Salut! Ça va?

La femme-artiste à travers les époques

2021-03
Dans son essai « Une chambre à soi », Virginia Wolfe parle des femmes dans la littérature. Comment sont-elles, quelles pensées apportent-elles à la littérature, comment vivent-elles, de quoi rêvent-elles ?

L’œuvre est écrite sous la forme des réflexions de l’auteure que nous suivons grâce à l’enchainement des pensées de son héroïne. On la retrouve d’abord à Oxbridge, où il est interdit à l’héroïne de marcher sur la pelouse ni d’entrer dans la bibliothèque parce qu’elle est femme. Puis on assiste tour à tour à deux déjeuners : au collège de garçons et au collège de filles, où l’on remarque un contraste terrifiant entre le dîner luxuriant pour les garçons et le diner maigre pour les filles. Les deux scènes qu’elle a vues amènent l'héroïne à se demander : « Pourquoi les hommes prospèrent-ils et les femmes sont-elles obligées de traîner une existence misérable et dépendante ? » Pourquoi les mères n’ont-elles pas laissé un héritage digne à leurs filles ? « Comment la pauvreté affecte-t-elle la créativité ? » A la recherche d’une réponse objective, elle se rend à la bibliothèque, où, étonnée, elle découvre que la femme est « un animal le plus étudié de la Terre ». Alors, l’héroïne en vient à avoir une pensée effrayante : « Des messieurs je-sais-tout et des griffonneurs, des hommes titulaires d’une maîtrise en arts et ou sans maîtrise consacrent leurs essais et romans aux femmes. Et ils ne se font remarquer que parce qu’ils ne sont pas des femmes ». Il est intéressant que dans le monde moderne, des hommes soi-disant philosophes et psychologues écrivent leurs secrets de « bonheur » susceptibles de sauver certainement les femmes de la vieillesse solitaire entourées de chats. Mais, plus horrible encore, les femmes elles-mêmes créent d’innombrables quantités d’écrits qui ancrent leur rôle de soumission.

Les hommes de différentes catégories intellectuelles pensent aux femmes. Mary Baton (Virginia Woolf), après avoir passé une matinée à la bibliothèque en lisant des textes décrivant l'infériorité des femmes, arrivait à peine à étouffer sa colère, voire sa rage. Ayant barré le méchant professeur qu’elle avait récemment dessiné, elle s’est calmée et s’est demandée : « Pourquoi les hommes qui écrivent des essais et des romans sur les femmes sont-ils en colère contre elles ? » Après tout, ces hommes ont tout : argent, statut, pouvoir, liberté, choix. Et voici la réponse à la question : « La vie et pour les hommes, et pour les femmes est une lutte constante. Et cela demande de la force et du courage remarquables. Et surtout, nous, victimes des illusions, nous avons besoin de confiance en nous ».

La confiance masculine peut être acquise de différentes manières, par exemple en apprenant à évaluer et apprécier ses propres succès sans se comparer aux autres ou élever l’estime de soi-même en se référant à une personne plus faible. Il s’agit d’une sorte de fata morgana : pour se sentir bien il faut s’affirmer au détriment d’un autre. Obtenir un soulagement temporaire, puis aller à nouveau chercher une source de recharge chez son épouse, sa servante, sa secrétaire et en général chez toute femme qu’on rencontre. L’estime de soi malsaine des hommes provoque de la colère envers les femmes : « Pendant de nombreuses années, une femme a servi de miroir magique dans lequel un homme se voyait géant. Sans cette magie, la terre serait sûrement restée une jungle sauvage à ce jour ».

L'héroïne réfléchit sur la psychologie des sexes en buvant du café. À ce moment-là, une idée lui vint : à quel point il est merveilleux d’avoir cinq cents livres rien que pour elle, et qu’aucun mari ne puisse les réclamer. Il est aussi formidable de ne plus accepter n’importe quel travail mal rémunéré pour pouvoir joindre les deux bouts. Et puis : «Je n’ai aucune raison de haïr les hommes. Ils ne peuvent pas m’offenser. Désormais, ma vie ne dépend plus d’eux. » C’est alors que lors l’héroïne, sans le réaliser elle-même, a changé son attitude envers les hommes. En fait, ils sont beaucoup plus malheureux. Ils ont besoin de chercher un miroir chez une femme, d’avoir un emploi peu aimé, ils sont tourmentés par la cupidité. Se livrant à des réflexions sur sa vie bienheureuse, elle exprime l’espoir que bientôt toutes les femmes seront libres. En partie, ses aspirations se réaliseront dans un proche avenir : l’éducation sera accessible, les femmes pourront s’occuper de ce qu’elles souhaitent.

Les réflexions sur la psychologie des sexes sont suivies par une nouvelle question : « Dans quelles conditions vivent les femmes ? » Mary examine la bibliothèque. Un volume de « L’histoire sociale de l’Angleterre » écrit par le professeur Trevelyan attire son attention. Elle ouvre le chapitre « Situation des femmes » dans lequel elle apprend qu’au XVe siècle les femmes sont considérées presque comme une chose sans visage. Deux cents ans plus tard, la position des femmes de la classe moyenne et supérieure s’améliore. Elles ne sont plus un rien invisible, bien qu’elles restent toujours en situation de dépendance après le mariage. Les femmes sont en fait des « suppléments aux hommes ». Dans une situation de servitude et de subordination, elles ne peuvent pas créer. Ceci n’est que le reflet du portrait d’une femme en réalité.

Depuis l'Antiquité, dans la littérature, les poètes glorifiaient les femmes et leur chantaient des louanges. Une double image se dessine: «une femme se croit une personne bien importante, mais en fait personne ne la considère comme égale; des milliers de vers sont dédiés à une femme, mais l'histoire ne parle pas d’elle un seul instant ; dans les livres, une femme subjugue les rois et les conquérants, et dans la vie elle devient l’esclave d’un garçon que ses parents l’ont forcée à épouser; les pensées les plus sages et les plus inspirées sont mises dans la bouche des héroïnes littéraires, mais en réalité les femmes savaient à peine lire et écrire. » Il s’avère qu’avant le XIXe siècle, la conscience créative des femmes se développe très lentement. Leurs œuvres sont imprégnées de haine pour les hommes et pour leur propre talent d’écrivain. Elles ne peuvent pas produire quelque chose de vraiment libre et créatif, car tout leur être se rebelle contre la situation d’humiliation. Elles n’ont même pas leur propre chambre. Il leur est impossible de se cacher des moqueries des hommes et des regards sympathisants des femmes (jusqu’au XIXe siècle, on prend les femmes écrivaines pour les folles ayant besoin d’un traitement). La femme lutte constamment contre les préjugés, les jugements et le malentendu pur et simple.

Mais, il y avait une exception à la règle. Après un siècle de peur et de haine au XVIIe siècle, Afra Ben apparaît sur la scène littéraire, son mérite est que « dorénavant, la jeune fille pouvait s’approcher hardiment de ses parents et leur dire :« Je n’ai plus besoin de votre permission pour écrire de la poésie. Maintenant, je peux vivre de ma plume ! » Peu à peu, l’écriture permet de gagner sa vie et n’est plus considérée comme une « activité nulle et inutile ». Au XIXe siècle, les femmes écrivaines se mettent à écrire des romans. Pourtant c’étaient toujours des textes rédigés dans le salon sur du papier qu’il fallait économiser. C’étaient toujours des textes qu’on était obligé de cacher. Mais le principal mérite des romancières du XIXe siècle, comme Jane Austen et Emilie Brontë, était qu'elles écrivaient du point de vue des femmes. Leurs romans étaient le reflet de la réalité « féminine », ils décrivaient les problèmes qui les concernaient.

Au XXe siècle, « une femme voit la littérature en tant qu’art, et non seulement comme un moyen de s’exprimer ». Elle ne pense plus à son appartenance à un sexe spécial, ses pensées sont libres. Elle peut créer des choses vraiment incroyables. Virginia termine son essai par un hymne appelant les femmes à plonger dans la splendeur de la vie, à faire de l’art ! Elle sait avec certitude qu’un nouveau Shakespeare apparaîtra un jour parmi les femmes, libres et inspirées.

Au XXIe siècle, lorsque le mouvement féministe se répand partout, lorsque les femmes ont les mêmes droits que les hommes et surtout à l’éducation, l'image d’une femme dans l’art a certainement changé. Maintenant, elle est plus libre, elle a plus de possibilités de s’exprimer et de créer des œuvres d’art. Mais, elle fait également face à des critiques et surtout de la part des femmes.

En Russie, les femmes artistes ont affaire avec des valeurs patriarcales traditionnelles. Elles font face à « la machine de la justice ». Désormais on peut être condamné pour certaines activités éducatives, perdre absolument tout pour une idée. Le féminisme a de nombreux visages : tout le monde veut absolument exprimer sa position et son avis, parfois guère raisonnable, ce qui amène à une réputation peu attrayante du mouvement pour les droits des femmes. Le thème du sexe est un tabou. Les appels des activistes féminins à se faire valoriser ne font que les ridiculiser. La littérature parlant de l’amour homosexuel est un tabou religieux. Le désir d'exprimer librement sa position civil et politique peut emmener dans un fourgon de police.

Il est toujours difficile de faire de l’art dans le monde moderne. La femme du XXIe siècle cherche à nouveau un chemin vers elle-même.
Virginia Woolf par Lynne Mettam
Virginia Woolf par Roger Fry, 1917
Virginia Woolf par Vanessa Bell, 1912