Salut! Ça va?

La fin des YAK- la naissance et la renaissance d’une réplique

2020-10
Le 9 juin 1945, un mois après la signature de la capitulation de l’Allemagne, considérant le comportement exemplaire des pilotes français sur le front soviétique le maréchal Staline estime qu’il serait injuste de les désarmer.

C’est pourquoi il leur fait don des avions de chasse sur lesquels ils ont combattu au sein du Normandie-Niemen, 40 Yak 3 avec lesquels ils sont autorisés à rentrer en France. Et c’est ainsi que le 20 juin suivant, après avoir survolé les Champs-Élysées, 37 appareils se posent sur le terrain du Bourget[1] où une foule énorme est venue les accueillir en héros.

Malheureusement ces avions de légende vont rapidement connaître l’oubli. Après leur retour, les pilotes et les avions du Normandie-Niemen sont encore régulièrement sollicités et participent à de nombreux meetings. Mais rapidement se pose le problème des pannes et des pièces de rechange[2]. Comme il est trop onéreux de faire venir ces pièces depuis l'URSS - d’autant plus que la « guerre froide » vient de commencer - les autorités françaises reprennent la totalité des avions pour les « ferrailler[3] » dans la région d’Étampes.

Un seul de ces Yak a pu être sauvé par Constantin Feldzer, un ancien pilote du Normandie-Niemen devenu conservateur adjoint du Musée de l'Air situé alors à Meudon avant d'être installé au Bourget. Remis au Musée en 1947 avec le numéro 18, l’appareil a été repeint[4] avec le n°4 en 1976.

Ancien commandant du Normandie-Niemen lors de son retour en métropole [5] le général Louis Delfino ramène son propre Yak 3 qu’il va abandonner rapidement au profit du Spitfire. Sur chacun de ses appareils il va garder son marquage personnel du double[6] O qu’on retrouvera à Mont-de-Marsan le 14 septembre 2012 pour les 70 ans du Neuneu[7].

C’est en 1992[8] que s’ouvre aux Andelys dans l’Eure, le premier espace réellement dédié à l’histoire du Normandie-Niemen. Le site a été choisi car c’est la ville de naissance de Marcel Lefèvre, un des héros de l’unité qui authentifiera ses origines normandes en faisant peindre sur son appareil le profil du « père Magloire » », une grande marque de Calvados. Une décoration que le visiteur pouvait découvrir sur la carlingue de la maquette extérieure, une copie à l’échelle 1 de son Yak 9D.

Mais qui est à l’origine de cette maquette ?

Au vu des témoignages rassemblés, entre autres celui de Jean-François Anière président d’honneur du mémorial du Normandie-Niemen, il semblerait que l’initiative en revienne au commandant Guy Suze[9], un de ses quatre membres fondateurs[10] et à monsieur Claude Lemée son président d’alors. Pour un prix de 30.000 Euros, la commande est passée le 17 janvier 2006 auprès de Thierry Pagnon[11] un artisan de Montigny-les-Metz. En effet, quelques années auparavant, son entreprise a prouvé qu’elle était à la hauteur d’une telle réalisation en construisant la réplique du planeur « Horsa » du musée « Pegasus Bridge » situé le long du canal de l’Orne au nord de Caen.

C’est en juin 2004, à l’occasion de l’inauguration de ce planeur que quelques membres du mémorial font cette rencontre essentielle. L’élément déclencheur qui va permettre de concrétiser l’idée qui depuis longtemps trotte collectivement dans la tête des membres du bureau : la réalisation d’une réplique du Yak de Marcel Lefèvre faute de ne pas pouvoir trouver un Yak d’époque.

Les plans de la réplique ont été réalisés par Michel Lefort[12], un constructeur d’avions amateur passionné d’histoire. La peinture d’ensemble est l’œuvre de Sylvain Bettinger, un peintre en carrosserie automobile et les décorations spécifiques[13] celles de Christophe Sustersic qui lui travaille comme infographiste/vidéaste. L’équipe opère dans un hangar loué par un ancien transporteur, au 71 rue des Volontaires à Montigny-lès-Metz.

Malgré quelques tiraillements en interne, le 14 décembre 2006 la maquette est transportée par les « Déménageurs Bretons » depuis son lieu de construction dans l’Est de la France vers la Base Aérienne 105 d’Évreux.

Après quelques mois de stockage à l’abri des intempéries dans un hangar désaffecté, le temps de la réalisation de son pylône de support en inox, elle rejoint son lieu d’exposition au mémorial des Andelys où les 29 et 30 mars 2007 elle est finalement mise en place. Là, elle côtoie désormais le cadeau de l’armée de l’Air à ce qui n’était alors que « Le Comité Andelysien pour le Souvenir de l’Épopée du Groupe de Chasse Normandie-Niemen en URSS[14] » : Le Mirage F1 C N° 101, venu de la Base Aérienne 279 de Châteaudun[15] et repeint spécifiquement pour le 50eme anniversaire de la création du Normandie-Niemen (1942-1992).

Mais réalisée en contre-plaqué, un matériau sans doute inadapté aux conditions météo locales[16], dès les intempéries de l’hiver 2007-2008 la maquette du Yak commence malheureusement à se dégrader rapidement.

N’ayant pas les moyens de financer sur ses fonds propres une campagne de travaux visant à assurer son étanchéification (enrobage de la cellule et des ailes par du tissu de verre imprégné de résine) et l’application d’une nouvelle peinture, des demandes de soutien financier sont envoyées début 2009 vers des sponsors potentiels (Caisse d’Épargne de Normandie, Fondation Total…)

S’agissant de l’étanchéification, un devis d’un montant de 13.614 Euros est établi auprès de l’entreprise Polybat de Courcelles sur Seine (Eure). Il est accepté. Le montant total de la remise en état étant alors estimé à 20.000 Euros.

Arrivée en atelier le 10 mars 2009, les travaux de polymérisation et de peinture sont réalisés rapidement[17] et afin de coller au mieux à la réalité historique, 11 croix symbolisant les victoires aériennes de Marcel Lefèvre sont alors peintes à côté de la tête du père Magloire.

Le 17 juin 2009, la maquette du Yak de Marcel Lefèvre retrouve son emplacement aux Andelys. Mais faute de visiteurs, confronté depuis 2008 à des difficultés financières liées selon Claude Lemée à la disparition des subventions du ministère de la Défense et de la municipalité, le mémorial des Andelys doit malheureusement fermer ses portes le 5 octobre 2010.

La plupart des objets exposés sont transférés vers le musée de l’Air et de l’Espace au Bourget où un espace Normandie-Niemen a été recréé autour du Yak N°4. Quant à la maquette extérieure du Yak 9 suite à des tractations[18] menées entre le Lieutenant-colonel Robert Marty, officier traditions de la BA 118 et Monsieur Anière président du Mémorial, elle prend finalement la direction de la BA 118 de Mont-de-Marsan où les Rafale du Normandie-Niemen sont stationnés depuis 2011.

En accord avec le commandant de la BA 118[19], grâce à l’aide du Commandement du Soutien Technique[20] local et à celle d’une équipe mixte de mécaniciens de Mont-de-Marsan et d’Évreux, la maquette est démontée puis convoyée[21] jusqu’à Mont-de-Marsan où elle arrive à l’Espace Patrimonial Rozanoff (le musée de la Base Aérienne 118) le 29 juin 2012.

Elle est alors stockée[22] puis inspectée en attendant que la convention définitive de prêt[23] soit enfin signée le 28 mars 2015.

Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle est en mauvais état. La pluie et le contre-plaqué n’ont pas fait bon ménage. Partout où l’eau a stagné, le bois est pourri et de nombreuses structures essentielles à la rigidité de l’ensemble sont à refaire.

Du côté des bénévoles de l’Espace Patrimonial Rozanoff, c’est un peu l’abattement devant l’ampleur des travaux de restauration à réaliser. Mais rapidement, l’enthousiasme reprend le dessus et sous la conduite technique de Didier Micheau, expert en bricolage de haut vol, un calendrier de solutions techniques et d’étapes de remises en état est mis en place. C’est le 17 février 2016 que sont lancés les premiers travaux de réfection de l’aile gauche.

Partout où cela s’avère nécessaire les anciens éléments de la structure en bois sont remplacés par une structure métallique. C’est le cas notamment des longerons des deux ailes et du châssis du fuselage. Des reprises sont faites sur la résine de Polyester de la carlingue.

Les travaux vont bon train et en novembre 2016 ont lieu les essais d’assemblage des deux ailes refaites.

Début 2017, c’est le tour du fuselage : Renfort du plancher en bois et mise en place d’un système de croisillons de renforts métalliques.

Le reste de l’année 2017 est consacré aux travaux d’étanchéification de la verrière (déjà source d’importants problèmes d’infiltration au vu de l’examen de la maquette), à la réalisation de la peinture du fuselage mais surtout aux travaux de recherche historique qui permettront de connaître avec un maximum de certitude les détails de la décoration finale.

Plusieurs esquisses sont ébauchées notamment pour la tête du « père Magloire » sous la houlette de Didier Micheau.

Après examen de nombreuses photos d’archives, le nouveau « père Magloire » hérite d’une pipe qui n’existait pas sur la décoration précédente.

En février 2018, tous les travaux de peinture et de décoration sont terminés et c’est le 25 avril qu’a lieu l’assemblage final de toutes les pièces sur le parking extérieur de l’Espace Patrimonial Rozanoff. La qualité est au rendez-vous, la maquette est vraiment superbe et la fierté des bénévoles ayant œuvré à sa réalisation, bien légitime.

Il leur en aura couté 3500 heures de travail pour un coût de revient de 3500 Euros financés par des dons internes à la BA 118[24] et par ceux de mécènes extérieurs[25].

Les semaines suivantes sont consacrées à des travaux de finition et de préparation pour que le 20 juin 2018, le Yak puisse être roulé grâce à un train d’atterrissage provisoire jusqu’au parking avions. Il va y faire l’admiration de tous les visiteurs notamment pendant les journées du patrimoine des 15 et 16 septembre.

En parallèle, quelques cerveaux sont déjà en ébullition pour réfléchir à la technique qui permettra à la maquette de trouver sa place d’exposition. Après plusieurs tentatives, l’assemblage relativement complexe du trépied qui va permettre l’accueil de la maquette est finalement terminé le 26 septembre 2018.

Le portique de levage est mis en place et c’est le 10 octobre 2018 qu’a lieu la dernière action de l’entreprise de rénovation débutée en février 2016.

Après un dernier envol, la nouvelle maquette du Yak 9D de Marcel Lefèvre, héros du Normandie-Niemen, trône enfin à l’extérieur de l’Espace Patrimonial Rozanoff sur la Base Aérienne 118 de Mont-de-Marsan.

Croisons les doigts pour qu’elle y reste longtemps encore.


[1] 3 appareils restent sur le terrain de Saint-Dizier, dernière étape avant l’arrivée à Paris. Le N° 30 et le N° 13 se sont accrochés et le N° 12 a dû faire demi-tour pour une panne de volets. À leurs commandes, respectivement Bousqueynaud, Abadie et Richard, 3 pilotes qui font partie du dernier groupe de 13 arrivé en renfort à l’escadron en avril 1945. Ils ne connaitront pas de mission de guerre et n’auront pas le temps d’intégrer la légende du Normandie-Niemen.
[2] Les derniers vols ont lieu à l’automne 47
[3] Terme générique signifiant leur destruction même si les ailes du Yak 3 étaient en bois
[4] L’appareil du Lieutenant Robert Marchi mort dans le crash de son Stampe le 17 juillet 1946
[5] Entre février 44 et avril 45 il passe de capitaine à lieutenant-colonel avant de poursuivre sa carrière dans l’Armée de l’Air
[6] L’adjoint de Pouyade, Paul de Forges, avait un O comme marquage sur son Yak. Quand De Forges disparait, Delfino qui le remplace à son poste d’adjoint va choisir le double O pour indiquer son rôle de « dauphin » (Delfino en italien)
[7] Appellation familière du Normandie-Niemen
[8] Inauguré le 21 septembre 1992 par le CEMAA et l’Ambassade de Russie en France
[9] Le Cdt Guy Suze, ancien mécanicien avion au Normandie-Niemen est pressenti pour piloter l’opération et élaborer un cahier des charges. Il est l’actuel conservateur du musée de la BA 105 d’Evreux.
[10] Les trois autres membres étaient : René Vasseur (militaire retraité, conseiller municipal) - Robert Lefèvre (frère ainé de Marcel) – Léon François (résistant déporté, ami d’enfance de Marcel Lefèvre)
[11] Assistent à la présentation officielle de la maquette (date inconnue) : Thierry Pagnon et ses peintres-décorateurs Sylvain Bettinger et Christophe Sustersic ainsi que Philippe Reboisson (Les déménageurs bretons) pour son rôle de sponsor-transporteur. Côté armée de l’Air : le capitaine Wencker commandant d’escadrille Normandie-Niemen et le lieutenant-colonel Taesch « qui était de l’été 2004 à l’été 2006 commandant du régiment de chasse 02.030 basé à Colmar Meyenheim, régiment qui perpétue la tradition du Normandie-Niemen » (dixit l’article du Républicain Lorrain).
[12] Le projet global est présenté aux membres du Conseil d’Administration lors de la réunion du 17 octobre 2005. Thierry Pagnon et Michel Lefort viendront en exposer le détail lors de la réunion suivante du 15 novembre. Il leur est demandé de préparer un devis qui sera accepté en janvier 2006.
[13] Le père Magloire, le numéro 14, les flèches et les étoiles
[14] Association loi 1901 créée le 19 mars 1990
[15] Cet appareil était stocké à Châteaudun. Transféré par voie routière sur la Base Aérienne d’Évreux, il y est décoré avec sa livrée « 50eme » puis après un nouveau transport par camion, il est installé aux Andelys en 1993 où il est inauguré par le colonel Jacques STADELMANN commandant de la BA. 105.
[16] Confronté à de nombreux problèmes il semble que le constructeur n’a pas intégré toutes les spécifications techniques demandées au départ et que la maquette présentait plusieurs vices de constructions découverts lors des interventions ultérieures : matériaux bois utilisés n'étant pas de qualité marine, peu de renforts métalliques de structure...
[17] Il ne sera pas prévu de système d’évacuation de l’eau de condensation en bas de l’aile gauche
[18] Dans la première convention établie avec le MAE du Bourget il est prévu que la maquette soit installée sur l’esplanade en face du musée à côté de la stèle Normandie-Niemen représentant un pilote français et son mécanicien soviétique. Mais cette installation n’est pas acceptée par l’architecte des Bâtiments de France
[19] Colonel Letalenet
[20] Lieutenant-colonel Fouine
[21] Remplie d’eau l’aile gauche se brise au démontage
[22] À son arrivée sur la BA 118 la maquette est d’abord entreposée dans le hangar du Dams qui vient de fermer puis au garage, dans la tente devant l'ETL, au hangar du LEMP (partie Esope), dans la hangarette de l'Escadron Mirage IV enfin au Banc d'Essais réacteur avant de rejoindre les cuisines de l'ancien mess Sous-Officier, nouvel atelier de l’Espace Patrimonial Rozanoff.
[23] La BA 118 reste dépositaire de la maquette du Yak tant que l’Escadron Normandie-Niemen y reste stationné.
[24] BISMA, GSBDD, ASAC SP Aéro
[25] AA CEAM, Crédit Mutuel, Sociétés SLER, Chausson et Corrihons

Sources :
Mémorial Normandie-Niemen ; Espace Mémorial Rozanoff ; Jean-François Anière ; Michel Lefort ; Christophe Sustersic ; Sylvain Bettinger ; Guy Suze ; Yves Donjon ; Robert Marty ; Alain Clerc ; Didier Micheau