Salut! Ça va?

Cédric Gras : « La planète m’intéresse sous toutes ses latitudes »

2021-11-01 15:41 2021-11

Cédric Gras - géographe, voyageur, alpiniste passionné, auteur des livres et des films documentaires qui nous emmènent dans les coins et recoins méconnus de Russie et de l’ancien l’URSS.  Parfait russophone, Cédric Gras connait notre pays et son histoire mieux que certains Russes, il nous fait découvrir et redécouvrir nos contrées lointaines et leurs couleurs passionnantes. En évitant les sentiers touristiques battus, il grimpe aux sommets des montagnes, parcours steppes et forets, réussit  à s’embarquer sur un brise-glace russe, obtient l’accès aux archives du KGB ou reprend les routes de la retraite de Napoléon à bord d’un side-car … tout ça pour nous faire voyager et nous enchanter.

Cédric c’est surtout un ami de longue date. Nous nous sommes rencontrés à Vladivostok, en 2006, au moment où il écrivait les premières pages de son tout premier livre « Vladivostok. Neiges et moussons » dont la lecture, plus tard, m’a bouleversée et m’a dévoilé son esprit fin, son âme vagabonde sensible et sa capacité incroyable à sentir les Russes et la Russie.
Rares sont les occasions ou nous nous écrivons. Et on ne se voit presque pas du tout parce que Cédric est toujours ailleurs : soit dans l’Antarctique, soit sur un sommet d’un glacier, soit dans la taïga... Mais à chaque fois que je lui écris, il partage avec joie ses nouvelles et ses succès, ses idées et ses projets. Et il est toujours généreusement ouvert pour s’entretenir avec « Salut ! Ça va ? ».


Cédric, tout d’abord merci beaucoup d’avoir accepté de nous accorder une interview !
Malheureusement, je n’ai pas encore lu votre dernier livre “Alpinistes de Staline”, lauréat du prix Albert-Londres 2020. Il me tarde de le découvrir ! Comment et quand en avez-vous eu l’idée ?
Le nom Abalakov est connu de tous les montagnards européens. C’est comme cela que s’appelle une technique d’ancrage sur glace inventée par Vitali Abalakov. Je connais ce nom depuis que je pratique l’alpinisme. Mais c’est seulement en 2018 que je me suis posé la question de ses origines. Entre temps, j’avais vécu plus d’une décennie dans des pays russophones et appris la langue. J’étais prêt à faire les recherches !

Pour écrire ce livre vous avez dû obtenir l’accès aux archives du KGB ?
Outre des recherches bibliographiques, des entretiens, j’ai aussi voulu aller aux archives du NKVD car je savais que le grand-frère, Vitali Abalakov avait été arrêté durant les purges staliniennes. J’ai fait une demande de consultation officielle et mis à part quelques lenteurs administratives (en France c’est pareil), tout s’est très bien passé.

Quelle découverte dans les archives vous a passionnée le plus ?
Je voulais savoir pourquoi il avait été arrêté évidemment. Il s’agit d’une histoire, assez classique pour cette époque, de complot auquel il aurait soi-disant été associé. Je voulais surtout savoir si les frères avaient eu à s’accuser l’un l’autre mais ça n’a pas été le cas.

Et vous avez aussi fait des rencontres peut-être avec les familles des frères Abalakov?
J’ai retrouvé le fils de Evgueni Abalakov, le petit frère. C’est un homme âgé qui cherche désespérément à confier les toiles et sculptures de son père à un musée afin que ce patrimoine soit sauvegardé. Evgueni Abalakov était alpiniste mais aussi artiste. Il est aussi immensément fier des exploits de son père, premier homme au sommet du pic Staline !

Et pour restituer le destin exceptionnel et dramatique des alpinistes de Staline vous êtes aussi montée aux pics qu’ils avaient conquis au début du XX siècle au nom du pouvoir soviétique ?
Je suis allé voir certaines de ces montagnes, au Kirghizistan et au Tadjikistan, notamment les pics Khan Tengri, Lénine, Pobiéda etc. Ce sont des sommets fascinants qui culminent tous au-delà de 7000m. Les frères Abalakov ont été premiers sur certains de ces sommets. C’était important d’aller aussi sur le terrain !

Qu’est-ce que cette expédition vous a donné pour l’écriture du livre ?
Je n’ai rien appris sur les frères Abalakov là-bas mais ça m’a donné une idée des décors, de ces montagnes qu’on connaît mal en Europe et des peuples qui vivent à leur pied. Le temps, hélas, efface très vite les traces et la mémoire des hommes ! C’est surtout à l’écrit que j’ai retrouvé des éléments biographiques.

Et les bustes de Lénine et Staline sont toujours là, aux pics ?
Il y a en a toujours un en haut du pic Lénine mais ce n’est pas l’original. Des alpinistes russes l’ont monté là-haut dans les années 2010 pour une raison qui leur appartient. L’original avait disparu. On dit que quelqu’un l’a jeté dans le vide à la chute de l’URSS. Ailleurs, les bustes sont sans doute pris dans les glaces et en mauvais état…

Dans une des critiques de la presse française je lis « Cédric Gras excelle autant dans ses narrations d’ascensions, palpitantes, que dans son analyse « empathique » des folies soviétiques ». Ces folies, dont on parle, pourriez-vous en citer une ou deux ?
Ce n’est pas de moi, c’est la presse… Mais il est vrai qu’aller mettre des bustes de Staline ou de Lénine sur des sommets de 7000m paraît un peu fou ! De même que les alpiniades, ces ascensions de masse qui réunissaient parfois plusieurs centaines de participants sur des sommets comme l’Elbrouz. Ce sont des choses qui paraissent inimaginables aux Occidentaux. J’ai essayé de raconter cette époque, tout simplement.

Quand la dernière fois, vous êtes-vous allongé sur une plage ensoleillée et vous êtes-vous baigné dans la mer ? Je sais que les tropiques ne vous attirent pas trop, mais ce n’est pas la mer des Cosmonautes, j’espère ?
Cet été je suis passé dans les Antilles françaises. J’aime bien les tropiques parfois, mais pour de courts séjours. Je pratique beaucoup la natation et l’eau est élément dans lequel je suis à l’aise. Il ne faut pas croire que je ne vais qu’en montagne. La planète m’intéresse sous toutes ses latitudes.

Et qu’est-ce qui vous a inspiré un jour de vous embarquer sur un brise-glace Akademik Fedorov ?
On m’a proposé un jour d’embarquer sur ce brise-glace pour écrire un livre et j’ai accepté sans hésiter ! Aller en Antarctique est extrêmement rare, surtout dans la partie de l’océan indien. S’y rendre avec les Russes qui sont des experts des milieux polaires, c’était enthousiasmant ! Cela m’a permis de faire découvrir aux lecteurs l’histoire polaire australe des Russes. Autrement, on imagine plutôt la Russie seulement préoccupée par l’Arctique !

Vous êtes en train de préparer un film documentaire dont vous êtes co-auteur avec Christophe Raylat. Mais je sais que c’est vous qui en aviez l’idée, faire un film sur fameux glacier Fedchenko, « la plus longue langue de montagne au monde »?

Oui, nous avons fait ce voyage en septembre dernier. L’objectif était de partir de la mer d’Aral (Ouzbékistan) pour se diriger vers les sources du fleuve Amou Daria qui malheureusement a cessé de l’abreuver. Les glaciers du Pamir sont stratégiques pour l’Asie centrale et le glacier Fedchenko (Tadjikistan) est colossal. Sa difficulté d’accès le rend très méconnu et rarement visité. Une magnifique expédition dont nous allons faire un film documentaire très bientôt !

Quelle est votre plus grande impression de cette expédition ?
Le glacier Fedchenko ! Il est absolument interminable, 77km de long, 1,5 fois la masse totale de glace des Alpes. C’est un spectacle presque polaire. Il est le plus long glacier de montagne du monde mais reste très méconnu.

Est-ce que tous vos rêves de voyage et projet d’expédition se réalisent tard ou tôt ?
Presque ! Mais ça peut prendre des années… J’ai des idées qui vont et viennent et puis un jour, l’occasion de concrétiser se présente. C’est devenu mon métier et je réfléchis souvent à en faire un livre, un film, parfois rien !

Quelle est votre prochaine destination si ce n’est pas un secret ?
J’ai toujours plusieurs projets sur la table. Le premier qui trouve un financement a gagné !

Et votre rêve de parler de russe aussi bien que Poutine ? Où en êtes-vous ? 
Ai-je dit ça un jour ?! Il y a peu de chance que cela advienne ! j’essaie surtout d’entretenir mon russe et de ne pas oublier tout ce que j’ai appris !