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Haviland: l'or blanc de Limoges

2020-10
Je ne pense pas que David Haviland pouvait s’imaginer au 19ème siècle le nombre d’adorateurs de la porcelaine de Limoges qu'il allait y avoir en Russie deux siècles plus tard ! J’en fais sans doute partie, car mon petit-déjeuner n'est plus imaginable sans une petite tasse élégante de la collection Ritz Club ! Je suis sûre que dès le début du chemin cet homme d’affaires de grand talent rêvait de voir sa manufacture parmi les meilleurs porcelainiers du monde, fournissant les services de table aux plus grandes familles Royales et les chefs d’État, tels que l’Impératrice Eugénie, le président Jacques Chirac, le Prince Rainier de Monaco, ainsi que les présidents Roosevelt et Lincoln. Mais pouvait-il penser à une collectionneuse passionnée des tasses Haviland dans une ville lointaine d’Irkoutsk près du lac Baikal ?

Je vous invite à découvrir l'univers de Haviland de 1842 à nos jours.

L’HISTOIRE DE HAVILAND

L’activité de fabrication de la porcelaine à Limoges est liée à la découverte essentielle en fin de 18ème siècle à Limousin de deux minéraux : le kaolin et le quartz. Ces minéraux sont indispensables pour la fabrication des pâtes de porcelaine dure, mais translucide en même temps. Les kaolins de Limoges sont réputés pour leur blancheur et sont appelés à juste titre « l’or blanc ». Aujourd’hui ces minéraux continuent à être utilisés.

Il est très intéressant que la manufacture française Haviland soit née en 1842 de la volonté d'un entrepreneur américain David Haviland. Cet homme d’affaires était passionné par la porcelaine – en 1838 il avait déjà son entreprise d'importation de faïence et de porcelaine à New York. Il existe une belle histoire racontant qu'une dame a demandé David Haviland, qui avait la réputation d'un spécialiste-porcelainier, de lui trouver le remplacement de sa tasse cassée. Il s’agissait de la porcelaine de Limoges qu’on ne pouvait pas trouver aux États-Unis à l’époque. N’ayant pas envie de décevoir sa cliente, Monsieur Haviland a traversé l'Atlantique pour chercher la tasse demandée. C’est en France que Haviland a eu cette idée de créer sa propre production de porcelaine de Limoges afin de pouvoir fabriquer et exporter ses produits sur le sol américain où il y avait une demande forte pour ce produit de qualité exceptionnelle.

C’est grâce à Haviland et son œil novateur que Limoges est devenue le centre mondial de la porcelaine. David Haviland était toujours en recherche de moyens pour perfectionner le processus de fabrication : il a inventé la technique de peinture à la main - l’enluminage, installé des machines révolutionnaires. En 1853 le gouvernement américain a reconnu son talent en lui décernant une médaille d'or à l’Exposition du Crystal Palace. En 1864 Haviland est reconnu la plus importante fabrique de porcelaine en France. Puis, en 1855 Haviland obtient une médaille d'argent à l’Exposition Universelle de Paris.

Au cours de son histoire la manufacture Haviland a connu de nombreuses étapes de développement et de transformation. Le fils de David Haviland, Théodore, a continué le projet de vie de son père : il a mis l’accent sur la création artistique et repoussé les limites du design. Théodore et puis son fils William ont établis des partenariats exclusifs avec de nombreux artistes, designers, peintres et sculpteurs comme Bracquemond, Bourdelle, Dammouse, Suzanne Lalique, Gauguin, Dufy, Sandoz, Kandinsky et Dali entre autres. Cela a contribué au renom et à l’histoire de Haviland. Depuis 1842, plus de 5000 décors ont été créés à la manufacture Haviland.


DECORS : DE L’HISTOIRE A NOS JOURS

Chaque collection de Haviland est une œuvre d’art. Derrière chaque décor il y a une histoire - du passé ou du présent. Par exemple, la collection historique « Impératrice Eugénie » porte le nom de l'épouse de Napoléon III. Léonce Ribière a dessiné spécialement pour l'impératrice Eugénie un motif avec ses violettes de Parme préférées. Dans le langage des fleurs, une violette symbolise la timidité, la modestie et la décence, en allusion à la petite corolle qui hésite apparemment à sortir de son nid de feuilles. L'impératrice Eugénie a beaucoup contribué à la vie culturelle de la Cour et de la France, ainsi qu'à la création du style Napoléon III. L’élève de Léonce Ribière - Lassère - a repris ce modèle afin de créer en 1967 le décor « Impératrice Eugénie » que nous connaissons aujourd’hui.

L’assiette originale de ce décor fait toujours partie de la collection du musée de la porcelaine Haviland à Limoges.

La collection « Louveciennes » est une reproduction du service personnel de la reine Marie-Antoinette, l’épouse de Louis XVI. Ce décor a été créé par la manufacture de porcelaine de Sèvres à la fin du XVIIIe siècle, d'après les motifs des salles du Petit Trianon au château de Versailles. La manufacture HAVILAND a réalisé le décor Louveciennes pour la première fois en 1963, bien que le dessin à l'aquarelle du décor soit apparu en 1850. Ce décor historique est considéré comme l'une des plus belles et des plus prestigieuses collections de Haviland. La collection Louveciennes est une véritable star du cinéma et de la musique : elle apparaît non seulement dans les scènes du film « Les intouchables », mais aussi dans le fameux clip musical de Beyonce « Partition ».

Haviland a une belle collection de décors contemporains, comme Hollywood, Souffle d’or, Infini, Illusion, Damassé, Belle Epoque. La collection « Hollywood » a été créée en collaboration avec un célèbre architecte d’intérieur américain Martyn Lawrence Bullard en 2015. Martyn a intégré les formes géométriques des années 60 et 70, qui sont associées à des motifs ethniques et ressemblent en même temps aux tatouages ​​stylés de notre époque. Il dit que les intérieurs de l'élite hollywoodienne des années 40 lui ont été une très forte source d’inspiration.

PRODUCTION ET DECORATION

La porcelaine de Limoges est considérée bien plus dure que les autres. C’est grâce à une particularité très importante de kaolin : il subit une cuisson de 1400 °C. Cela la rend très solide à la sortie du four.

La plupart de décors sont faits en technique de chromolithographie. C’est une technique de décoration qui existe depuis plus de 100 ans. Elle implique l’utilisation de décolles – les pellicules décorées qui sont appliquées sur les assiettes avant la dernière cuisson qui dure 2 heures. L’étape finale de décoration est la finition d’un objet avec de l’or liquide de 24 carats ou de la platine. Cela demande des années de pratiques.

La manufacture Haviland produit aussi des collections prestigieuses avec des reliefs et des incrustations d’or et de platine. Ce sont de vraies œuvres d’art qui exigent plus de 11 étapes pour leur production.

La création de la porcelaine exige énormément de savoir-faire. Cela prend 15 ans pour devenir un bon émailleur et environs 3 ans pour une décalqueuse. Chez Haviland on dit que le savoir-faire est entre les mains des gens qui travaillent à la manufacture. C’est pour cela que l’aspect humain y est tant important aujourd’hui.

HAVILAND EN RUSSIE


Pour Tatiana Sibgatoulina, la présidente d’une représentation officielle de la manufacture en Russie, Haviland est une des particularités de la vraie France qui s’en va : « Pour moi, Haviland est un laisser-passer dans le monde de la beauté, qui n'ouvre pas ses portes à tout le monde. C’est quelque chose d’exceptionnel ». Elle rajoute qu’aujourd’hui Haviland a de la chance, grâce à son propriétaire, de ne pas être en dépendance totale du marché, pour continuer à se développer dans la direction artistique.

Tatiana se souvient de la première pièce Haviland qui l’a fascinée à « Dom Farfora », c’était le vase Serengetti. Elle se souvient aussi de sa première visite à la manufacture à Limoges : « L’impression la plus vive de cette visite est liée, à part de la production, à la visite au musée de Haviland. J’ai vu à quoi ressemblaient les décors qui sont produits aujourd'hui à l’échelle industrielle, lorsqu’ils ont été inventés pour la première fois. En touchant ces dessins, ces plats, en regardant tout cela, on touche l’histoire vivante, qui n’est pratiquement plus disponible ».

Il y a beaucoup de régions en Russie où l’on trouve du Haviland et des gens qui l’aiment de tout cœur. Par exemple, Svetlana d’Irkoutsk a déjà 5 décors dans sa petite collection, mais elle dit que ce n’est que le début ! Cette femme est la propriétaire d’un salon de beauté à Irkoutsk et l’un des thés sélectifs servi à ses clients, porte le nom de sa collection préférée : l’Impératrice Eugénie.

« Haviland c’est plus que de la vaisselle, de la porcelaine » dit-elle. « Chaque objet et chaque collection a sa propre histoire. De plus, tout est réalisé à la main, l’usine est très traditionnelle et ça m’attire énormément. J’ai été aussi surprise que les héritiers de Romanov aient également un service Haviland. Ce service a été réalisé sur mesure en honneur de l’anniversaire de la dynastie Romanov à l’occasion du bal du gouverneur à Irkoutsk ».

Je peux parler de Haviland pendant des heures et des heures, - chaque décor, même chaque forme a une histoire à raconter. La seule chose que j’ai envie d’ajouter, c’est que je me sens privilégiée de pouvoir travailler avec cette beauté au quotidien et d’en parler aux autres.