Salut! Ça va?

La Chine, une contrée lointaine et mystérieuse

2021-11

Une contrée lointaine et mystérieuse régie par des mœurs inintelligibles à un esprit occidental, où les plus belles merveilles issues de sa civilisation millénaire côtoient l’indigence et la souillure. C’est une image alors tintée d’un certain romantisme que mon esprit d’adolescent s’était forgé du « Pays du Milieu » à travers des lectures, le rêve d’une Chine qui n’existait déjà plus depuis longtemps. Les mêmes mots auraient pu décrire la Chine qui portait les rêves et les espoirs de quelques jeunes adultes occidentaux révoltés dans les années 70. Le réveil fut difficile et douloureux après qu’on eut appris ce que furent réellement le « Grand Bond en avant » et la « Révolution Culturelle ». Et vingt ans plus tard le massacre de Tian’anmen venait conforter mon sentiment d’aversion pour ce pays. Il s’ensuivit une longue période où je me désintéressais complètement de son devenir et pendant laquelle je fis miens de nombreux préjugés circulants en occident sur la Chine et les Chinois.
C’est le hasard de retrouvailles avec une amie de longue date, chinoise d’outre-mer se rendant régulièrement en République populaire de Chine, qui fut la cause du renouveau de notre intérêt pour la Chine et la culture chinoise. Mon épouse se mit à apprendre le mandarin et finit par me convaincre, malgré mes réticences, de découvrir la réalité du pays sur place. Depuis lors nous avons parcouru le pays chaque année, du Nord au Sud, et de rencontres en découvertes nous nous sommes libérés de nombreux préjugés et restons fascinés par les changements et l’évolution que nous observons d’année en année. (jusqu’en octobre 2019, date de notre dernier séjour pour cause de Covid)

Shanghai


Frénétique, démesurée, envoûtante, de toutes les métropoles que j’ai pu visiter la plus fascinante est Shanghai.
Peut-on d’ailleurs parler de métropole ou de mégalopole pour qualifier une ville où vit plus de deux fois la population de la Belgique, la moitié de la population française ? Chaque jour qui passe voit grossir les rangs de ses 25 millions de résidents recensés, de ses innombrables travailleurs clandestins, de ses visiteurs.
Non, c’est un pays, avec ses villages, ses villes, ses régions, ses provinces et leurs identités parfois menacées… Car on construit toujours et encore, et on rase des quartiers entiers… Les fortunes se font et se défont, il faut loger ou reloger ces pauvres, ces très pauvres, ces riches, ces très riches et cette classe moyenne qui grossit au rythme frénétique où poussent les immeubles comme des champignons et qui consomme chaque jour un peu plus.
Entre Pudong et ses constructions futuristes, la rue de Nanjing et ses magasins que l’on retrouve dans le monde entier, le quartier de l’ancienne concession française et ses magnifiques immeubles, et les quartiers populaires où l’on cuisine, travaille et vit jour et nuit sur les trottoirs, peu de points communs si ce n’est partout cette fourmilière dont l’hyperactivité ne cesse jamais…
Et la statue de Mao dressée sur le Bund regarde ce monde, ébahi, comme sorti de sa tombe pour assister au spectacle de ces millions de 2 roues qui circulent toujours… (mais ils sont tous électriques aujourd’hui… tout change si vite là-bas.)

Luoyang


Au loin la ville de Luoyang, vue depuis Longmen et le temple Xiangshan (dans lequel Tchang Kai Chek se fit bâtir une villa pour ses 50 ans…)
C’est là, à l’intersection de la Rivière Luo et du Fleuve Jaune que se situe cette « terre sacrée », berceau de la Chine Antique et de la civilisation chinoise qui abrita, 2000 ans avant notre ère, la mythique Dynastie Xia. C’est par ici que le Bouddhisme fut introduit en Chine et qu’il s’y propagea. Plusieurs fois capitale du pays du milieu, de tous les noms dont elle fut baptisée seul Luoyang est resté.
Aujourd’hui Luoyang est une ville de taille moyenne à l’échelle de la Chine, le centre compte environ 2 millions d’habitants et l’agglomération au total environ 7 millions. Les artères du centre-ville sont éventrées pour la construction du métro, les anciens hutongs sont détruits pour laisser place à de hautes tours où les habitants sont relogés par quartiers entiers. A la périphérie s'élèvent des centaines de tours d’habitations parfaitement alignées, comme une forêt nouvellement plantée, traversées par de larges voies perpendiculaires orientées nord-sud et est-ouest. On y efface toutes les traces du passé, quel qu'il soit et quelle qu’elles soient, dans un immense nuage de poussières, pour faire place à « la modernité » . Il faut aller au superbe musée de la ville pour voyager dans ce passé mythique ou bien sortir de celle-ci et visiter « le temple du cheval blanc » ou se rendre à Longmen et ses milliers de grottes et de Bouddhas sculptés dans la roche.
Luoyang n’a pas d’autre charme que la gentillesse de ses habitants et celui du spectacle d’une ville chinoise à la vie bruyante et frénétique

Chongqing


Si vous habitez Toulouse ou Saint-Pétersbourg ou Seattle ou bien une de la trentaine de villes dans le monde avec lesquelles elle est jumelée, peut-être avez-vous déjà entendu parler de Chongqing. Quant à moi, je n’en savais rien ou plutôt je n’en savais qu’une chose, allez savoir pourquoi : c’était là qu’était né Lucien Bodard au début du siècle dernier…
Ce n’est pas à proprement parler une destination touristique, la seule raison de notre passage est sa situation. Elle était une étape pratique du réseau ferroviaire à grande vitesse pour atteindre Dazu et ses merveilles, uniquement accessible par autobus, à une centaine de kilomètres de là.
La découvrir fut un choc ! Et nous y sommes restés plusieurs jours. Il y a des villes que l’on visite et qui pour une raison ou une autre vous laisse une très grande impression. Je me souviens de ma première visite à Londres, Berlin, Moscou, Shanghai ou Saint Petersburg et je suppose que découvrir New York, où je ne suis jamais allé, doit également provoquer un choc. Chongqing est de celles-là, la surprise en plus.
Il n’y a pas vraiment de monuments historiques. La ville devenue un moment capitale de la République de Chine après les massacres de Nanjing pendant la guerre sino-japonaise fut complètement détruite par les bombardements de l’aviation japonaise qui y firent des dizaines de milliers de victimes civiles.
Bref la ville est aujourd’hui pratiquement neuve… Jusqu’alors appartenant à la province du Sichuan elle est déclarée municipalité indépendante dans les années 90 par le pouvoir qui cherche à développer l’activité économique des régions centrales et reloger la population déplacée par la mise en eau du pharaonique projet de barrage des trois gorges. Depuis les années 2000 la ville se développe d’une rapidité phénoménale. La municipalité compte maintenant plus de 30 millions d’habitants dont environ 14 à 15 millions au cœur de ville. Des gares de la taille d’aéroport absorbe le trafic des trains à grande vitesse, des réseaux d’autoroute la desservent, les lignes de métro s’ouvrent et ne cessent de se prolonger pour relier les milliers de tours d’habitation qui poussent comme des champignons.
Et pourtant cette croissance ne détruit pas ce qui fait le charme des villes chinoises, la vie des parcs, celle des rues bordées de petites échoppes où on peut pratiquement tout trouver, des ateliers qui fabriquent tout ce que vous pouvez imaginer, des restaurants et des marchands ambulants. Ce monde, cette fourmilière s’anime à la tombée de la nuit quand la relative fraîcheur s’installe dès le soleil disparu…

Dujiangyan


De nombreuses réalisations titanesques parsèment les paysages de Chine. Certains de ces ouvrages sont connus de tous, comme la Grande Muraille dont la construction débute en l’an 300 avant J.C. Elle s’achèvera au XVIIème siècle, 20 siècles plus tard. Ou bien le projet de barrage des Trois Gorges réalisé au XXème siècle sur une très courte période. D’autres moins connues n’en sont pas moins exceptionnelles comme le système d’irrigation de Dujiangyan près de Chengdu.
Celui-ci date du IIIème siècle avant JC. Il a été conçu pour mettre fin aux inondations fréquentes provoquées par les crues de la rivière Min et irriguer la plaine de Chengdu et à ce jour il fonctionne toujours !
L’objectif était « simple » ... et double: dériver une partie des eaux de la rivière afin d’éviter les crues pendant la saison des pluies et diriger l’eau prélevée vers la plaine de Chengdu en creusant un canal. Sa réalisation fut beaucoup plus complexe à mettre en œuvre. Pour diriger les eaux prélevées vers Chengdu il fallait percer une montagne et les outils existants à l’époque ne permettait pas de creuser cette roche très dure.
La technique utilisée pour percer la paroi rocheuse fut de la chauffer en y allumant des incendies et ensuite de dériver une partie des eaux très froides de la rivière sur celles-ci. Le choc thermique faisait éclater la roche et la rendait plus friable. Cette opération répétée continuellement permit de creuser en huit ans une brèche de 20 mètres de large dans la montagne.
L’élément le plus remarquable du système est la digue inclinée construite au milieu de la rivière qui assure la dérivation en séparant les eaux suivant un ratio 60% pour le cours naturel de la rivière et 40% vers le canal tout en maintenant 80% des alluvions vers le cours naturel afin d’éviter une trop forte accumulation dans le système d’irrigation.

Taishan


A l’échelle de la Chine Taishan est une petite ville : sa population n’excède pas le million d’habitants. Aucune mention de celle-ci dans notre guide de voyage mais il nous fallait choisir un endroit où loger pour explorer cette région du Guangdong au Sud-Ouest de Guangzhou et un concours de circonstances décida que ce serait Taishan. Non pas le Mont Taishan, ce site sacré du Taoïsme situé dans le Shandong loin dans le nord, mais une petite ville du Sud, écrasée de chaleur qui finalement ne s’avéra pas des plus pratiques pour atteindre les sites que nous voulions visiter mais qui nous accueillit chaleureusement.
Notre hôtel situé en plein centre de la ville au bord du petit lac est d’un kitsch très luxueux, comme peuvent l’être certains édifices en Chine : un chou à la crème avec des airs de palais hindou…
Au petit déjeuner, un voisin de table nous aborde en anglais pour nous demander, avec une certaine ironie, ce que des occidentaux blancs sont venus faire dans cette région sans intérêt touristique particulier d’après lui…
« Nous sommes venus pour les Diaolou » ! (La région est pleine de ces bâtisses du début du XXème siècle construites par des chinois d’outre-mer rentrés dans leur pays d’origine)
Son visage s’illumine alors et il nous déclare qu’il est lui-même « un chinois d’outre-mer », de San Francisco plus précisément. Lui et son épouse viennent chaque année pour un séjour de plusieurs mois dans cette ville où leurs familles ont leurs racines… Pour la douceur de vie diront-ils, la nourriture délicieuse et l’ambiance authentiquement chinoise. « Nous y vivons bien mieux que chez nous à San Francisco et pour pas cher ».
Plus tard en soirée un « chinois hawaïen » très joyeux et un peu grande gueule, qui avait apporté avec lui sa bouteille de cognac, comme il est coutume d’apporter sa boisson forte au restaurant, me proposait dans un anglais approximatif de partager un verre avec lui. Nous ne comprenions que difficilement son anglais et Sus s’adressa à lui en mandarin. Il la flatta en lui répondant qu’elle parlait certainement mieux mandarin que lui… Ce qui somme toute était vrai, la seule langue qu’il maitrisait parfaitement était le dialecte de Taishan qu’il pratiquait également à Hawaï bien plus que l’anglais.
Nous rencontrâmes ainsi en ville plusieurs de ces « chinois d’outre-mer » attirés par la vue insolite de voyageurs occidentaux en ville. Il n’en fallait pas plus pour attiser notre curiosité et découvrir que Taishan est également appelée « The Home Town of the Overseas Chinese ».
Au XIXème siècle de nombreux habitants de cette région émigrent en Amérique du Nord attirés par une « vie meilleure » ou la ruée vers l’or. Cette émigration se poursuivra jusqu’au milieu du XX ème siècle principalement vers la Californie et le Canada, les trois quarts de ces migrants dont la population s’élève aujourd’hui à plus d’un million de personnes est originaire de Taishan. Ce qui fait dire qu’il y a bien plus de « taishanais » outre-mer qu’à Taishan même et c’est la raison pour laquelle la langue parlée dans les chinatowns en Amérique du Nord n’est pas le « chinois » mais le dialecte de Taishan, lui-même différent du cantonais.
Une autre rencontre, apprenant que je suis français me demanda si j’étais ici « pour la centrale »…
J’appris alors que c’est à quelques kilomètres de la ville que fonctionne la première centrale nucléaire EPR au monde construite en joint-venture avec EDF et dont le second réacteur avait été mis en service le mois précédent...