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Yermenonville, village sans histoire

2020-10
Yermenonville, où repose Hélène Boucher, est un petit village situé à la lisière nord de la Beauce, grande plaine céréalière occupant l’emplacement d’un ancien lac en des temps très anciens. Le village est situé dans une petite vallée verdoyante, creusée par une toute petite rivière, la Voise, dont le cours est très sinueux, bordée d’une zone marécageuse plantée autrefois d’aulnes, et aujourd’hui de peupliers. Au néolithique, l’endroit ne pouvait que séduire ceux qui, lassés de leur errance continuelle à la recherche de nourriture, cherchaient des endroits sûrs et agréables pour s’installer : une belle source d’eau pure, des roseaux pour couvrir les toits, moins de vent que dans la plaine, une bonne terre à cultiver … Un dolmen, un peu éloigné du village pour y laisser les morts en paix, témoigne de l’installation de ces premiers habitants. Quelques milliers d’années plus tard, l’endroit n’a pas beaucoup changé : une petite prairie, à l’herbe bien verte, dans une boucle de la rivière, à proximité d’une source à l’eau bleutée, donne encore envie de s’y asseoir et de ne plus bouger ; c’est sans doute là que les premières maisons ont surgi, abritant au plus quelques familles.

Ensuite, bien sûr, l’Histoire s’y est déroulée comme ailleurs dans cette région proche de l’Île-de-France : l’arrivée des Gaulois, des Romains, des Francs, la mise en place du régime féodal, avec à chaque fois bien des violences, mais sans extermination systématique de la population, promise à fournir les esclaves ou la main d’œuvre servile des nouveaux maîtres.

En dehors de ces grands bouleversements, le village d’Yermenonville, du fait de son isolement (il a toujours été à l’écart des grandes voies de circulation, pour l’essentiel correspondant aux antiques voies romaines), a échappé à de nombreuses calamités. Les Vikings, chassés de Chartres (à 15 km d’Yermenonville) qu’ils assiégeaient pour la deuxième fois, se sont arrêtés juste au village voisin, avant de retourner en Normandie ; la guerre de Cent ans a fait rage dans la région et mais si les Anglais étaient installés à Gallardon (5km), ils n’ont jamais envahi le village, qui a aussi échappé à la Grande Peste qui sévissait à l’époque, apportée habituellement par les voyageurs et les soldats ; les guerres de religion des 16ème et 17ème siècles, très violentes à Chartres et dans les environs, ont aussi épargné le village, où l’on ne s’est jamais entretué au nom de Dieu … Et, pendant la guerre franco-prussienne de 1870, qui a donné lieu à de grandes batailles à proximité, on ne peut signaler que quelques vols de poules en 1871, lors du bivouac d’un détachement allemand rentrant chez lui après la défaite des dernières troupes françaises !

Pour autant, la vie quotidienne des habitants du village n’a pas été facile pendant des siècles : une bonne part des richesses produites par les paysans et artisans finissait dans les poches des seigneurs féodaux ou de l’Eglise qui les écrasaient d’impôts et de taxes. Maisons modestes en terre, couvertes de chaume, avec peu d’ouvertures et de rares cheminées ; les animaux à proximité, et le tas de fumier dans la cour ; des vêtements tissés avec la laine des moutons ou le chanvre cultivé localement. Peu de famines, la région étant fertile, mais, tous les ans, l’angoisse d’avoir suffisamment à manger pendant l’hiver jusqu’aux prochaines récoltes. Quelques fêtes pour rompre le rythme du travail, heureusement, et un grand événement dont on parla sans doute longtemps : la traversée du village par le roi Louis XIV, venu observer avec une escorte les travaux de construction d’un canal devant amener l’eau de la rivière Eure à Versailles. Ces grands personnages à cheval, richement vêtus, avec leurs chapeaux à plumes, passèrent sans doute pour des extra-terrestres égarés dans cette modeste vallée.

C’est la Révolution Française, avec l’abolition des privilèges des nobles (1879) puis la suppression des droits féodaux (1794) qui a enfin permis une amélioration du niveau de vie des habitants. Bien que leur nombre (300 habitants) soit resté à peu près constant depuis le moyen-âge jusqu’aux années 1960, la superficie du village a doublé : un peu d’aisance financière a enfin permis de ne plus vivre dans la promiscuité, et chaque famille a pu avoir sa propre maison, sa propre cour, sa propre grange.

C’est un village encore très rural qu’a connu Hélène Boucher au début du 20ème siècle. Ses parents y avaient une maison, proche d’une ferme et bordée par des champs cultivés. On y était réveillé par le chant du coq et le meuglement des vaches attendant la traite. Une ou deux automobiles seulement, et une moto : celle du frère d’Hélène Boucher, qu’elle empruntait en cachette pour rouler à toute vitesse, les cheveux au vent sur les petites routes, venant refaire le plein du réservoir à son retour, à l’épicerie du village, pour que personne ne s’en aperçoive ! Avec Hélène Boucher, ce sont deux mondes qui se sont croisés à Yermenonville : un monde rural, ancien, dont la vie était rythmée par les saisons, et un monde moderne, bruyant, agité, animé par la frénésie de la vitesse … Mais, heureusement, les traces de ce passé rural et laborieux sont encore très présentes. Et quand je me promène dans le village quand vient la nuit, j’ai souvent l’impression d’être accompagné, dans l’obscurité, par une paisible et furtive cohorte d’anciens, dont je connais souvent les noms, et qui savent que je ne les oublie pas.


Michel-Henri Gensbittel est statisticien, retraité depuis plusieurs années. Il a pris goût à l’histoire lors de nombreuses années passées à la Sorbonne. Après deux années de patientes recherches, il a publié l’histoire de son village, Yermenonville, sur un site Internet, et a participé au dépouillement des archives données à la commune par la famille de l’aviatrice Hélène Boucher.