n’en connais pas la valeur… Mais ouvre les yeux, regarde la vie, regarde tes contemporains… L’argent peut tout, il permet tout, il donne tout… Si je veux une maison moderne, une fausse dent invisible, la permission de faire gras le vendredi, mon éloge dans les journaux ou une femme dans mon lit, l’obtiendrai-je par des prières, le dévouement, ou la vertu ? Il ne faut qu’entrouvrir ce coffre et dire un petit mot : « Combien ? » (Il a pris dans le coffre une liasse de billets.) Regarde ces billets de banque, ils peuvent tenir dans ma poche, mais ils prendront la forme et la couleur de mon désir. Confort, beauté, santé, amour, honneurs, puissance, je tiens tout cela dans ma main… Tu t’effares, mon pauvre Tamise, mais je vais te dire un secret : malgré les rêveurs, malgré les poètes et peut-être malgré mon cœur, j’ai appris la grande leçon : Tamise, les hommes ne sont pas bons. C’est la force qui gouverne le monde, et ces petits rectangles de papier bruissant, voilà la forme moderne de la force. »



« Le Zebre » d’Alexandre Jardin (1988)

Un notaire de province essaie de redynamiser son couple après 15 ans de mariage, deux enfants et une vie routinière. Le lycée sert de cadre à cette reconquête amoureuse.

L'exemple vaut ici pour les métiers. Le "notaire de province" symbolise un homme d'un certain niveau social, austère et conventionnel. Son mariage avec une professeur en fait un couple moyen, à priori peu enclin à des débordements. « Camille consacrait une part de son attention aux cours de mathématiques qu’elle assenait aux élèves du lycée de Laval et le reste de son temps à sa paire de rejetons. »

« Bien que notaire, condition qui ne porte guère aux incongruités, Gaspard collectionnait les opinions particulières. ... Ni les coups de règle à l’école, ni ses années d’études juridiques, ni le dressage du service militaire n’étaient parvenus à fléchir son naturel extravagant. »

Le choix du thème de l'éducation n'est pas neutre puisque l'auteur l'égratigne régulièrement. « Camille infligea de nouveau ses cours de mathématiques à ses élèves. » ou encore « Il avait bien essayé de soustraire ses enfants à la Pieuvre – c’est ainsi qu’il nommait l’Education nationale – mais en vain ; il avait dû s’incliner devant Camille qui exigeait, pensait-il, un lavage de cerveau laïc et obligatoire pour leurs petits. » ou encore : « Le Zèbre se refusait donc à aller trinquer en compagnie de Camille, avec des suppôts de la Pieuvre. »

« L’enfant » de Jules Valles (1878) est une autobiographie, le professeur est le père du narrateur. C'est probablement pour cette raison qu'il écrit la dédicace suivante : « À tous ceux qui crevèrent d'ennui au collège ou qu'on fit pleurer dans la famille, qui, pendant leur enfance, furent tyrannisés par leurs maîtres ou rossés par leurs parents, je dédie ce livre ».

« La guerre des boutons » de Louis Pergaud (1912)

L’instituteur n'est pas un élément important du roman qui est raconté du point de vue des enfants. Pourtant, celui-ci reste intéressant. L'auteur lui-même instituteur, socialiste et anticlérical s'est inspiré de son expérience. Le roman est écrit en 1912 peu après la séparation de l'église et de l'état qui voit l'état « récupérer » l'éducation et imposer la laïcité. L'instituteur, Maitre Simon, est un bon exemple du professeur sévère, de la III république, qui promeut les valeurs républicaines. « Le maître, du haut de sa chaire, droit et sévère, sa règle d’ébène à la main, commença par flétrir en termes énergiques leur conduite sauvage de la veille, indigne de citoyens civilisés, vivant en République dont la devise était : liberté, égalité, fraternité ! »

« Une si belle école ou l'école des beaux jours » de Christian Signol (2022)

Le roman raconte l’histoire d'une institutrice qui débute en 1954 dans un petit village d’une région rurale et qui évoque sa mission, les difficultés liées au mode de vie paysan, sa vie, son mariage puis les modifications de son métier :

Son rêve : « Une fois à l’École normale, je m’étais promis de veiller à ce que chacun de mes élèves eût sa chance, d’éveiller en eux le désir et le rêve d’une vie meilleure, différente, plus belle et plus grande. »

Le cadre : « Le savoir devait se trouver à portée de tous, afin de transformer les enfants en citoyens aimant leur pays, capables de le défendre le moment venu, instruits d’une hygiène et d’une morale communes à toute la nation, porteurs d’un espoir de vie meilleure grâce aux vertus de courage et de tempérance qui leur seraient inculquées par des hommes et des femmes formés à cet effet. La IVe République n’avait fait que poursuivre l’œuvre engagée »

Un exemple de programme : « Les instructions de l’académie, en cette année 1954, prévoyaient trente heures de classe par semaine, pas de cours le jeudi, mais le samedi après-midi. À l’intérieur de ce cadre, il fallait introduire quinze heures de français dont beaucoup de lecture et de dictées, un peu moins de dix heures de mathématiques basées surtout sur le calcul mental, la règle de trois, les fractions, et la résolution de problèmes à caractère utilitaire ; les leçons de choses, elles, devaient s’appuyer surtout sur l’observation, l’histoire sur les grandes dates, la géographie sur les fleuves, les rivières et les montagnes ; enfin c’était par l’instruction civique et la morale que devaient commencer les journées. »

Le bilan : « Mais je ne pouvais pas envisager d’arrêter à cinquante-cinq ans. J’avais trop besoin des enfants, qui avaient toujours peuplé ma vie et dont la présence était devenue, au fil des disparitions et de l’éloignement de ceux de ma famille, totalement indispensable. »

L’impact des premières réformes : « Qu’est-ce que cela signifiait : « placer l’enfant au cœur du système scolaire » ? Ne l’avais-je pas toujours fait ? J’avoue que cette année-là fit vaciller la flamme qui brûlait en moi. Non pas que j’étais hostile a priori à une réforme probablement nécessaire, mais il me sembla que la méthode avait pris le pas sur le fond, et que les contraintes s’exerçaient aussi bien sur moi que sur les enfants. »

Ces quelques exemples ne sont qu’un faible échantillon de la présence des professeurs dans la littérature française qui regorge de portraits, souvent présentés de manière complexe et nuancée. Certains auteurs les décrivent comme des figures bienveillantes et inspirantes, tandis que d'autres les voient comme des représentants de l’autorité oppressive et de l’élitisme intellectuel. L’expérience de jeunesse joue probablement beaucoup et témoigne de l’importance de l’enseignant dans une période de construction de la personnalité. Dans tous les cas, les professeurs sont des personnages, qui reflètent les valeurs et les préoccupations de leur époque.