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Alena Bikkulova : « Depuis l'enfance, j'avais le sentiment que je devais faire quelque chose de spécial»

2021-12
Savez-vous quelle est la différence entre les artistes célèbres et les étudiants de la classe de chant ? Peut-être d’être reconnu par le public ou d’être protégé par des personnes influentes ? Posséder une belle voix ou chanter bien dans les notes justes ? Ou peut-être ce sont de magnifiques costumes qui font le succès des artistes ? Non ! Sans âme, aucun de ces critères n'a de sens. Selon la grande chanteuse française Édith Piaf, chanter une chanson, c’est y infuser de la vie. Cette règle est aussi importante pour l'actrice de théâtre et de cinéma russe, chanteuse, auteur-compositeur, scénariste et réalisatrice Alena Bikkulova.

Alena Alekseevna, vous êtes diplômée de l'Académie d'État de l’art théâtral de Saint-Pétersbourg (cours du professeur G. A. Baryshev), et artiste de théâtre de drame et cinéma. Avez-vous chanté en français quand vous étiez étudiante ?
Quand j'étais en troisième année, notre professeur de chant Mikhaïl Bakerkin m'a proposée de chanter la chanson « Padam, Padam » du répertoire d'Édith Piaf. J'ai senti une sorte d'énergie particulière s'éveiller en moi pour un répertoire aussi dramatique. Néanmoins, lors de l'examen, les professeurs ont déclaré : « Alenochka, Édith Piaf n'est pas pour toi. Ne la chante pas ». C’est qu’ils voyaient en moi plutôt une héroïne lyrique que dramatique. Par conséquent, je ne chantais plus d'Édith Piaf. Cependant, mon amour pour la chanson française ne s'est pas arrêté là, et j'ai commencé à interpréter des chansons plus lyriques, celles de Mireille Mathieu.
A quel moment avez-vous décidé de revenir quand même vers Édith Piaf ?
Quand j’ai terminé mes études à l'Académie de théâtre, on m’invitait souvent à Moscou pour donner des concerts de chanson française. Au début c'était quelques chansons, puis des concerts en solo. J'ai vu l’accueil chaleureux du public et à un moment donné, j'ai réalisé que je devais faire quelque chose de spécial, plus qu’un simple concert. Bien que même alors, je réalisais déjà de petites mise-en-scènes dramatiques entre les chansons afin de raconter une sorte d'histoire d'amour.
Il y a dix ans, je suis venue au Festival de cinéma « Automne d'Amour » à Blagovechtchensk avec une pièce « Ange, jeune fille et metteur en page ». Après le spectacle, nous avons dîné avec tous les artistes dans un restaurant. Il y a eu comme un petit concert. Moi, j’ai décidé d'interpréter une chanson d’Édith Piaf « Milord ». Je me souviens, après ma représentation le président du festival, Sergueï Novozhilov, a dit à notre producteur : « Où avez-vous caché cette jeune fille ? D'où vient-elle ? C'est une merveille ! » Depuis lors, Sergei Vladimirovich m’invitait à ses festivals avec sa chanson préférée « Non, je ne regrette rien ». Après cette reconnaissance, j'ai finalement réalisé qu'Édith Piaf était quand même pour moi, et j'ai décidé de mettre en scène un spectacle solo.

Vous êtes réalisateur et auteur du spectacle solo-concert sur la vie d'Édith Piaf « La vie en rose. Une Femme amoureuse ». Était-ce votre idée à vous de créer une représentation solo ?
Au départ, je n'avais pas prévu d'écrire moi-même un scenario pour un spectacle : je pensais rassembler du matériel et le donner à un scénariste. Mais quand j'ai ouvert les mémoires de Piaf « Ma vie », le scenario s'est en quelque sorte facilement formé à partir des fragments que j'ai pris du livre. Certes, plus tard, j'ai dû le faire deux fois plus court pour que la représentation dure à peu près deux heures. Les larmes aux yeux, j'ai découpé des scènes entières incroyablement bouleversantes. Mais il restait une étape suivante: travailler avec un réalisateur. J'avais besoin que quelqu'un me dise ce que je devais faire sur la scène.

Le théâtre d'un acteur est l'un des types les plus difficiles de l'art théâtral. Vous avez réussi à tisser ensemble de l'art, une belle voix puissante et un drame de la vie. Qui vous a soutenu au moment où l'histoire du concert solo a à peine commencé ?

À ce moment-là, j'ai été soutenu par Tatyana Vladimirovna Pavlovets, notre professeur d'orthophonie de l'Académie de théâtre, que j'ai appelée pour demander de voir ce que j'avais trouvé. Elle a dit : « Alena, tu es une jeune fille sérieuse, tu réussiras certainement. N'écoute personne, fais ce que tu ressens toi-même !» Ces mots m'ont tellement inspirée que j'ai enfin pu croire en moi-même et en mes capacités ! En fait, il y a des moments où vous avez juste besoin d'entendre des mots d'encouragement pour commencer à créer. J'ai regardé des vidéos en solo sur Internet, j'y ai cherché des idées, j'ai tricoté quelque chose à partir de l'expérience de l'Académie de théâtre et j'ai beaucoup inventé moi-même. Je marchais d'un coin à l'autre de la maison, un texte a la main, inventant des scènes, des accessoires, de la lumière. Il est difficile d'expliquer cette condition. Je pense que c'est comme si vous étiez emporté par une sorte de courant divin et, pour ainsi dire, vous n'êtes plus sur terre.
Comment s'est déroulée la première du concert solo « La vie en rose. Une femme amoureuse » ? Après tout, vous ne saviez pas encore à l'époque que votre travail serait très apprécié et récompensé par un Diplôme spécial du jury du XIe Festival International des spectacles solo «Monocle».

Vous savez, le spectateur a l'habitude de m'entendre chanter des romances et des chansons lyriques, et voilà, du coup, je parle de la drogue, des hommes... Bien sûr, j'étais inquiète et je ne savais pas comment le public m’accueillerai dans ce rôle inhabituel. Mais lorsqu'à la fin du spectacle, le public m’avait applaudie debout pendant 15 minutes, j'ai ressenti un grand soulagement, de la joie et un sentiment de victoire. J'ai fait ce que je voulais et j’y suis arrivée ! Le jour de la première, il m'est arrivé des choses inexplicables. Comme si Piaf elle-même m’avait parlé. Par exemple, à la fin du premier acte, il y avait la célèbre chanson « Mon Dieu ». Dans mon spectacle elle est dédiée à Marcel Cerdan, mort dans un accident d'avion. C'est une prière pour la vie d'un homme, dans laquelle je demande au Dieu de ne pas emporter mon bien-aimé. Comme prévu, je termine la chanson, une bougie à la main. Vient ensuite le black-out. Pendant la première du spectacle, j'ai chanté su fougueusement que j'ai éteint la bougie tout à fait par hasard, avec mon propre souffle. Plus tard, j'ai réalisé que c'était un merveilleux coup de réalisateur ! C'est-à-dire que Marcel Cerdan est mort et la bougie s’est éteinte. Or, grâce à cette trouvaille, qui est née lors de la première, à la fin du deuxième acte, je fais voir que la bougie ne s'est pas éteinte. Édith Piaf se marie avec Theo, aux sons joyeux de « L’Hymne à l’amour » ce qui signifie que les amoureux se retrouveront surement au paradis !

C’est incroyable !

Oui ! Cependant, l'inexplicable ne s'arrête pas là. Il y a un fragment dans la pièce où je parle d’un rêve d'Édith Piaf. Assez souvent, la chanteuse voyait dans ses rêves un coup de téléphone. Elle a répondu au téléphone, mais il y avait eu un silence à l'autre bout du fil. Elle n’entendait que des sanglots... Édith se réveillait du cauchemar et un certain temps après, elle rompait avec son bien-aimé. Je raconte cette histoire dans le spectacle au moment où Théo lui demande en mariage, et elle, elle attendait le retour de ce cauchemar. Juste au moment où je devais reparler de ce rêve, un coup de téléphone a retenti dans la salle. Cela a fait bizarre, parce que pendant tout le spectacle c’était du silence…

Vous êtes metteur en scène et auteur des spectacles-concerts en solo non seulement sur Édith Piaf, mais aussi sur d'autres femmes incroyablement courageuses. Vous avez aussi créé le spectacle sur Anna German « Brille, brille, mon étoile ! » et « Révélations d'une femme aimante » pour lequel vous avez écrit les poèmes et la musique... Quelle idée aimeriez-vous transmettre au spectateur avec vos représentations en solo ?
J'ai créé le spectacle en solo sur Édith Piaf pour que les spectateurs comprennent que les artistes sont aussi des personnes ordinaires. Et ils peuvent aussi souffrir ou se décevoir... En dévoilant les destins dont je parle dans mes représentations, je veux montrer qu'il n'y a pas de vie idéale où tout est beau et sans nuages. De toute façon, la vie est en quelque sorte un combat. Tout d'abord pour le bonheur. Il arrive que l'on vive un drame, mais l'essentiel est d'en sortir, d'ouvrir son cœur à l'amour et d'arrêter de regarder en arrière.

En plus d'Édith Piaf, vous avez joué d'autres héroïnes, dont la vie était liée avec la culture et l'histoire de France. Êtes-vous déjà allée au pays des lumières vives et des croissants frais ?

Je suis allée à Paris il y a une dizaine d'années et juste pour quelques jours. Et pourtant, j'adorerais découvrir des villes différentes pour mieux connaître la France ! Peut-être que mon Édith Piaf pourrait faire un tour en France, ce serait formidable d'amener ma représentation dans la patrie de cette grande chanteuse.

Lorsque vous êtes sur la scène, on a l'impression que vivez la vie de votre héroïne. Avec elle, vous ressentez des joies et des peines, des hauts et des bas. Est-il vraiment facile de planer sur une balançoire de la vraie vie au théâtre ?
Chaque fois que je monte sur la scène, il me semble que je me révèle à nouveau, je revis de nouveaux sentiments, de nouvelles émotions. Bien sûr, j'ai beaucoup d'expérience professionnelle, donc il y a eu des représentations dans ma vie, un « nez froid » (comme on dit quand les étudiants de l'Académie jouent faux et ne sont pas sincères sur la scène). Bien sûr, j’ai vite réalisé que je n’aime pas comme être comme ça. Je pense que c'est ainsi que l'art devient une routine. Et le spectateur ressent tout, il est impossible de le tromper. L'artiste doit comprendre ce qui le touche et l’émeut, ce qu’il peut exprimer, raconter par telle ou telle chanson, tel ou tel rôle. Ensuite, toutes les représentations et tous les concerts seront différents et l'artiste s’épanouira professionnellement et spirituellement.

Dans la pièce « Le Soleil de Paris » vous incarnez trois femmes célèbres dont tout le monde connaît les noms : Édith Piaf, Simone Signoret et Marilyn Monroe. Bien sûr, chacune d’elle était absolument particulière, avait son caractère, vivait sa vie... Il devrait être difficile dans le cadre d’un spectacle de passer d'un caractère à une autre ?
J’ai travaillé mes rôles dans la pièce « Le Soleil de Paris » sans aide de metteur en scène. J'ai appris le scenario, regardé les vidéos avec Irina Medvedeva, qui avait interprété ces rôles précédemment, et c'est tout. Par conséquent, j’ai dû suivre mon intuition et ma nature. Mais, bien sûr, travailler avec un bon réalisateur est toujours un grand bonheur pour un artiste, cela aide à se perfectionner professionnellement. Par exemple, dans la comédie musicale « La dame de Pique », Sophia Streisand a travaillé sur chaque regard de ma Dame de Pique, sur chaque petite mimique sur mon visage. Et c'était super !
Dans « Le Soleil de Paris », je montre les héroïnes telles que je les vois moi-même. Simone Signoret - une femme douce et sacrificielle. Marilyn Monroe - une actrice séduisante et en même temps absolument solitaire qui avait tant besoin d’un vrai amour.

« La Dame de Pique » est une comédie musicale sur l'amour, le mysticisme et la passion, d’après le récit d'Alexandre Pouchkine. Vous avez récemment rejoint la troupe. Vous a-t-il été difficile de vous préparer pour le rôle principal ?

J'ai rejoint ce spectacle assez rapidement, et c’est pourquoi c’était intense. Premièrement, je n'ai eu qu'une seule répétition le jour de la première. Deuxièmement, dans mes solo et mes concerts, je suis habituée à ne compter que sur moi-même, mais dans un mécanisme aussi complexe qu'une comédie musicale, il faut savoir fonctionner en tant qu’une partie d'une grande équipe. C'est un travail complètement différent dont je n'avais pas eu d'expérience depuis plusieurs années. Dès lors, la pièce « Le Soleil de Paris » est devenue une sorte de passerelle vers un projet si grandiose ! Et si, dans le premier je jouais avec deux artistes, dans « La dame de Pique » j'interagis avec une énorme troupe. Et je suis très contente de cette nouvelle expérience, car c'est un pas vers quelque chose d'encore plus intéressant.

L'un des événements les plus remarquables pour vous cette année est votre participation à la téléréalité « Défi. Premiers dans l'Espace ». Il s'agit d'une émission télé sur ceux qui ont atteint la finale de la sélection pour le rôle féminin principal dans le long métrage « Le défi » et se sont retrouvés à quelques pas de leur voyage vers la Station Spatiale Internationale. Rappelez-vous comment vous avez postulé à ce concours de la « Première Chaine » (« Pervy Kanal »)? 

Ma particularité est de tout faire au dernier moment. Je me prépare longtemps, mais finalement je me concentre et je fais ce que je dois. C'est ce qui s'est passé avec « Le défi ». Le 30 décembre j'ai enregistré une vidéo ou je récitais la lettre de Tatiana à Onéguine, et le 31, la date limite de candidatures, j’ai envoyé la mienne. Pendant plus de deux mois, il n’y a pas eu de nouvelles. Et le 8 mars, le jour de mon anniversaire, j'ai donné un concert, à la fin duquel je suis descendue de la scène et j'ai vu plusieurs appels manqués. Lorsque j'ai rappelé, le rédacteur en chef de la « Première Chaine » m'a dit que sur 3 000 femmes, 20 finalistes avaient été sélectionnées. Moi, j'étais parmi elles !
 J'ai vécu des moments incroyables au Centre d'entraînement des cosmonautes Youri Gagarine. Je m’en souviendrai toute ma vie ! C'était comme si j'avais déjà volé dans l'espace !

Malheureusement, à l’étape de l'examen médical, vous avez dû abandonner le concours. Ce serait dommage que ce soit à cause de la santé - un facteur qui ne dépend pas du succès dans la profession ?

Non, je n’ai pas regretté, car je fais confiance au destin. Je crois qu'il faut frapper à toutes les portes, profiter de toutes les occasions qui se présentent… et « advienne que pourra ». Celle qui devait partir dans l’espace, y est partie. Le principal est que j'ai pris plaisir à participer au projet. En plus j’ai réussi aux examens des psychologues. Je pense que c’est aussi important. Cette expérience m’a permis de faire preuve d’une grande endurance et persévérance, de mes capacités de m’entendre bien avec les gens.

L'amour est l’essentiel pour vous. C’est un sentiment que vous offrez à vos spectateurs « à chacun séparément, et a tous ensemble ». Ressentez-vous un retour de leur part ?
Un jour en revenant d’un concert solo, alors que j'allais à l'aéroport et il faisait déjà nuit, on m'a transmis un sac plein de confitures et de fruits de la part d’une de mes spectatrices. Il y avait ainsi une lettre sur 20 pages. Elle y racontait qu’en rentrant à la maison, après mon spectacle, elle avait ressenti ce besoin de me parler de sa vie difficile… de son fils récemment tué, de ses longs jours passés en solitude entre quatre murs sans force ni courage de faire quelque chose. Elle disait qu’elle attendait mon concert car elle avait vu mes représentations précédentes et elles l'ont touchée. Elle croyait que cela pouvait l'aider à revenir à la vie. Et cela est arrivé. Dans sa lettre, elle disait que je l’avais « ramenée à la vie, lui ai insufflé la vie ». J'ai lu cette lettre dans l'avion et j'ai pleuré, réalisant à quel point mon travail est important et quels résultats il apporte. C’est un grand bonheur qu’avec ma créativité je puisse donner de l’espoir aux gens et les aider à croire au bonheur et à l’amour.

Site: http://www.bikkulova.ru
Instagram: @alena_bikkulova