Pourquoi souhaiter écrire un article au sujet des icônes de Russie et de France alors que de très beaux livres d'art leur sont déjà consacrés ? En toute modestie, je désire rendre hommage à un ami disparu adonné à cet art difficile qui en avait fait son refuge spirituel et qui a eu la bonté de partager sa passion au cours de nos longues discussions où j'ai appris qu’icône vient du grec : eikona, image, que l’icône en sa matérialité indique la présence du Christ vivant, qu’elle est symbolique de la relation du croyant à Dieu en présentant l’image du Christ, de la Vierge ou d’un sain à la vénération des fidèles.
La peinture des icônes devient-elle à la mode ?
Il y a eu un «renouveau» dans la «production» d'icônes après la chute de l'URSS, je dis bien «production» car il n'y a pas, à priori, de renouvellement dans le style. Ce renouveau est bien évidemment lié au retour du religieux à la fin de l'ère communiste, et donc une demande des fidèles, mais surtout du fait que l’Église orthodoxe soit devenue maintenant une entité importante en Russie.
La relance de la peinture des icônes et de l'art religieux en général a eu lieu dès les années 90 avec la restauration des églises rendues au culte. Les spécialistes (il y en avait quelques-uns dans la période soviétique) étaient rares, les gens (d'eux-mêmes ou poussés par l’Église) ont participé bénévolement à la restauration du patrimoine religieux du mieux qu'ils pouvaient sans forcément maîtriser la technique.
L’Église a développé des écoles ou simplement des cours ouverts à tous d'art religieux parallèlement à la formation théologique. Ce renouveau religieux de la fin des années 90 à la première décennie 2000 avait encore quelque chose d'authentique et de spirituel, alors depuis une dizaine d'année, en Russie l’Église orthodoxe bénéficie largement des subsides de l’État et des baronnies de provinces.
Les principales écoles d'apprentissage à la peinture d'icônes sont évidemment les écoles théologiques ou bien des centres de formation de l’Église orthodoxe dont je ne parlerai pas ici, par méconnaissance.
D’autres cours d'initiation, ne dépendant pas de l’Église, se sont développés dans les grandes villes et également en ligne.
Actuellement, en dehors même du culte orthodoxe, la plupart des églises catholiques de France proposent des icônes à la vénération des fidèles. Elles y sont mises au même rang que les statues ou les crucifix, qui traditionnellement ont cette fonction cultuelle en Occident. Elles ont même parfois une place d'honneur dans l'église.
Il existe un engouement flagrant pour la peinture d'icônes de la part des artistes français, des ateliers très nombreux se sont créés dans toutes les villes et presque chaque monastère d'obédience catholique propose des retraites religieuses de dix ou quinze jours durant lesquelles les fidèles s'adonnent à l'art de peindre une icône.
Actuellement, dans chaque demeure pieuse, il n'est pas rare de voir une icône voisiner avec les tableaux de famille.
De nombreux prêtres orthodoxes et enseignants en iconographie se plaignent du manque de sérieux de certains ateliers. Vérité ou jalousie ?
Que ce soit en Russie comme en France, il faut distinguer les ateliers de production en nombre, ceux destinés aux amateurs d'art et ceux qui relèvent d'une pratique ascétique, d'un chemin vers Dieu.Dans les lieux de production intensive, les icônes dites « fait main » le sont réellement, mais d'une façon peu « respectueuse ». Chaque exécutant ne traite qu'une phase à la fois, le plus doué pour les visages peindra que des visages, le plus habile à poser la feuille d'or ne fera que les fonds, etc. La pièce passe de mains en mains jusqu'à l'inspection finale, ces icônes valent malgré tout très cher.
Les ateliers laïques présents dans les villes de Russie ou de France sont de qualités très variables.
Il y a des ateliers où la recherche de l’icône parfaite débute par la découpe d'une planche de bois dans une bûche soigneusement sélectionnée, se poursuit par sa préparation et celle des couleurs ; dans d'autres ateliers, il est d'usage d'acheter un panneau de tilleul tout prêt chez le marchand de couleurs, de la peinture en pot et le reste du matériel nécessaire. Il est évident que dans ce dernier cas, vous manquez beaucoup de choses importantes qui sont contenues dans le processus technologique lui-même.
Et enfin, bien entendu, certains ateliers sont renommés pour le prestige de l'enseignant et la qualité de ses œuvres personnelles d'autres sont proposés par des amateurs habiles qui monnaient leur savoir-faire.
Les ateliers monastiques de France hébergent très souvent de véritables ateliers d'icônes, les élèves qui ne sont pas des moines mais des personnes qui effectuent souvent une retraite religieuse (ce n'est pas obligatoire), y œuvrent pendant au minimum six heures par jour sur une durée de plusieurs jours., le reste du temps étant consacré aux offices catholiques, au repos. Il est nécessaire de prévoir plusieurs cessions pour bénéficier des conseils du maître, de poursuivre le travail chez soi car peindre une belle icône requiert pour eux environ un an de travail.
Les étapes de fabrication d'une icône, la technique
L’apparition des premières icônes fait l’objet de récits liant la naissance de ces images saintes à la volonté et à la vie du Christ lui-même. Toutes les icônes seraient issues de cette première image miraculeuse, dites « acheiropoïètes », c’est-à-dire non faites de la main de l’homme, tel le mandylion : le Christ aurait imprimé les traits de son visage sur un drap de lin pour l'envoyer au Roi Agbal afin que celui-ci soit guéri de la lèpre au contact de ce linge devenu l’icône de la Sainte Face.Avec une telle charge émotionnelle, à travers chaque action, à travers la répétition de certaines formules, symboles, une personne s'implique dans ce qu'elle fait. Idéalement, le travail d'un peintre d'icônes doit être un service qui a du sens, le sens remplissant chaque étape, de la recherche des matériaux aux finitions.
Les fournitures de base sont : un panneau de bois de dimension voulu, de préférence du bois de tilleul, de la colle, du gesso ou blanc de Meudon en poudre pour la préparation du levkas, des brosses et spatules larges à enduire, des papiers de verre plus ou moins fin.
Pour la pose de l'or : un bol, des feuilles d'or 22 carats, de la mixtion « trois heures », une pierre d'agate coudée pour le brunissage.
Pour la peinture : des pinceaux fins en purs petit gris ou en martre, le plus utilisé étant le n°2, plus les calibres 6, 10 et 20. Parmi les pigments à choisir : les ocres (notamment jaune et rouge), l'oxyde rouge, le rouge vermillon, le blanc de titane, l'oxyde noir, le vert anglais, le bleu outremer. Il est nécessaire de les broyer finement à l'aide d'une molette en verre et d'une plaque en verre dépoli.
Pour le vernissage : de la gomme laque.
Pour commencer le travail, il est précieux de réserver un instant de prière et de méditation, avec la récitation de « tropaires » ou prières dédiées aux saints représentés, et avec la « Prière de l’iconographe » :
« Seigneur, Maître Divin De tout ce qui existe, éclaire et dirige L’âme, le cœur, et l’esprit de ton serviteur / de ta servante, Conduis ses mains, Qu’elles puissent représenter Dignement, parfaitement, ton image, Celle de la Sainte Mère Et celles de tous les Saints Pour la gloire, la joie Et l’embellissement de ta Sainte Église. »
Le choix du support de l’icône est une étape essentielle. Le panneau de bois doit être taillé dans le sens du fil. La surface à peindre peut-être laissée plane ou bien être creusée, à l’aide de gouges car un panneau creusé protégera mieux la peinture contre d’éventuelles rayures.
La première étape consiste à hachurer le panneau avec un cutter pour faciliter l'adhérence de la colle chauffée. Après séchage, une seconde couche est appliquée, ensuite on recouvre la surface du panneau d’une toile de coton ou de lin imprégnée de colle. Cette toile protégera la peinture des mouvements du bois ; d’autre part, sur un plan symbolique, elle évoque aussi le mandylion.
L’opération suivante consiste à préparer le levkas, c'est-à-dire l'enduit qui constituera le support définitif de la peinture. Il s’agit d’un mélange de colle et de blanc de Meudon que l'on fait chauffer à la casserole. Le mélange est appliqué encore chaud sur le panneau, au moyen d’un pinceau, en sept couches successives, en laissant chacune bien sécher et en la ponçant soigneusement avant d'appliquer la suivante. Le but de cette étape, l’une des plus longues de la préparation du panneau, est d’obtenir une surface parfaitement lisse, compacte et sans défaut, prête à recevoir le dessin préparatoire et les couleurs.
L’iconographe peut réaliser son dessin, à main levée ou en se servant de modèles hérités de la tradition, des copies de maîtres. En devenant objets de vénération pour les fidèles, les icônes ont été soumises, dès le VIII siècle, à de sévères contraintes artistiques (sources d'inspiration stéréotypées, rigueur du trait, jeux des couleurs). Jusqu'à nos jours, ces canons se sont perpétués, assurant l'étonnante continuité de cette peinture dédiée à la gloire de Dieu.
L’or peut être appliqué sur l’icône de façon étendue (fond) ou bien localisée (nimbes, assiste), cette couleur symbolise la présence divine, exactement comme sur les coupoles des églises orthodoxes.
Pour poser des feuilles d’or, la surface de l’icône doit être polie et lissée à l’aide d’un brunissoir avec une pointe en agate. On pose ensuite une ou plusieurs couches de gomme laque, qui a pour rôle de fixer l’or. On laisse sécher et on passe la mixtion qui permet de coller. Après un temps de pose de trois heures, on peut appliquer très précautionneusement l’or à la feuille. Les barbes d’or qui n’ont pas adhéré à la surface peuvent être enlevées au moyen d’un pinceau très doux. L’or est ensuite protégé par une ou plusieurs couches de gomme-laque. Le passage de ce vernis a une valeur symbolique : il représente un « mur » avec le monde du divin que symbolise l’or.
La palette de l’iconographe se compose d'une gamme variée de pigments naturels en poudre, d'origine minérale ou végétale. Avant toute utilisation, les pigments doivent être affinés par broyage, idéalement au moyen d'une molette en verre sur une plaque en verre dépoli ou en marbre. La technique de préparation des couleurs est celle de la détrempe à l’œuf : les pigments sont liés entre eux à l’aide d’un mélange d’eau, de vinaigre et de jaune d’œuf. Le jaune d’œuf est le liant idéal pour les pigments : les protéines épaississent l'émulsion, les lipides forment une couche protectrice, et les lécithines stabilisent le mélange.
La peinture peut être réalisée à plat sur une table, ou bien sur chevalet. Mais le plus souvent, le peintre alterne l'une et l'autre possibilité, selon la technique employée. En effet le travail à plat est le plus adapté à la réalisation des fonds et autres surfaces étendues. Le travail sur chevalet est surtout appréciable pour les détails, les finitions et l'inscription. Assis devant son chevalet, l'iconographe s'aide d'un long bâton qui lui permet de prendre appui sans risquer de toucher la surface de l'icône en préparation, et lui tient également lieu de règle pour tracer des lignes droites au besoin.
L'iconographe applique d’abord les couleurs de base dans une tonalité sombre. Après séchage, il travaille par couches successives et par juxtaposition, colorant les différentes parties de l'icône par gradation des tons, soit en appliquant les couleurs du ton le plus foncé au plus clair, en terminant éventuellement par des rehauts de blanc. Ces éclaircissements successifs ont une signification spirituelle : dans une icône, la lumière ne doit pas provenir de l'extérieur, mais de l'intérieur de l’œuvre.
Pour terminer, on écrit le nom du personnage ou de la scène représentée sur l’icône. Les mots sont très souvent abrégés ou contractés par gain de place. Il est préférable que le texte soit tracé en rouge ainsi que le contour du nimbe. Cette inscription, qui peut être réalisée en plusieurs langues, mais qui l’est traditionnellement en grec ancien, consacre la fidélité de l’icône au prototype.
Conclusion
Plutôt que peindre ou réaliser, à l'issue de cette lecture, on préférera dire « Écrire une icône » car c’est un long chemin comportant de nombreuses étapes qui nécessitent application et patience pour perpétuer l'immuable présence de Dieu, de la Sainte Vierge et des Saints.On notera la subtile et profonde démarche d'aller du sombre vers la lumière comme un chemin mystique, une renaissance ou des pas vers le divin pour les croyants.
Regarder une icône, comme l'écrire, la peindre est un véritable recueillement spirituel, une démarche ascétique, un engagement religieux à la recherche de la lumière divine, hors de notre monde tel que nous le percevons réellement.
Listes d'écoles et de cours
1) Liste des écoles de peintures d'icôneshttp://www.hristianstvo.ru/life/education/iconpschools/
2) Catalogue des ateliers de peinture d'icônes en Russie
https://iklimov.ru/katalog_masterskih
3) Projet « icônes de Russie » du centre d'information du ministère de la Culture de la Fédération de Russie, sur l'art russe ancien et l'art de l'Église orthodoxe russe.
http://www.iconrussia.ru/eng/index.php
4) Centre de peinture d'icônes « Icônes russes - 21e siècle » à Moscou
https://www.rusicona21.ru/
https://xn--21-6kcamsqocf1alvoa4a2s.xn--p1ai/
5) École russe de peinture d'icônes (formation en ligne)
https://rish.tb.ru/
6) Interview de Elena Stajouk peintre d'icônes et créatrice du principal centre de formation en ligne de peinture d'icônes « Ecole russe de peinture d'icônes » (site ci-dessus)
https://63.ru/text/business/2021/06/09/69957806/
7) Site du peintre d'icônes Vladimir Frontinsky (cours à Saint-Pétersbourg)
https://azbyka.ru/frontinskiy/obuchenie-ikonopisi
8) École en ligne de peinture d'icônes « Icône Ferapontovskaya » (village de Ferapontovo dans l'oblast de Vologda)
https://ikonaferapont.ru/onlinshkola
9) École d'iconographie « Sofia » à Moscou
https://sofia-icon.ru/#rec299180791
10) Formation à la peinture d'icônes (atelier de Ekaterina Ilyinskaya à Moscou)
https://icon-art.ru/Obuchenie_ikonopisi.html
11) Site officiel du Département de peinture d'icônes de l'Académie théologique de Saint-Pétersbourg https://icon.spbda.ru/
12) École d'art appliqué de l'église et de peinture d'icônes « Andrei Roublev » à Ekaterinbourg