Salut! Ça va?

ANNA SHUMANSKAIA «Entre Présent et Passé»

2021-11
Au moment d’une visite virtuelle de l’exposition, je me suis sentie une spectatrice d’une pièce de théâtre : un filet de pêche avec les photos plein de bonheur et de la joie de vivre, une chambre nous transportant dans le passé où on voit 3 vielles valises – un symbole d’une nouvelle vie, d’une transformation, – remplies des gants en dentelles et d’autres objets personnels. Comme si quelqu’un a tiré le rideau en dévoilant ce qui se passait sur scène. Le plus on s’avançait, le plus clairement j’avais devant mes yeux l’image d’une histoire d’un grand amour très sincère. A travers l’exposition photo « Entre Présent et Passé » Anna Shumanskaia partage avec nous une histoire intime familiale.

Anna, merci d’avoir acceptée mon invitation. Je suis heureuse que nos lecteurs pourront découvrir ton univers magique de la photographie ! Parle-nous de ton exposition à Paris.
Merci beaucoup de m’avoir invité. C’est un grand plaisir de partager des émotions et de l’information sur mon exposition photo actuelle qui est à Paris en ce moment et qui est dédié à la Sibérie. En même temps cette exposition est aussi dédiée à la vie de mes grands-parents – les artistes de théâtre d’opérette – Zinaida Doubrovskaya et Boris Penkov, qui sont parti vivre là-bas. Ils étaient en plein carrière et ils auraient pu continuer à jouer les premiers rôles parce qu’ils étaient assez répandus, mais c’était leur décision de partir vivre autre chose. Ils ont tourné la page de leur vie en partant vivre dans un village lointain et sauvage, vivre leur amour, aller faire la chasse, la pèche. Donc, c’est une exposition où je raconte leur histoire à travers mes photos et j’ai aussi mélangé les photos de mes grands-parents que j’ai récupéré en Sibérie.


Je ne savais pas qu’ils étaient partis en Sibérie… Il s’agit de quel village ?
Si, ils étaient partis en Sibérie. C’est un village Alekseevka qui est à 4 heure et demi en voiture de Novossibirsk. On ne se voyait pas souvent quand j’étais petite parce qu’ils vivaient très loin, mais je me souviens des lettres, des colis avec de la viande sèche et de la fourrure. C’était dingue ! C’est dommage que je n’ai pas gardé une seule lettre parce que c’était toujours très poétique et très intéressant. Aujourd’hui je le regrette beaucoup.
Mon grand-père était né en Sibérie, mais il était parti de sa village pour commencer à jouer au théâtre. Il a commencé très tôt, il a eu son premier rôle à l’âge de 14 ans. C’est très drôle que son premier rôle au théâtre c’était celui de Doubrovsky. Il disait plus tard que s’il pouvait s’imaginer qu’un jour il allait rencontrer une femme avec le nom de famille Doubrovskaya pour passer sa vie avec.
Ils ont changé plusieurs théâtres et il se sont beaucoup déplacés. Boris est le troisième mari de ma grand-mère qui est tombé amoureux d’elle comme ça, il a décidé d’être avec elle malgré qu’il fût 7 ans plus jeune qu’elle. Il était complètement sous son charme. Ils ont commencé à jouer au même théâtre.

Tu y es allée quand pour faire tes recherches?
J’y suis allée en mai 2019 pour la première fois. J’ai vécu chez les voisins, chez leurs amis. Ils étaient très partant à partager ce qu’ils savaient. Ils ont même pris des journées de congé pour me montrer le bois où mes grands-parents faisaient leurs balades, chassaient et allaient à la pèche. J’étais vraiment touchée par leur accueil chaleureux. Il y avait une histoire qui m’est arrivée là-bas : on m’a demandé de prendre une photo des élèves à l’école locale. Cette année-là les parents n’avaient pas d’argent pour inviter un photographe professionnel. J’ai donné mon accord, bien sûr, en demandant combien ils étaient. Il y en avait seulement trois ! Six enseignants, un directeur et seulement 3 élèves. Les jeunes partent dans les grandes villes, ils ne veulent pas rester. La vie s’est arrêté là-bas. Il y a un seul magasin de produits alimentaires, pas de l’eau chaude. L’infrastructure est peu développée.


Je trouve que c’est tellement naturel que tu continues ce chemin artistique de ta famille. Selon ce que je sais, beaucoup de membres de ta famille sont les artistes peintres, photographes, acteurs, chanteurs d’opérette… Tu te rappelles d’un moment où tu as senti que tu veux devenir artiste toi aussi?
Oui, je me rappelle. Mon père est peintre, mon grand-père était peintre. J’étais toujours entouré par les peintures de mes ancêtres. Mon père était très passionné par la photo. Je me souviens que quand j’étais une petite fille je passais des heures et des heures dans une chambre noire de mon père en regardant la magie de la photographie, de l’image qui apparaissait sur le papier. C’était quelque chose de magique. A l’époque ce n’était pas très répandu et pratique d’être photographe et j’ai fait mes études linguistiques. Donc, d’abord je travaillais en tant que professeur d’anglais, interprète, traductrice, mais au moment donné des circonstances m’ont amené à l’école de photographie. J’avais eu un appareil photo qui était beau et professionnel, mais je ne savais pas l’utiliser. Il fallait aller à l’école pour faire des cours. Il y a une histoire drôle lié à sa : la directrice de l’école où je travaillais ne m’a pas laissé partir en vacances à cause d’un examen d’anglais. Toute la famille était partie et moi, j’étais forcée de rester à Moscou toute seule. J’ai pris des cours de salsa et de photographie dont je rêvais beaucoup, mais je n’ai jamais eu du temps. Voilà comment s’est commencé ! Le plus drôle est qu’au final j’avais découvert que je n’étais pas sensé d’être présente aux examens (c’était une erreur d’une machine): je faisais des allers-retours pour accompagner les élèves aux toilettes et leur donner de l’eau. J’étais très fâchée, je remercie énormément ma directrice de l’école. Après j’ai continué mes études à l’école de photo de Paris. Maintenant je suis photographe professionnelle diplômée à Paris.


Tu as deux éducations alors, dans deux domaines…
Oui, mon premier diplôme m’aide beaucoup aussi. Maintenant, par exemple, avant cette exposition on m’a demandé de faire une conférence devant les élèves. J’ai compris que cela me manquait de pouvoir partager mes expériences avec des élèves. J’étais très touchée que les jeunes étudiantes de l’école Speos d’origines différentes, pas seulement les étudiantes français (la conférence a eu lieu en anglais) étaient intéressés pas ce que j’étais en train de raconter. Ils ont même applaudi à la fin et c’est ça que m’a touché. Peut-être je vais continuer l’enseignement de la photo. Je n’ai pas enseigné depuis assez longtemps, mais pendants le vernissage de mon exposition j’ai compris que j’aime bien le faire.


Ta grand-mère Zinaida Doubrovskaia est très belle! Elle a une très belle voix! Sa vie est-elle liée avec la France ou pas du tout ?
Oui, elle était très belle et sa voix est vraiment magique… Non, elle n’était jamais venue en France. A l’époque c’était très compliqué de venir en France, mais un des spectacles où mes grands-parents jouaient s’appelait « Moscou – Paris – Moscou ». Voilà, on a trouvé le lien !

Parle-nous un peu plus de sa vie. Pourquoi l’exposition est dédiée à ta grande mère?
Le 8 octobre c’est son anniversaire. Cette date est très proche, c’était presque la date du vernissage du 12 octobre. Je voulais raconter son histoire parce que pour moi c’est aussi une grande histoire d’amour. Pendant mon voyage en Sibérie j’ai eu de la chance de récupérer les vieilles cassettes avec les émissions de télé sur mes grands-parents où ils donnent leurs interviews. J’ai pu les voir sur scène en train de jouer, chanter. La projection de ces vidéos font partie de l’exposition. Le jour de cet interview mon grand-père a 70 ans et ma grand-mère a 77 ans, mais il parle toujours de leur amour, de leurs émotions… Ils ont passé 40 ans ensemble et mon grand-père dit qu’elle était l’amour de sa vie. Ils faisaient tout ensemble : la chasse, la pèche, la scène. 
On m’a raconté beaucoup d’anecdotes sur mes grands-parents. Mon grand-père était toujours très galant, très admiratif de ma grand-mère et elle était toujours très belle avec son rouge à lèvre rouge ce qui n’est pas trop typique pour un village sauvage de Sibérie qui est loin du monde civilisé.
Je pense que le moment le plus important de sa vie c’était le jour de leur rencontre.  Mon grand-père est tombé amoureux là où il a vu ma grand-mère jouer sur scène. Elle était mariée à l’époque, mais lui a dit : « Ce n’est pas grave ! Je serai avec elle. Je l’adore».

Cette histoire inspire beaucoup ! Ça me fait croire que l’amour existe.

Exactement ! Quand on les voit en train de parler, en train de dire qu’ils sont ensemble depuis 40 ans. Ce qui me touche c’est qu’il faisait tout ensemble. C’est très rare aujourd’hui. Cette histoire d’amour m’inspire et je suis allée là-bas pour comprendre pourquoi ils sont partis vivre en Sibérie sans l’eau chaude, sans cafés, sans restaurants, sans théâtres. J’ai compris qu’ils voulaient juste vivre leur amour près de la nature et partager les valeurs que les gens ont là-bas, qui ne sont pas les mêmes que nous avons aujourd’hui.