Si quelqu’un m’avait dit il y a dix ans que j’allais travailler dans un domaine viticole dans le sud de France, boire les meilleurs vins du monde et savoir en parler, je ne l’aurais jamais cru. Issue d’une formation linguistique, je rêvais d’une carrière de traductrice/interprète au sein d’une organisation internationale. Dix ans plus tard, je suis responsable commerciale/export dans un domaine viticole prestigieux dans l’appellation Pic Saint-Loup à deux pas de Montpellier. Je m’occupe du développement commercial, oenotouristique et évènementiel du domaine.
Aujourd’hui, ma facilité d’expression en français et ma passion pour mon métier estompent ma nationalité. Néanmoins, certains de mes clients entendent mon accent très léger et me posent des questions sur mes origines. Un jour, quelqu’un m’a demandé comment j’étais arrivée de l’autre bout du monde dans la filière viticole française. La réponse est venue comme une évidence.
En 2009, j’ai participé au programme d’échange des assistants de langue vivante financé par le ministère de l’éducation nationale français. Je suis partie enseigner le russe dans des établissements scolaires à Pau dans le Béarn. J’avais comme voisins une famille française adorable qui m’emmenait faire mes courses avec eux. Un jour, je traversais le rayon des vins et spiritueux d’un supermarché. En voyant des centaines d’étiquettes, je me suis dit : comment peut-on se repérer dans cette multitude de références ? Comment les Français trouvent-ils leur vin ? » Je me suis tournée vers ma voisine et je lui ai dit : « J’aimerais goûter tout ça ! » Elle m’a répondu : « Attention Natalia, tu pourrais devenir alcoolique ! »
Quand je repense à cet épisode, ça me fait rire, mais depuis, ma curiosité envers l’univers viticole n’a cessé d’augmenter. J’ai lu plusieurs ouvrages, participé à de nombreuses dégustations, suivi des formations et je continue à apprendre tous les jours. Le vin est pour moi comme un diamant, il y a tellement de facettes, de sujets de conversation. On peut parler de l’histoire du vin, de la culture du vin, de la viticulture dans les pays différents du monde, des caractéristiques gustatives du vin, des accords mets-vins.
Le vin et les vignes sont devenus mon quotidien, d’autant plus que mon mari est vigneron. Avec lui, j’apprends davantage sur les cycles de la vigne, les étapes cruciales de la production du vin. Ma période préférée c’est les vendanges en août/septembre. Enfant de la Sibérie, les couleurs et l’odeur d’automne russe me manquaient et raisonnaient dans mon cœur avec des notes nostalgiques. Ici, dans le sud de France, j’ai retrouvé mon automne dans les vignes ! Mon mois de septembre s’est mis à briller de milliers de couleurs dorées et pourpres du raisin au moment des vendanges. Il s’est mis à sentir le jus de raisin frais en tout début de fermentation, le marc, les fûts de chêne juste remplis. Les couleurs jaunes, rouges, pourpres des vignes me rappellent mon pays natal.
En revanche, j’ai appris avec mon mari que ce n’est pas seulement la plus belle période de l’année viticole. C’est une période cruciale pour un vigneron dont l’issue détermine toute une année de travail. C’est une course contre la montre avec les défis du réchauffement climatique qui impactent la récolte tous les ans. C’est aussi le courage, la détermination et l’investissement des hommes et des femmes qui travaillent non-stop pendant un mois du matin au soir. C’est le stress, l’angoisse, l’inquiétude, parfois le désespoir et l’amertume, mais c’est aussi le bonheur, la joie et la satisfaction du travail bien accompli.
Mon mari m’a aussi initié à la gastronomie française. « Aimer le vin sans aimer bien manger ? Ce n’est pas possible ! », m’a-t-il dit un jour. Le vin ne se boit pas tout seul, il ne se boit pas non plus avec n’importe quoi. C’est important de bien choisir un plat pour son vin et l’inverse, que ce soit à la maison ou dans un restaurant. Avec mon mari j’ai découvert les restaurants gastronomiques. J’en ai fait ma collection d’établissements étoilés. Parce qu’il vaut mieux rare et meilleur que souvent et médiocre. Un art de vivre épicurien. Mais ça, ça mérite un article à part.
Quand je me retourne en arrière, je visualise très bien le chemin que j’ai parcouru pour arriver là où je suis. Ce chemin était long et sinueux mais il était nécessaire. Je vis dans une région viticole, je travaille dans un domaine viticole, je suis mariée à un vigneron. Tous les jours, je prends la voiture pour aller au travail. Je roule sur une route étroite perdue dans les vignes et je pense à quel point ces paysages se sont ancrés dans mon cœur. A quel point ces rangées de vignes me font oublier les soucis du quotidien, m’inspirent et donnent de nouvelles idées. Je ne m’en lasserai jamais !