Quand et pourquoi avez-vous avez décidé de devenir professeur ?
Je suis allée en France travailler et à mon retour, comme j’avais été étudiante à l’Alliance Française, mon professeur m’a demandé si j’avais envie d’enseigner aux enfants. Je lui ai répondu que je n’avais aucune expérience en enseignement, et il m’a dit que l’Alliance allait me préparer. Il m’a présentée au directeur qui a accepté de me prendre comme professeur.
Cette première expérience date de 23 ans déjà, et je mesure avec étonnement tout ce que j’ai appris et tout ce que je continue d’apprendre.
Quelles formations avez-vous suivies ?
J’ai une formation supérieure comme enseignante de langue française et anglaise, une formation en Didactique de l’enseignement supérieur, et un Master en Éducation. Au cours des années, j’ai continué à me former au travers de séminaires, congrès et autres supports.
Qu’est-ce qui vous enchante dans ce métier ?
Le regard des enfants quand on leur raconte quelque chose qu’ils découvrent, quand on lit un livre avec eux et que l’on voit dans leurs visages qu’ils sont en train de faire le même voyage que les personnages du livre, quand ils sourient ou qu’ils se pressent pour finir la phrase ou pour deviner ce qui va se passer dans l’histoire, ou même quand ils sont en train de créer quelque chose sur le papier.
Devenir un enfant à travers les enfants c’est la chose la plus merveilleuse qui puisse exister.
Qu’est-ce qui vous semble le plus important dans votre travail avec les enfants ?
Faire attention à ce que je vais faire ou dire, car, même si les enfants ne comprennent pas la langue étrangère, ils comprennent les actes, le ton de ma voix et la gestuelle de mon visage et de mon corps.
Les enfants sont plus sensibles que les adultes, et ils sont comme des éponges ; ce que le professeur dit ou fait est sacré.
Comment arrivez-vous à motiver vos élèves à l’apprentissage du français ?
Pour motiver mes élèves à apprendre la langue française, j’utilise l’apprentissage actif, qui consiste à les mettre en action : des activités manuelles ou des travaux sur projet.
J’attache une grande importance à renforcer le sentiment d’appartenance et de confiance ainsi que le sens de la responsabilité individuelle pour la réussite collective.
Jouer, c’est aussi apprendre. L’enjeu est de transformer l’apprentissage en plaisir pour ainsi apprendre la conjugaison, les mathématiques, etc. par le jeu.
L’évaluation doit être un critère fondamental pour la motivation des élèves, pouvoir se rattraper et avoir moins peur de la note, valoriser l’effort autant que le résultat, et rester positif pour favoriser la persévérance.
Enfin, je fais réfléchir les étudiants sur les mécanismes de l’apprentissage et de la motivation elle-même.
Qu’est-ce qui vous inspire et vous encourage le plus dans votre travail ?
Penser que je suis en train de changer une vie. Que je suis en train de donner à quelqu’un quelque chose qu’il ne connaissait pas avant, lui ouvrir les yeux sur l’inconnu ou lui faire découvrir de nouveaux horizons.
Leur dire que ce qu’ils sont en train de regarder ou d’écouter est juste le début d’une chaine d’événements qui vont changer leur vie, qui vont les amener vers des lieux inconnus, des personnes inconnues, du passé ou du présent, réels ou irréels.
Le métier de professeur n’est pas facile. Rencontrez-vous beaucoup de difficultés ?
La difficulté est un obstacle alors que notre métier fonctionne plutôt avec défis. Les enfants sont des défis. Ils sont des provocations à notre capacité, à notre humeur, à notre sens de l’humour, à notre patience. Et ces provocations ne sont pas vraiment volontaires.
Les enfants provoquent les adultes parce qu’ils sont à l’âge de tester leur environnement. En testant, en essayant tout, ils apprennent.
En tant qu’adultes, nous sommes là pour les aider à expérimenter le monde, et pour nous assurer que cette expérience soit un voyage plein de joie et de bons moments.
Avez-vous vécu des moments où vous vouliez changer de travail, abandonner cette profession ?
Oui, sans doute, comme tout le monde. J’ai eu des moments de baisse de forme physique, des problèmes personnels. Être quotidiennement souriante, jouer « la prof cool » devenait difficile.
Mais j’ai dû apprendre à séparer le monde personnel du monde du travail, et comprendre et accepter que les enfants n’étaient pas la raison de mes problèmes, mais plutôt la possibilité de trouver des réponses à ces derniers, de trouver de la joie dans les moments où je me sentais moins bien.
Vous pouvez dire que vous êtes heureuse dans votre métier ?
Oui, même quand ça prend beaucoup de temps et d’énergie pour préparer les cours, même quand il faut avoir de l’argent pour préparer les matériaux, même quand, des fois, on doit se séparer de la famille et des amis.
Quand le jour finit et qu’on trouve une personne qui sourit, quand un élève nous choisit pour nous raconter ses soucis sans avoir honte de pleurer en face de nous, quand un élève nous appelle pour nous demander de l’aide ou un conseil, ou quand une personne importante nous sélectionne pour représenter son institution, on se rend compte que le métier d’enseignante vaut la peine.
Un événement que vous n’oublierez jamais ?
Mon premier jour de cours. J’étais en face d’un groupe de 10 enfants, tous nerveux parce qu’ils ne savaient pas qui j’étais, et moi tout aussi nerveuse à l’idée de commencer à enseigner avec des enfants que j’ai venais de découvrir.
De loin, tout paraissait si simple. Mais quand j’ai dû passer de l’autre côté de la table, j’ai compris que le travail des professeurs n’était pas si facile que l’image que l’on en avait.
Un élève que vous n’oublierez jamais ?
Ma première élève, sans doute. Elle faisait partie d’un groupe d’adultes tous débutants. Le premier jour j’ai eu peur, car tous avaient à peu près de l’âge de mes parents, et moi, j’avais l’air d’une petite fille de 20 ans. J’avais peur qu’ils croient qu’à cause de mon âge, je n’étais pas formée pour leur apprendre le français.
Les élèves étaient assis autour de moi, en forme de U. La plupart d’entre eux étaient tous à ma droite, et cette élève était assise, toute seule, à ma gauche. Un jour, on devait faire un exercice de prononciation. J’ai commencé à demander au groupe de répéter la phrase, pour voir s’ils arrivaient à la prononcer ou pas, et pour les aider à se corriger. Avant que je lui demande, elle m’a dit « je ne peux pas le dire ». Je lui ai dit d’essayer que les premières fois sont difficiles, et elle m’a répété « je ne peux pas le dire ». Plus lui demandait, plus elle s’énervait, et plus je m’énervais moi aussi, car je ne voulais pas que le reste me croie inexpérimentée.
Quelques jours après j’ai parlé à ma mère qui était aussi professeur pendant presque 40 ans. Elle m’a dit de la laisser en paix, qu’en fait, c’était moi son problème. Elle m’a conseillé de travailler avec le reste du cours. Elle m’a dit que la fille allait participer le jour où elle se sentirait à l’aise. Exactement comme ma mère l’avait anticipé, cette élève a commencé à participer après quelques jours, car elle s’est rendu compte que je n’étais plus focalisée sur elle.
Qu’est-ce que vous faites pour réussir dans votre métier ?
J’ai appris à écouter, à observer, à étudier les gens avec qui je travaille. J’ai appris qu’il faut connaitre l’histoire des personnes autour de moi pour pouvoir vivre et travailler avec (peu importe s’ils sont mes patrons, mes collègues ou mes étudiants).
Votre plus grand rêve de professeur ?
Je rêve de voir des élèves arriver plus loin que moi, que les gens comprennent que je suis ici juste pour leur montrer un chemin, une forme de vie.
Je voudrais qu’ils soient plus exigeants avec eux, qu’ils soient plus curieux, qu’ils aillent plus loin et qu’ils aient moins peur de faire ce qu’ils veulent sans tenir compte de l’influence de leur entourage.
Merci beaucoup !
Merci à vous ! Je tiens à vous remercier pour l'invitation à faire partie de ce beau projet de publication dans votre revue. C'est la deuxième fois que j'ai l'opportunité de promouvoir la langue française à travers la presse, et la première fois de le faire à l'international, ce qui est un honneur.
Faire cette interview, c'était comme revenir à mes débuts d'enseignant. Repenser aux premières expériences, aux peurs et aux joies que m'a procuré le métier... C’était comme écrire mes mémoires, mais en mini résumé. Merci de tout cœur !