Sur la table, dans des bols en aluminium et en argile, on voyait de divers plats : cornichons, tomates, choucroute, pommes de terre cuites avec d'énormes morceaux de porc. Sur des planches de bois il y avait du lard blanc salé coupé en gros morceaux et saupoudré abondamment avec de l’ail. Mais ce qui me préoccupait le plus, c'était la bassine et son contenu. Avant que j'aie eu le temps d'avaler ma salive, on a apporté encore une autre bassine. La grand-mère a puisé du beurre fondu avec une cuillère dans un bidon posée sur le sol et en a mis dans un nouveau lot de vareniki.
- C’est au chou et à la pomme de terre. Tous ensemble ! Servez-vous !
Elle a secoué la bassine pour que les vareniki y tournent comme des fous ! Et ils se sont allongés dans cette sauce de beurre, brillant et émettant un arôme incroyable. Mais ce n'était pas tout! La tante Maria est entrée avec une grande casserole, dans laquelle il y avait les mêmes vareniki a la pomme de terre et au chou, mais baignés dans le saindoux fondu. Et une montagne de rillons, frits, tannés, encore sifflants, se dressait comme un chapeau en peau de mouton, bouclée et solide.
— Vareniki… — murmura mon père avec admiration, en imitant, je ne sais pas pourquoi, la prononciation locale ukrainienne, — probablement en signe de respect pour l'art culinaire de sa belle-mère. Et j’ai répété après lui ce mot magique. Le père n'avait jamais mangé de vareniki auparavant. Un Moscovite ayant grandi en mangeant plutôt de la soupe aux choux (chtchi) et de la kacha au sarrasin, ne pouvait pas imaginer qu'il pouvait y avoir une telle abondance de nourriture délicieuse jamais goutée avant. Et il en était ravi... J'ai vu son visage béat et son sourire figé de surprise. Moi, j'étais impatiente de commencer rapidement à manger ces choses inconnues.
Enfin tout le monde s'est mis à table. Mais personne ne se dépêchait de commencer le repas. Premièrement, les toasts - les adultes aiment parler longtemps en tenant un verre dans la main. Je rebondissais d'impatience, mais ma mère freinait mes élans, me tirant par la tresse, puis par la main. Elle voulait montrer que nous, les Moscovites, sommes bien cultivés. Après tout, notre papa est un pilote militaire, et pour son village il est un héros !
Après les toasts, tout le monde s’est mis à manger les amuse-gueules. J'ai attrapé un énorme varenik dans ma main. Lui, glissant, chaud, aromatique, ne rentrait pas entier dans ma bouche, et je l'ai bourré avec la main qui se dirigeait déjà vers le varenik suivant, avec une autre garniture. Moi, une fille de dix ans, après un long voyage de Moscou dans la région de l'Amour, j'ai oublié toutes les règles de politesse et les belles manières, je me gavais, recevais des calottes, mais je mangeais, mangeais, mangeais...
J'aime beaucoup faire des vareniki. En regardant un bon film à la télévision et faire cette chose simple, en déroulant la pâte et en y enveloppant de diverses garnitures. Et bien sûr, la toute première rencontre avec cette délicatesse surgit dans ma mémoire. Et pour la centième fois, je raconte à mes proches comment j'ai trop mangé des vareniki quand je les ai vus pour la première fois. Mais j’aime toujours autant ce plat !
* Les vareniki ou varenyky sont un plat national populaire en Russie et en Ukraine et. Ils se présentent sous la forme de raviolis semi-circulaires dont les bords sont scellés avec de l’eau froide. Ces bords peuvent être soit lisses soit striés. Les garnitures des vareniki peuvent varier, mais la version la plus courante est celle aux pommes de terre. Selon la garniture choisie, on les sert comme entrée ou comme dessert. Il est de coutume d’accompagner les vareniki de crème sure russe (smetana).