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Le jardin dans la littérature russe

2021-06
Il est bien connu que les œuvres littéraires gardent toujours un sens caché. Les lecteurs réfléchissant sur les textes cherchent à comprendre le rôle de chaque petit détail dans l'histoire. Et souvent la littérature nous surprend car elle peut présenter un élément très ordinaire et banal comme une partie importante d’un héros lyrique, d’une figure centrale, du monde et voire de l'univers.

L’image d’un jardin est une image étonnante que l’on retrouve chez de nombreux écrivains. C’est comme quelque chose de subtil, simple, mais sublime et divin. Il peut symboliser à la fois de la pureté et de la jeunesse, ainsi que de la maturité et de la vieillesse sage, il est susceptible de condamner ou d’encourager. Il est à nous, lecteurs, de deviner l’idée de l’auteur d’après le contexte de l’œuvre, mais même la narration ne révélera pas le sens profond de son imaginaire et de ses intentions.

Littérature ancienne

L’image d'un jardin dans l’esprit des gens a été interprétée comme l’image d'un lieu paradisiaque. Dans la tradition chrétienne, littéraire, iconographique et folklorique, il était considéré comme le plus divin, caché à la vue humaine. Les gens étaient impatients de voir cet endroit. C'est-à-dire ils rêvaient de monter spirituellement dans le monde de la félicité éternelle, où il n’y a pas de douleur ni souffrance.

Le plus célèbre de ces jardins est peut-être l'endroit où vivaient les premiers hommes, Adam et Ève. Ils y étaient protégés des dangers extérieurs, ils pouvaient y vivre éternellement en paix ne connaissant que de la félicité. Malheureusement, le serpent viole cette idylle, mais leurs descendants, respectant les commandements du Dieu et rêvant du salut de leurs âmes, par leurs prières et leurs actes, se dirigent vers ce lieu céleste.

C'est compréhensible. L’homme a toujours aspiré l’idéal. Et le jardin l’a toujours attiré par son calme et sa virginité comme un lieu où il pourrait se cacher et se reposer de l’agitation de la vie et profiter de la solitude. Ainsi, le jardin dans la littérature symbolisait le divin, au-delà de l’humain.

Littérature du début du XXe siècle

Le romantisme du XVIIIe siècle représentait le plus souvent le jardin comme un lieu de rendez-vous. Des filles rêveuses, en dentelles ajourées, avec un éventail, attendant une rencontre avec un monsieur... Le jardin dans des œuvres pareils était un endroit particulier, cachant des secrets et des mystères, idéal pour deux cœurs amoureux.

Dans l’œuvre d’Alexandre Pouchkine « Evgueny Onéguine » Tatiana est triste dans son jardin, son cœur est déchiré et tourmenté, elle pense à Evgueny. Et elle y rencontre son bien-aimé, pleine de détermination à recevoir de sa part une réponse à sa lettre de confession. Le jardin lui donne du courage et l’apaise… Plus tard, rejetée par Evgueny, elle y retrouve de la consolation.

L’image du jardin dans l’œuvre du grand écrivain russe Anton Tchekhov (1860 – 1904) « La cerisaie » (1903) suscite des sentiments contradictoires. Toute l’intrigue de la pièce se situe dans ce jardin. Chaque personnage le voit à sa manière. Lioubov Andreïevna y a passé son enfance. Elle y est tellement attachée à son passé, et elle garde son amour pour ce lieu chaleureux et cher au son cœur. « Songez que je suis née ici, que mon père, ma mère, mon grand-père vivaient ici : j’aime cette maison. Sans la Cerisaie je ne comprends pas ma propre vie et, s'il faut vraiment vendre, qu’on me vende avec le jardin... »

La propriété a beau représenter pour Lioubov son enfance et le souvenir d’une vie de nonchalance, Yermolaï Alekseevich Lopakhine, ancien serf devenu marchand, voit le jardin comme un lieu de profit qu’il le rachète aux enchères, mais afin d’en abattre les arbres.

Les dernières lignes de la pièce nous montrent son indifférence et son attitude mercantile envers la cerisaie. « Le silence s’installe. On entend seulement au loin dans le jardin, des coups de hache sur les arbres. »

Le thème du passé qu’évoque un jardin est souvent traité par les poètes et les écrivains. Anna Akhmatova, une immense poétesse russe, écrit dans son poème « Jardin d’été » (1959):

Je veux voir les roses, dans ce jardin unique,
Où s’élève une grille sans pareille ici-bas.
Où, jeune, les statues se souviennent de moi,
Et je me souviens d'eux sous l'eau de la Neva...
Dans l’odorat silence des tilleuls royaux,
J’entends le grincement des mats sur les vaisseaux.
Là où le cygne, comme avant, glisse à travers les âges,
Admirant la splendeur de sa propre image.
La des milliers de pas se sont tus à jamais,
Aimés ou haïs, haïs ou aimés.
Et le cortège des ombres ne cesse de défiler
Du vase de granit aux portes de palais.
La mes nuits blanches se murmurent tout bas
Un grand amour inconnu et secret,
Et de nacre et de jaspe tout rayonne là-bas,
Mais la sources de lumière, mystérieuse, reste cachée.

L’héroïne lyrique rêve de retourner dans le passé quand ses sentiments et ses sensations étaient encore remplis de jeunesse et de fraîcheur. Elle se souvient du « jardin unique » dans lequel elle a passé les meilleurs jours. Le jardin d’été est associé à Akhmatova avec un paradis Eden. C’est un endroit mystérieux où une personne créative peut ressentir une vraie liberté. Le jardin n’appartient plus à ce monde, il est donc possible de ne le trouver que dans le passé. La poétesse fait une promenade mentale dans son jardin, un lieu de rêve ou il n’y a ni angoisse, ni soucis.

Dans les œuvres littéraires sentimentaux le jardin est souvent représenté comme un ami, aidant le héros, sympathisant avec lui ou le soutenant dans ses souffrances du cœur. C'est un endroit idéal où on se sent protégé.

La modernité

En ce qui concerne la poésie moderne, les jeunes écrivains utilisent beaucoup des images connues dans leurs œuvres. Voici un poème d’un des auteurs du site Yandex.Zen Macro Crystal :

Couronne bleue

Le chemin me mène au loin
Je marche à travers des bouleaux, des chênes,
La voile de feuillage verte
Me sauve de la chaleur.
Des fleurs sur un banc déteint
Laissées par la main d'un enfant.
Et je veux passer plus loin
Mais désolé pour la couronne bleue.
Les têtes de gros bleuets
Sont pleines d’azur céleste
Et entre le feuillage vert
Il y a de petites gouttelettes de lin.
Ils auraient grandi encore
A l'ombre des arbres de jade
Mais leurs jours sont déjà comptés
Sous la terrible colère du jardinier.
Je vais continuer mon chemin en pensant
Laissant le cobalt derrière.
Hélas, personne ne peut
leur rendre leur vie.

Bien que la figure centrale soit une couronne de fleurs, l’image du jardin peut être tracée à travers elle. C’est le lieu de naissance d'une vie malheureusement terminée à la demande d'un enfant. Les fleurs pouvaient pousser plus loin et ravir les gens, mais quelqu'un a décidé que leur place était dans la couronne laissée par le propriétaire. Le jardin est la personnification d'une mère qui ne peut rien faire pour aider ses enfants et qui est obligée à regarder avec un héros lyrique comment les fleurs de cobalt perdent lentement de leur éclat, laissant le vide. En même temps, c'est l'image du sauveur cachant le héros de la chaleur du soleil de midi. Vous pouvez également attraper l'image du propriétaire montrant le chemin vers le héros. Cependant, il n'est malheureusement pas possible de savoir où cela mène, mais l'obstacle sur le chemin semble faire allusion aux difficultés de l'avenir de chacun d'entre nous, et ce qu'il faut en faire dépend de nous.