L’éventail avec une longue histoire en Chine n'est plus seulement un objet du quotidien. Les changements de matériaux et de formes, la transformation des fonctions et l'infusion de connotations culturelles offrent des conditions pour la génération et le développement de la culture de l'éventail chinois. La constitution de cette culture, liée avec divers facteurs tels que l'étiquette de la cour, la littérature, l'art et l'artisanat populaire, est riche et diversifiée. Elle reflète les idéologies, les styles de vie et les goûts esthétiques de diverses classes sociales dans l'histoire chinoise et produit des métaphores et des symboles multidimensionnels. L'éventail, chargé des émotions subtiles et des souhaits ardents des lettrés et raffinés, incarne de profondes connotations littéraires et artistiques chinoises. Sous la dynastie des Tang qui est l'apogée de la société féodale chinoise, la culture de l’éventail s'est développée à pas de géant et celle de l’éventail rond est la plus représentative, devenant le courant dominant de cette époque. Dans les œuvres littéraires, en particulier dans les poèmes des Tang, il existe beaucoup de descriptions de l’éventail rond.
Il est supposé à partir des données archéologiques que l'utilisation d'éventails chinois n'était pas postérieure à l'apparition de la poterie néolithique. En Chine antique, les éventails servaient d’objets rituels, comme des drapeaux. Le monarque légendaire Shun utilisait un éventail comme symbole de recrutement de talents. Les voitures à cheval des nobles de la cour sous la dynastie des Shang étaient équipées d'un grand éventail avec un long manche pour se protéger du soleil et de la pluie, qui a évolué progressivement en baldaquin. Symbole du statut aristocratique et de l'autorité, c’est l'une des premières manifestations de la culture de l'éventail chinois.
Sous la dynastie des Tang, les manifestations de la culture de l’éventail rond devenait plus riche et plus variée. La fabrication d'éventail rond peut être décrite comme l'ingéniosité de l'artisan et le merveilleux tissage de la tisseuse. Généralement la monture d'un éventail rond est en bamboo et symétrique avec une poignée comme axe central. La feuille d'éventail est faite de tissus de soie blancs, et avec le développement rapide de la technologie de fabrication du papier sous les dynasties des Sui et des Tang, la feuille d'éventail en papier est progressivement devenue populaire. L'éventail chinois, à l'origine décoré de calligraphie, de peinture et de sculpture, était étroitement lié aux arts, puis est progressivement devenu leur support. Les anciens décrivaient autrefois la finesse de la monture d'un éventail rond comme de « la pointe de lanugo », et la légèreté du tissu de soie comme « les ailes de cigale ». En raison de l'artisanat exquis et de la texture adaptée à la calligraphie et à la peinture, l'éventail rond a un charme unique et est très apprécié pour la sculpture de sa poignée ainsi que la calligraphie, la peinture et la broderie sur la feuille d'éventail. Sous la dynastie des Tang, l'éventail rond a été introduit au Japon et est toujours apprécié et utilisé par les gens après une série de développements et d'évolutions.
Dans la culture chinoise ancienne, l'éventail rond est souvent considéré comme un symbole de la beauté des femmes classiques. La femme tient un éventail rond léger et doux en se déhanchant, ce qui peut démontrer la féminité unique. Le visage à moitié caché derrière un éventail rond représente la timidité et la beauté réservée des femmes chinoises. Sous la dynastie des Tang qui est une époque florissante de poésie et de musique, la mariée se couvrait le visage avec un éventail rond et le marié devait composer un ou plusieurs poèmes avant qu’elle ne retire l'éventail et révèle sa beauté. Les danseuses aimaient également utiliser leurs éventails pour cacher les visages et mettre en valeur les figures gracieuses, rendant la danse plus enchanteresse et émouvante.
Dans la poésie classique chinoise, l’éventail peut être considéré comme une image de longue date. Depuis la dynastie des Tang, l’idée que les poèmes et les peintures pouvaient non seulement décorer mais également représenter les éventails s'est largement répandue, et presque tous les poètes célèbres de l'époque ont écrit des poèmes sur les éventails. L’éventail rond a plusieurs formes comme celle de fleurs de prunus mume et de malus spectabilis, mais bien sûr, la forme ronde reste la plus courante. Cette forme contient la compréhension que les gens ont de l'univers dans la société chinoise ancienne, et est un symbole sacré de plénitude et d'harmonie. La lune est chargée de la nostalgie et de l'amour du peuple chinois depuis toujours, et la pleine lune représente le moment de la réunion familiale et de bonheur. Comme l'a écrit le poète Li Bai de la dynastie des Tang dans son poème Pensées d'une nuit calme : « Levant la tête je contemple la lune brillante, Courbant la tête je pense à mon pays natal. » L'éventail rond en forme d'une pleine lune, également appelé l’éventail des plaisirs partagés, a à la fois l'expression de nostalgie et d’amour et le sens de retrouvailles dans la poésie des Tang.
Mais à l'opposé de ces métaphores, il devient aussi souvent l'image de chagrin de la séparation. En tant qu’objet du quotidien, l’éventail rond est utilisé pour chasser la chaleur estivale et peut être mis de côté en automne. Ban Jieyu, une femme talentueuse de la dynastie des Han de l'Ouest, était autrefois la favorite de l'empereur, mais est finalement tombée en disgrâce à cause des calomnies. Dans son poème Chanson en manière de doléance, elle a non seulement utilisé un éventail rond pour se décrire, exprimant ses véritables sentiments de tristesse qu'elle espérait un amour heureux mais la réalité n’avait pas répondu aux espérances, mais a également profondément révélé la psychologie générale et le destin tragique des femmes dans la société féodale. L’éventail rond est ainsi devenu une image classique dans la poésie chinoise ancienne.
Chanson en manière de doléance
Dans un satin de Qi récemment découpé,
Pur et immaculé, comme neige et gelée,
J’ai conçu l’éventail des plaisirs partagés.
Il est tout arrondi, comme lune brillante,
Caché en votre manche, il en sort et y rentre.
La brise s’élève lorsque vous l’agitez !
L’équinoxe d’automne souvent me fait peur
Et son froid tourbillon évinçant la touffeur.
Au fond d’une mallette, alors abandonné,
De votre affection la voie sera coupée !
(Traduit par Rémi Mathieu)
La pureté et la dignité de la jeune fille était comme le célèbre satin pur et immaculé. « L’éventail des plaisirs partagés » est un éventail rond avec des motif symétrique, qui symbolise un bel amour et une famille heureuse. L’éventail comme « lune brillante » signifie non seulement la beauté de la jeune fille Ban Jieyu, mais aussi son aspiration à l’amour. Alors que le début du poème montre la délicatesse de l'éventail, ce sont aussi les bons souvenirs de Ban Jieyu de son adolescence. En utilisant les manches pour ranger des choses, les anciens emportaient toujours un éventail avec eux quand il faisait chaud, tout comme l'empereur avait autrefois une passion pour la femme. La jeunesse enfuie est comme l’automne à venir, et le « froid » du fait que l’empereur avait une nouvelle amoureuse a évincé l’amour passionné pour Ban Jieyu qui se croyait abandonnée comme l’éventail. Il est difficile pour les empereurs féodaux d'avoir un amour unique, les calomnies et l'amour perdu faisaient peur à Ban Jieyu, et ce qui l'inquiétait est en effet devenu une réalité.
Les lettrés admiraient le talent de Ban Jieyu et déploraient son expérience. Les poètes célèbres des Tang, tels que Li Bai, Liu Yuxi et Wang Changling, ont emprunté l'image de l'éventail rond dans Chanson en manière de doléance pour écrire sur le destin tragique des beautés dans leur création poétique, ce qui exprime, d’une part, la peur et le ressentiment des poètes face aux calomnies et, d'autre part la tristesse d'être incapable de réaliser leurs ambitions malgré leurs talents. Le poète de la dynastie des Tang, Du Mu, était si talentueux qu'il a écrit Le Palais Epang à l'âge de 23 ans. Ses quatrains à sept caractères sont particulièrement appréciés, et son style unique a créé l'apogée de la poésie à la fin de la dynastie des Tang.
Petit-fils du premier ministre (dans la Chine féodale), il était impatient de consacrer ses talents au peuple et à son pays. Cependant, la tendance au déclin de la dynastie des Tang a été difficile à inverser. Le gouvernement était chaotique et des luttes pour le pouvoir se déroulaient. Du Mu, homme droit et intègre qui méprisait les flatteurs, est devenu une victime de la bataille partisane. Incapable de réaliser son ambition, il a fini par s’éloigner de la politique. Son poème Soir d’automne est un classique sur l’éventail rond.
Soir d’automne
Dans le froid de l’automne, la bougie argentée éclaire le paravet peint
de son petit éventail de gaze, elle écarte les lucioles
sur les marches du Palais, la nuit paraît fraiche comme l’eau
assise, elle regarde le Fileuse et le Bouvier
(Traduit par Georgette Jeeger, L’Anthologie de Trois Cents Poèmes de la dynastie des Tang)
Ce poème dépeint la vie de palais dans la nuit froide d’automne. La faible lumière de la bougie argentée, qui ajoutait une tonalité sombre et froide au paravet peint, produit visuellement un sentiment de froideur et de mélancolie, ce qui fait ressortir la solitude des personnages. Un petit éventail de gaze qui écartait les lucioles rend tout le poème vivant. Du Mu emprunte l'image de l'éventail rond dans le poème de Ban Jieyu et décrit implicitement que la femme solitaire du palais, qui n'était pas aimée par l'empereur, ne pouvait qu’écarter les lucioles pour passer le temps et dissiper la tristesse. « La nuit paraît fraiche comme l’eau » implique que la nuit était profonde et froide, mais la femme ne pouvait toujours pas dormir, assise sur les marches du Palais, et regardait la Fileuse et le Bouvier.
« La Fileuse et le Bouvier » fait référence à l'histoire du Bouvier et de la Tisserande qui est l'une des quatre grandes légendes du folklore chinois. Le Bouvier et la Tisserande, autrefois un couple épris, deviennent deux étoiles, Altaïr et Véga, séparées par la Voie lactée. Chaque année, ils ne se réunissent qu'une seule fois sur un « pont de pies » qui est formé par les innombrables pies volant ensemble. Le jour de leur rencontre, le septième jour du septième mois du calendrier lunaire, est fêté en Chine. Vers Altaïr et Véga, les anciennes femmes chinoises faisaient les vœux d’avoir l'esprit vif, les mains habiles, et un bon mariage. L’aspiration de la femme de palais à un véritable amour et tous ses soucis sont dans son regard vers les étoiles, mais à la fin, elle vieillissait lentement, seule et impuissante. Tout le poème est plein de beauté et de désolation. À travers la vie solitaire et pleine de ressentiment de la femme du palais, Du Mu a écrit la tragédie de sa propre vie et a exprimé sa détresse intérieure.
La combinaison de la poésie des Tang et de la culture de l’éventail rond a hérité des styles anciens des Six Dynasties, et a développé la poésie ci des Song et la poésie qu des Yuan. Pour un thème gracieux ou sentimental, comme l’amour, la séparation, etc., l'image de l'éventail rond était encore fréquemment adoptée et sa connotation s'enrichissait constamment. En termes de matériaux, de forme et de fonction, il existe de nombreux types d'éventails chinois, et la littérature leur a donné de multiples significations. Si l'éventail, en tant qu’objet rituel, représente le pouvoir impérial et que l'éventail rond porte la beauté, les retrouvailles et le chagrin, alors l'éventail de plumes et l'éventail pliant montrent le chic des lettrés et leur ambition d’acquérir des mérites.
Le roi Wu de la dynastie des Zhou a utilisé l'éventail de plumes lorsqu'il attaquait le roi Zhou de la dynastie des Shang, et Zhu Geliang, stratège militaire pendant la période des Trois Royaumes, a commandé les armées avec un éventail de plumes. La fonction symbolique de l'éventail de plumes était renforcée et transmise depuis longtemps, exprimant le désir et la frustration des lettrés qui possédaient des talents non reconnus. Dans Sur la Falaise Rouge pour évoquer le passé, Sushi, poète de la dynastie des Song du Nord, écrit « En éventail de plumes et coiffe de soie, tranquille face au danger, causant et plaisantant, il se rendit maître d’un ennemi réduit en cendres volantes et en fumée. » En rendant hommage à l'ancien champ de bataille et au souvenir de la capacité, de la sagacité, de la stature et des exploits des figures légendaires, le poète exprime indirectement les inquiétudes et les indignations concernant l’impossibilité de réaliser son ambition.
Depuis la dynastie des Yuan, l'éventail pliant, facile à transporter, est progressivement devenu populaire et a également fourni plus d'espace à la création littéraire et picturale. Dans les célèbres œuvres littéraires classiques chinoises des Yuan, des Ming et des Qing, telles que La Chambre de l'Ouest, Le Pèlerinage vers l'Ouest, Le Rêve dans le Pavillon rouge, les éventails construisent des intrigues importantes, favorisent le développement de l'histoire, façonnent les caractères des personnages, suggèrent leurs destins, voire l'ascension et la chute de toute une famille ou de l'époque.
La culture de l’éventail chinois, qui a une histoire de plus de 3 000 ans, s'enrichit constamment. De nos jours, dans ce pays vaste et riche en ressources, il existe de nombreux matériaux pour fabriquer des éventails et d'innombrables éventails célèbres sont produits dans tout le pays. Dans les musées, dans l'artisanat traditionnel, dans la création artistique telle que la calligraphie, la peinture et la sculpture, dans la vie et les cœurs des gens, l'éventail en tant que patrimoine culturel immatériel national raconte toujours au monde l'histoire de plus de 3 000 ans.
L'éventail, symbole d'autorité, décor de beauté et d'identité sociale, accessoire pour la danse, le théâtre et d'autres arts du spectacle, joue un rôle important dans la culture rituelle et musicale chinoise ainsi que dans la culture des coutumes du mariage. Il n'est pas seulement l'objet de la création littéraire et artistique, mais aussi le porteur de la poésie, de la peinture, de la calligraphie, des sentiments et des aspirations des créateurs.
L'éventail chinois, qui intègre la poésie, la calligraphie, la peinture, la broderie, le tissage et d'autres arts, est exquis et élégant, ce qui en fait l’œuvre d'art avec une valeur esthétique et une valeur de collection extrêmement élevées. Depuis les temps anciens,les gens choisissent souvent des éventails comme cadeaux pour la famille, l'amour et l'amitié afin de renforcer les relations.
La culture de l’éventail a un fort pouvoir d'expression de la culture traditionnelle chinoise. Les éventails, autrefois offerts à des amis internationaux en cadeaux de la Chine, sont devenus des messagers d'échanges interculturels avec des connotations culturelles au-delà de la valeur pratique.