Salut! Ça va?

Tende, une ville gagnée par la France après la Grande Guerre

2020-10
Tende, le berceau de ma famille depuis 1404, d'après les sources écrites, Tende située à soixante-dix kilomètres de Nice, à 6 kilomètres de l'Italie, est un gros bourg entourée de montagnes à l' histoire grandiose.

Le blason de Tende est composé d'un aigle à deux têtes paléologue et de la croix de la Maison de Savoie. En effet, le comté de Tende naît dès le X° siècle et le mariage en 1261 de Guillaume-Pierre, comte de Vintimille et de Tende avec Euxodie- Béatrice Lascaris, fille de l'empereur Byzantin Théodore II. Il subsiste encore de cette union une chapelle orthodoxe édifiée un peu à l'écart pour Euxodie- Béatrice.

Les comtes de Tende du haut de leur château assoient le pouvoir de cette famille jusqu'en 1581 en bâtissant leur développement et leur indépendante grâce à la possession du Col de Tende (ancienne route du Sel), voie ancestrale entre mer et Piémont soumise à l’imposition de taxes et de droits de passage. Sans héritier masculin, la dernière descendante, Henriette de Savoie Villars cède son comté au Duc de Savoie.

Le château où les habitants pouvaient venir se réfugier en cas d'attaque et les murs d'enceinte fortifiés rendaient Tende invincible aux intrusions extérieures mais au XVII° siècle, le roi Louis XIV envoi ses troupes détruire les places fortes qui faisaient de l'ombre à son autorité et aussi pour récupérer les possessions du comté de Savoie. C'est en 1692 que fut détruit le château dont il ne reste qu'un pan de tour en ruine.

Lors du Traité de Turin (1860) qui transféra la région de Nice à la France, la commune de Tende resta dans le Royaume d' Italie par la volonté de Victor Emmanuel II qui souhaitait garder ses terrains préférés pour la chasse au chamois.

Tende a été rattachée à la France en 1047 par le Traité de Paris, fruit d'une négociation entre les alliés de la Seconde Guerre Mondiale et les pays vaincus.

Tende aujourd’hui

Tende ne se visite pas, Tende mobilise tous vos cinq sens pour vous mieux vous imprégner d'elle.

Et peut-être même un sixième sens : celui venu des profondeurs telluriques, chthoniennes, qui monte en vous comme un impérieux appel à une préhension intellectuelle d'un monde différent.

Tende est construite sur un pan de montagne assez abrupte.

Lorsqu'on la voit de loin, elle ressemble à une longue histoire qui commencerait par la fin: tout en haut, se trouve l'immense cimetière sur les pans en terrasse de l'ancien château détruit, puis dans un dédale de ruelles et d’escaliers inextricable pour tout étranger, se calent les maisons à étages, parfois reliées entre elles par des passages donnant sur les voies pavées de dalles bien lisses destinées aux roues des charrettes et de galets bien ronds pour les mulets et les hommes, viennent ensuite les "jardins", en contrebas, de petits jardins potagers pour ceux qui n' ont pas la chance de posséder une "campagne", ensuite, encore plus bas, il y a la route qui suit le tracé de l'antique route du sel, le long des prairies qui bordent le torrent, la « Roya », point final de la ville.

C’est toute une philosophie de la vie ainsi disposée : les morts imprègnent les maisons de leur présence supérieure, les maisons déversent leurs eaux usées dans les jardins et la Roya récolte tout ceci comme une offrande aux nombreuses truites qui la peuplent (et les tendasques mangent les légumes et truites, cela devient presque de la nécrophagie).

Depuis longtemps, les habitations ont débordé des remparts médiévaux encore visibles et de ses portes sous lesquelles on passe toujours.

Mais le vieux Tende reste clos dans ses murs, c’était un privilège d'y avoir une maison, signe distinctif d'implantation dans le temps ; l’« élite » ainsi désignée topographiquement disait d'ailleurs avec fierté : j’habite « là-haut ».

Les « autres » sont relégués sur la partie neuve et basse dédié aux commerces, et bistrots.

Même si beaucoup d’habitations ont été modernisées au fil du temps, on retrouve un schéma ordonné par l'implantation topologique des lieux d'habitation regroupés autour de la Collégiale, ancienne cathédrale, elle en porte encore canoniquement le titre honorifique. La Collégiale Sainte-Marie-Du-Bois dite « Église Notre-Dame-De-l’Assomption » fut édifiée à la demande de Honoré Lascaris, au début du XVIe siècle, complétée ultérieurement d’un portail magistral Renaissance en ardoise verte de Tende, dont le fronton ouvragé constitue un beau spécimen d’architecture gothique. A l’intérieur se trouvent les tombeaux des seigneurs Lascaris, le buffet d’orgue des Frères Serrassi, construit en 1673 qui présente des caractéristiques que l’on ne peut trouver que dans la région de la Roya (grosse caisse, voies humaines…).

Les maisons adossées au flanc de montagne n’ont que trois murs construits de main humaine, le quatrième, c'est le rocher ruisselant, isolé de l’habitation par une cloison, et qui sert de cave.

Ces maisons-là ont un accès par la grande rue (si étroite qu'il a fallu enlever les bornes qui protégeaient les portes d’entrée contre le chavirement possible d'une charrette pour qu'une 500 Fiat puisse y passer!) et un autre accès par une rue secondaire, deux étages plus haut. Au rez-de-chaussée, un garage à charrette, un entrepôt-à-tout, et à côté souvent une cave pour laisser mûrir les fromages de chèvre contre le roc. Il faut ressortir dans la rue pour trouver l'escalier en dalles d'ardoise qui accède à l'étage de la pièce commune, la cuisine. On emprunte encore un escalier pour accéder aux chambres dont les cloisons délimitent l'écurie des mulets qui n'ont que la pierre humide en guise d'abreuvoir et l'on débouche enfin sur la rue supérieure.

Les maisons du côté impair de la rue ont quatre murs et aucune dépendance ni annexe autre que le jardin, les porte de ces habitations s'ornent de magnifiques linteaux très anciens en ardoise verte sculptée.

Trois énormes fontaines de la vieille ville sont encore alimentées en eau, celle de Sainte Catherine, celle du Couvent et celle de la place du Traou. Il n'y a pas si longtemps, on y remplissait tous les matins les seaux en cuivre pour la cuisine, les toilettes ; le lavage du linge se faisant au lavoir quand l’eau n’était pas gelée., l'eau courante n'arrivait pas sur l'évier -une grosse pierre carrée creusée en son centre, l’eau potable attendait sagement dans une bassine spéciale qu’un assoiffé en prenne une gorgée à même la louche destinée à ce seul usage.

Une des plus ancienne place du village est la place du Traou avec une vue magnifique sur la Collégiale, la maison où siégeait le tribunal de justice est située à la gauche de la place, la prison à la droite et jouxtant la prison, il y a la maison des Guido.

En 1945, dès la fin de la guerre, Tende était encore une possession italienne, la place a été débaptisée du nom de Garibaldi pour devenir: «place lieutenant Maurice Guido « del Scuadrille Normandie-Niemen ».

Tende, ville italienne, avait une place dédiée à un pilote de chasse français ayant combattu avec les alliés russes dans le ciel russe... Mais ce n’est guère mieux maintenant, la place est celle du « Colonel Maurice Guido de Normandie-Niemen ».

Au-delà de la ville, sur d’autres flancs de montagne, certains tendasques ont des « campagnes », un terrain destiné à cultiver la nourriture des mulets et les légumes de la maisonnée, et qui également fait office de résidence d’été.

Mon grand-père avait construit un cabanon (une pièce en murs de pierres, avec cheminée) et une grange reliée par une terrasse, ombragée malgré lui : il avait confectionné une table et deux bancs mais avait choisi des troncs d’arbre trop jeunes qui s’étaient égayés à prendre racine, à s’épanouir en ramures et en feuillages… c’était très beau de déjeuner sur une table « vivante », de sentir passer contre ses chevilles des poules maigrichonnes à la recherches de miettes.

Tende hier
Le tendasque de la vile médiévale possède une notion viscérale du clan auquel il appartient de par l’histoire de sa ville, la langue et la position sociale de sa famille.
S’ il s’appelle Bosio, Cotta, Guisto, Davéo, Guido, cela signifie qu’il est bien tendasque depuis très longtemps et donc qu’il jouit d’une ancienneté attestée et reconnue par tous.
S’il a le malheur de porter un autre patronyme, il a des chances de pouvoir s’être intégré par sa valeur et son implication dans la vie du pays, chance laissée à l’appréciation des natifs de premier ordre.
Le petit nombre de familles et la multiplication de ses descendants a tout naturellement conduit à la nécessité de marquer la filiation par une tournure de langage semblable à celle des populations sémites ; par exemple, on se doit de dire :
« le » Maurice de Jean-Baptiste pour désigner mon père et, son géniteur une fois décédé, on va dire : « le » Maurice de Tante Thérèse car la veuve devient la « tante » de tout Tende, chacun doit la saluer de cette manière.
Le tendasque n’a guère évolué depuis l’homo sapiens-sapiensis, il a recours aux surnoms avec une imagination qui atteint souvent les bornes du comique.

Malheureusement, je ne me souviens plus de ces surnoms en tendasque, mais je peux en citer quelques-uns amusants –même en français.
Il y a « le négus » parce que l’homme a les cheveux frisés et une peau très foncée
Il y a « vomit les vermicelles » … souvenir d’enfance sans doute
Il y a « craint les courants d’air » parce que toujours la morve au nez
Il y a « l'assoiffé » le croque-mort trop souvent ivre.
Certaines femmes n’échappent pas aux surnoms :
Il y a « la génisse » évocateur d’une attirance féminine envers les culbutages
Il y a « Petit coquillage » la boulangère qui initiait tous les jeunes aux joies de l’amour
Et bien d’autres encore ...

Le tendasque parle une langue vernaculaire et attache beaucoup d’importance aux bienséances des saluts préliminaires à toute conversation, l’aîné prenant la parole en premier :

- Alors, ça va, ça va ?
- ça va...
- Il fait froid ou chaud, n'est-ce pas? (ou chaud)
- et oui ...
- et comment va la Tante ?
- ça va, ça va...

Ce n’est qu’une fois passés en revue tous les membres des familles réciproques que l’on peut commencer à parler de choses « sérieuses ».

Bien évidemment, plus il y a de participants à la rencontre, plus le cérémonial prend du temps.

Le tendasque n’est jamais embarrassés par une question, il a toujours réponse à tout à l’aide d’une formule magique très modulée censée convenir à chaque circonstance :
- eh ! qu’est que tu veux…
Envers les gens du « bas », un simple « bonjour » ou « bonsoir » est suffisant.
Le tendasque est la langue obligatoire bien entendu, mais il était toléré de passer à l’italien ou au français selon les circonstances ou les mots (allez dire frigidaire ou transistor en tendasque !).
Pour parler le tendasque avec une prononciation convenable, il est impératif d’avoir une voix de gorge rauque, voilée, arabisante, sinon on ne pouvait faire que « semblant » de parler convenablement !
Le tendasque a également gardé des époques reculées une certaine manière de considérer la gente féminine, du moins jusqu’aux temps de ma grand-mère.
La femme se doit d’être « belle et grasse » comme la Venus de Lespugnes.
La femme s’occupe du feu, va chercher l’eau à la fontaine, elle fait les « pâtes», le pain, le potager, tient les cordons de la bourse.
Il faut cependant noter une marque de civilisation très « avancée » : la femme s’assied à table pour manger le repas !
Elle accompagne son mari dans les allés-venues aux alpages, elle tire le mulet par le mors tandis que l’homme se fait faignant en se tenant à la queue de l’animal dans les montées.

Elle doit préparer une bassine d’eau bien chaude et laver les pieds de son mari lorsque celui-ci revient de la chasse en montagne chargé d’un (morceau de) chamois.

Lorsque la femme est enceinte, c’est normal, c’est la vie, elle continue à travailler jusqu’à l’accouchement et reprend ses activités dès que l’enfant est baptisé, c'est-à-dire trois jours après la naissance.

Les filles engrossées hors mariage sont aussitôt mariées avec les hommes qui voudront bien d’elles, un vieux veuf ou un célibataire très difficile à caser.

Toutes les femmes de Tende vont à la messe du Dimanche, certains hommes au bistrot tandis que d’autres se content de refaire le monde (tendasque) sur la place du vieux Tende. Exception faite des enterrements pour lesquels les hommes ont sorti leur costume de mariage de la naphtaline, si bien que le Bon Dieu hume plutôt les odeurs de teinturerie que ceux de l’encens en offrande sacrée.

Tous les tendasques nés entre le XIX° et le XX° siècle connaissaient le même mode de vie suite à l'engouement de riches étrangers pour la Côte d’Azur : passés les 14 ans et le certificat d’études (italien), les jeunes allaient à Nice ou à Cannes comme Chasseur, Garçon d’Ascenseur, ou serveurs en salle (pour les plus présentables) dans les hôtels de luxe et parfois même certaines femmes allaient gagner des sous comme « femme de ménage » pendant la saison hivernale morte pour Tende mais rutilante sur la Côte. Ils ont rapporté de ces séjours une autre approche de la vie, un parler français impeccable, parfois même d’autres langues étrangères (l’anglais et le russe en particulier) et surtout la connaissance du grand monde.


Tende demain ?
Depuis l’an 2000 le village se vide de la jeunesse, des boutiques, peu connaissent encore le parler tendasque ; des traditions réactualisées demeurent pour le plaisir des touristes, comme la fête des Mulets ou celle des feux de la Saint-Jean, le marché du mercredi a toujours lieu mais à côté des fruits et légumes, se trouvent des artisans-artistes venus de plus loin.

Les maisons se sont faites à l'idée de grelotter de froid l'hiver, sans habitants qui viendront de la côte simplement pour les jours de chaleur.

Les nombreuses planches en terrasses soutenues par des murs de pierre sèche ne sont plus cultivées sur les flancs des montagnes, faute de vocations d'agriculteurs et surtout parce qu’elles ne sont exploitables qu'à la force des bras et des chevaux de labours ; seuls demeurent quelques petits potagers de consommation familiale.

L'âme du pays se dissout malgré les efforts de certains, l'installation de trentenaires attirés par une vie plus calme que celle des villes, de nombreuses fontaines d'eau pure et fraîche sortent lentement de leur état d’abandon grâce au bénévolat, car malgré tout l'espoir subsiste de tenter de faire revivre le vieux village.

Cette aspiration de renaissance est liée à l'avenir du transport ferroviaire supprimé depuis peu comme beaucoup de petites lignes de France. Le train Nice-Tende-Cunéo permettait de nombreux échanges ente la mer et l'Italie, c'était une ligne de montagne, spectaculaire par son tracé et ses ouvrages d'art, viaducs, tunnels, voie hélicoïdale au centre de la montagne ; elle a été détruite pendant la dernière guerre, reconstruite par la suite pour ne servir qu'en été jusqu’à Tende.

Le train estival nommé « train des Merveilles » fait allusion à un site dans les montagnes alentours où ont été découvertes 40 500 gravures protohistoriques datant du chalcolithique et de l’âge du bronze ancien dont les artefacts sont présentés dans le musée éponyme dans la ville de Tende.

Le passage à Tende est obligatoire pour qui veut découvrir ces pétroglyphes dans leur cadre naturel, des excursions en jeep sont organisées vers les sommets des vallées de haute altitude fréquentées par tous nos ancêtres depuis la préhistoire jusqu'au siècle dernier pour l'estive des ovins.

La Vallée des Merveilles et Tende font partie du Parc National du Mercantour qui est sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Unesco par sa variété extraordinaire de 8 000 espèces animales et végétale dans des paysages très variés.

Curieux destin que celui de Tende, autrefois axe de passage incessant tant convoité qui perd tout intérêt logistique malgré les progrès de la civilisation !

Tende qui se replie sur elle-même comme un nid abandonné au centre des montagnes, Tende, une enclave loin de toute idée de mondialisation et parfois même de connexion internet, Tende millénaire renaîtra-t-elle un jour ?