Les recherches que j'ai effectuées autour de la comtesse Amourskaya, épouse de notre premier gouverneur, Nikolaï Muraviev-Amoursky, m’ont permis de rencontrer Paul Mirat, un homme passionné par sa région, le Sud-Ouest de la France, et par son histoire ! Nous avons longtemps correspondu par email puis, en 2019, vint le jour de la rencontre, en chair et en os. Nous nous sommes rencontrés à Gelos, devant la tombe de la comtesse. Pendant ce séjour, j'ai eu la chance qu'il me serve de guide, il connaît tant d'histoires passionnantes. Pour les lecteurs de « Salut ! Ça va ?» il nous offre celle de son village, Meillon, dans les Pyrénées-Atlantiques.
Paul, vous habitez un petit village qui a fait preuve de beaucoup de courage et de générosité pendant la deuxième guerre mondiale, notamment envers les réfugiés qui fuyaient les troupes nazies. Voulez-vous nous dire ce qui s'est exactement passé à Meillon ?
Meillon est situé au pied de la chaîne des Pyrénées, au bord de l'océan Atlantique, au cœur d'une petite région qui s'appelle le Béarn, frontière avec l'Espagne. Ma famille y est installée depuis toujours. En 1936, mon grand-père Paul Mirat (1885-1966) est élu maire de Meillon où il dirige un élevage de chevaux de courses créé par son grand-père. C'est un homme très actif qui s'est couvert de gloire pendant la première mondiale, devenant notamment instructeur des troupes américaines en 1918. La guerre, il la connaissait bien !
En 1936, éclate la guerre civile espagnole. L’année suivante, les premiers réfugiés traversent les Pyrénées et arrivent en Béarn. Un camp de fortune est construit à la hâte dans le village voisin de Gurs pour accueillir des centaines de familles. Ce camp est très sommaire, sans la moindre trace de confort, ce sont des pauvres baraques en planches avec en guise de toit une maigre toile goudronnée. Inutile de dire que la vie n'y était pas vraiment agréable. Mon grand-père, révolté par cette situation, demande aux autorités l'autorisation d'héberger des réfugiés espagnols. Le village est connu dans la région car ses terres très fertiles en font un centre maraîcher très important, il y aurait donc aussi possibilité de donner du travail à ceux qui le souhaitent. L'autorisation lui est accordée et les premiers réfugiés espagnols, très heureux d'éviter un séjour au camp de Gurs, arrivent à Meillon dès le début de 1938. Mes grands-parents ouvrent grande leur maison mais aussi les granges et les écuries. C'est là que les premiers réfugiés vont s’installer.
Est-ce que tout se passe comme prévu ?
Pas vraiment. Les habitants du Béarn ont peur de ces réfugiés. La presse internationale les présente le plus souvent comme des bandits de grands chemins. De nombreuses exactions ont été commises pendant la guerre d'Espagne et on accuse les Républicains d'avoir tué de nombreux curés et religieuses. La population ici est sur ses gardes. Ma grand-mère fait partie de ces nombreuses familles basques et béarnaises qui ont dû émigrer vers l'Amérique au milieu du XIX° siècle. Née en Argentine elle parlait parfaitement l'espagnol. Elle va beaucoup aider mon grand-père et fera la cuisine pour des centaines de réfugiés, dans d'immenses chaudrons. Peu à peu, les habitants de Meillon s'aperçoivent que ces familles espagnoles sont pacifiques. Elles portent alors des légumes à la maison pour aider Paul et sa femme.
L'année suivante, en septembre 1939, éclate la guerre contre l'Allemagne. Les hommes du village sont soit militaires soit en captivité en Allemagne. Les réfugiés espagnols deviennent alors très utiles aux travaux des fermes des environs et leur intégration s'accélère. Mon père et ses deux frères étaient écoliers à Pau, ville distante d'à peine quelques kilomètres. Mon grand-père avait demandé à ses 3 fils d'orienter tous les réfugiés qu'ils croisaient vers la mairie de notre village. Là, il les accueillait et leur attribuait un toit pour se protéger et des cartes d'alimentation pour avoir de quoi manger.
Est-ce que la deuxième guerre va transformer le mode de vie et mettre en danger votre province, très éloignée de l'Allemagne ?
Dès les premiers jours de la guerre, la France est administrativement coupée en deux. Au Nord c'est la « zone occupée », les Allemands tiennent le territoire, et au sud de Bordeaux c'est la « zone libre »; Meillon se trouve donc en zone libre où les habitants ont encore la possibilité de se déplacer librement, sauf les bords de l'Océan Atlantique et la zone de montagnes qui nous séparent de l'Espagne, espaces très surveillés par les soldats allemands. Nous resterons en zone libre jusqu'au 11 novembre 1942.
Alors que se passe-t-il de 1939 à 1942 ? Comment réagit la population du Béarn face à la guerre ?
C'est une période extrêmement difficile. Dès septembre 1939, les soldats allemands envahissent l'Alsace-Lorraine, les Flandres et la Belgique. Des milliers de personnes sont jetées sur les routes emportant ce qu'elles peuvent avec elles. Femmes, enfants, vieillards se déplacent comme ils peuvent. Les plus chanceux ont des automobiles, les autres des charrettes tirées par des chevaux ou des ânes, les plus pauvres marchent sur le bord des routes. Ils ne savent où aller. Leur seul but est de s'éloigner le plus possible des troupes allemandes. Ce sont des colonnes entières de réfugiés qui se jettent sur les routes. L'aviation allemande fait des raids et les mitraille. Il y aura beaucoup de morts pendant cette période dramatique que les historiens appellent «l'Exode».
Ces nouveaux réfugiés, belges, lorrains, chtimis, parisiens, veulent fuir la zone des combats et la barbarie des soldats nazis. Ils pensent que l'Espagne pourrait les accueillir malgré la guerre civile espagnole qui fait toujours rage. Après les Espagnols, le Béarn doit alors faire face à une deuxième vague de réfugiés. La situation est dramatique. La population de Pau, capitale de la région, passe de 25.000 à 80.000 habitants en l'espace de quelques semaines. Il faut faire face à une pénurie inimaginable, légumes, viande, fruits, lait sont introuvables et vendus à prix d'or. Une ONG américaine, l'Unitarian Comittee, va jouer un rôle très important en juin 1940 en envoyant à Pau 30 tonnes de lait, en poudre ou condensé. Ce lait, distribué dans les écoles, les maternités, les hôpitaux et même au camp de Gurs, sauvera la vie de centaines de nourrissons.
Comment sont accueillis ces nouveaux réfugiés ?
Face à cette situation inédite, dramatique, la solidarité des Béarnais va jouer à plein. Les réfugiés sont accueillis, les habitants du Béarn ouvrent leurs maisons, leurs greniers, leurs granges. Tout ce qui peut servir d'abri est occupé par ces familles. A Meillon, les habitants suivent l'exemple donné par mes grands-parents et bientôt 24 maisons sont connues comme étant des "refuges". C'est tout à fait exceptionnel car ce petit village ne comptait, avant la guerre, que 650 habitants. Aujourd'hui, grâce aux archives que mon grand-père nous a laissé, les chercheurs et historiens locaux, spécialistes de la période, ont répertoriés plus de quatre mille réfugiés qui ont transité à Meillon entre 1938 et 1943. Ce chiffre vous donne une idée de l'activité et du dévouement qu'il a fallu déployer pour secourir cette population.
Le régime du général Pétain collaborait avec les Allemands et persécutait les Juifs. Avez-vous connaissance de réfugiés Juifs dans votre région ?
Bien-sûr! Il y a une communauté israélite importante en Pays basque et en Béarn depuis l'expulsion des Juifs d'Espagne par les rois catholiques au XV° siècle. Bayonne et Pau sont de très anciens points d'ancrage de la communauté et nous comptons des cimetières et des synagogues extrêmement anciens. Les Juifs ont toujours trouvé refuge dans notre région et l'entente entre les différentes communautés a toujours été excellente, et ce depuis le Moyen-âge et la Renaissance. Les Juifs allemands, français et de l'Europe entière ont afflué dans notre sud de la France où ils ont été protégés, cachés, nourris par la population. Des réseaux de « passeurs » se sont organisés. Des bergers et des gens qui connaissaient bien la montagne ont permis à des milliers de Juifs et autres de fuir vers Lisbonne, dernière ville européenne d'où partaient des bateaux vers les États-Unis. Les gens les plus humbles et les plus modestes sont soudain devenus de véritables héros, risquant leurs vies à chaque instant. Beaucoup ont été tués par les Allemands.
Est-ce qu'il y avait des Résistants à Meillon ?
La première personne à aider mes grands-parents s'appelait Andrée Larromet. Elle habitait la plus grande maison du village, le château Frouard. Andrée et mon grand-père étaient de grands amis. Elle a aidé à l'accueil des premiers réfugiés espagnols. Dès le début de l'aventure, Andrée a répondu présent, prenant des risques inconsidérés. Cette femme était extraordinaire. En 1942, elle a rejoint un réseau de la Résistance sous le pseudonyme de Rose. Elle a été décorée de la Médaille militaire avec étoile d'argent des mains du général De Gaulle le 10 novembre 1944. En lien avec les services secrets britanniques, elle a caché des aviateurs anglais et canadiens et les a mis en contact avec les passeurs qui les conduisaient à pied à travers les Pyrénées.
Comment avez-vous découvert l'histoire de votre village ?
Pendant mon enfance, j'ai souvent vu des personnes étrangères s'arrêter devant la maison, l'été le plus souvent. Elles demandaient : « C'est toujours la famille Mirat qui habite cette maison ? Nous étions réfugiés ici pendant la guerre ». Mon père, qui les avait bien connus, les invitait longues et émouvantes retrouvailles. Ces choses-là me paraissaient « normales » tant j'étais habitué à ces scènes. De même, nous trouvions régulièrement la tombe de mes grands-parents fleurie par des mains anonymes.
Est-ce qu’une histoire d’un réfugié de guerre vous a particulièrement marqué ?
Oui ! L'année dernière, le fils d'un réfugié juif allemand m'a écrit de New-York où il est journaliste. Sa mère venait de décéder en lui léguant une importante quantité d'archives. Il a découvert les courriers que son père et mon grand-père se sont échangés pendant des années, même bien après la guerre. Quand il a découvert son histoire familiale, cet américain a voulu visiter Meillon. Il est venu au mois de Juillet dernier avec son fils âgé d'une trentaine d'années. Il m'a porté des copies de ces documents, les faux papiers faits par mon grand-père, les photos, des témoignages extrêmement puissants. C'est lui qui m'a suggéré d'en parler aux universitaires de la région. Depuis plusieurs mois, ces chercheurs se penchent sur ces archives qui dormaient dans un tiroir depuis tant d'années. Grâce à cette équipe d'universitaires, nous avons retrouvé des centaines de descendants de réfugiés qui nous envoient témoignages, photos, souvenirs. La plus belle surprise a été d'en retrouver quatre encore vivants. Ils étaient des enfants à l'époque mais leurs souvenirs sont toujours vifs et précieux.
Je sais que vous écrivez beaucoup d’ouvrage sur l’histoire de votre région. Est-ce que vous comptez faire connaître l'histoire de votre grand-père et de ce village ?
Je sais combien il est important de se souvenir du passé. Après la visite du journaliste américain, j'ai interviewé les derniers témoins de la guerre qui m'ont raconté leurs vies à Meillon pendant l'Occupation allemande. J'ai des heures de vidéo.
Je suis ami avec mon voisin, l'actuel propriétaire du château Frouart, qui a fait poser une plaque en l'honneur d'Andrée Larromet. Tous les deux, nous avons retrouvé un des passeurs qui conduisait les réfugiés de Meillon vers l'Espagne et nous instruisons actuellement leurs dossiers pour leur faire obtenir la reconnaissance de « Justes parmi les nations », décernée par l'organisme Yad Vashem. Nous sommes très fiers de l'attitude extraordinaire de ces personnes et très heureux de mettre enfin leurs actions en lumière !
Est-ce que le village de Meillon garde aujourd’hui la mémoire de Paul Mirat, son maire en temps si dur de guerre ?
Vous savez, à la fin de sa vie, mon grand-père a beaucoup peint. Ses tableaux ont été regroupés dans une exposition permanente à Meillon. Le maire du village a fait rénover un bâtiment pour abriter cette exposition et a baptisé le bâtiment « Espace culturel Paul Mirat ». C’est un bel hommage !
Et vous personnellement, quels souvenirs de votre grand-père gardez-vous ?
Des souvenirs enchanteurs ! Il était profondément artiste, à la fois peintre, poète et musicien. A l'âge de 15 ans, ses parents l'ont envoyé au lycée à Paris où son frère aîné était inscrit comme étudiant en médecine. Sitôt les parents revenus près de leurs chères Pyrénées, les deux adolescents quittent la vieille et ennuyeuse pension de famille où leurs parents les avaient logés pour louer un petit appartement en plein cœur de Montmartre. En pleine "Belle-époque", c'était le rendez-vous de tous les artistes, ils croisaient Giacometti, Erik Satie, des poètes, des écrivains, tout ce que Paris comptait d'artistes. Paul a bien-sûr loupé son baccalauréat, son frère n'a jamais été vu dans l'amphi de médecine, mais tous les deux étaient très assidus aux cours dispensés par la Schola Cantorum, le nouveau Conservatoire libre fondé par Vincent d'Indy où Paul a appris la flûte et son frère la composition musicale; mon grand-oncle a ensuite passé de nombreuses années à la recherche des paroles et des musiques des vieux chants de notre région qu'il a pu sauver de la disparition en les publiant plus tard en trois gros volumes. Le soir, les deux garçons mènent une vie de gentlemen, ils vont au théâtre, à l'Opéra, aux cafés concerts, ils se forgent une culture immense.
Quand j'étais enfant, la télévision n'existait pas, ou très peu, et Paul nous faisait le spectacle tous les soirs. Il était capable de déclamer par cœur de longues tirades de Chantecler ou de Cyrano de Bergerac, il jouait ou mimait n'importe quel opéra avec talent. Il était un acteur né. Chaque jour après le déjeuner, avant de retourner à l'école, il me prenait sur ses genoux et me racontait une histoire à sa façon, pleine de cavaliers intrépides, de beaux messieurs en chapeau haut de forme et de dames en crinoline. Il m'a donné son goût profond pour l'histoire vue à travers les anecdotes, et m'a fait d'immenses cadeaux en me communiquant son humour et son incroyable amour de la vie. J'espère un jour le faire mieux connaître, ce serait le plus beau merci que je pourrai lui rendre.
Paul, vous habitez un petit village qui a fait preuve de beaucoup de courage et de générosité pendant la deuxième guerre mondiale, notamment envers les réfugiés qui fuyaient les troupes nazies. Voulez-vous nous dire ce qui s'est exactement passé à Meillon ?
Meillon est situé au pied de la chaîne des Pyrénées, au bord de l'océan Atlantique, au cœur d'une petite région qui s'appelle le Béarn, frontière avec l'Espagne. Ma famille y est installée depuis toujours. En 1936, mon grand-père Paul Mirat (1885-1966) est élu maire de Meillon où il dirige un élevage de chevaux de courses créé par son grand-père. C'est un homme très actif qui s'est couvert de gloire pendant la première mondiale, devenant notamment instructeur des troupes américaines en 1918. La guerre, il la connaissait bien !
En 1936, éclate la guerre civile espagnole. L’année suivante, les premiers réfugiés traversent les Pyrénées et arrivent en Béarn. Un camp de fortune est construit à la hâte dans le village voisin de Gurs pour accueillir des centaines de familles. Ce camp est très sommaire, sans la moindre trace de confort, ce sont des pauvres baraques en planches avec en guise de toit une maigre toile goudronnée. Inutile de dire que la vie n'y était pas vraiment agréable. Mon grand-père, révolté par cette situation, demande aux autorités l'autorisation d'héberger des réfugiés espagnols. Le village est connu dans la région car ses terres très fertiles en font un centre maraîcher très important, il y aurait donc aussi possibilité de donner du travail à ceux qui le souhaitent. L'autorisation lui est accordée et les premiers réfugiés espagnols, très heureux d'éviter un séjour au camp de Gurs, arrivent à Meillon dès le début de 1938. Mes grands-parents ouvrent grande leur maison mais aussi les granges et les écuries. C'est là que les premiers réfugiés vont s’installer.
Est-ce que tout se passe comme prévu ?
Pas vraiment. Les habitants du Béarn ont peur de ces réfugiés. La presse internationale les présente le plus souvent comme des bandits de grands chemins. De nombreuses exactions ont été commises pendant la guerre d'Espagne et on accuse les Républicains d'avoir tué de nombreux curés et religieuses. La population ici est sur ses gardes. Ma grand-mère fait partie de ces nombreuses familles basques et béarnaises qui ont dû émigrer vers l'Amérique au milieu du XIX° siècle. Née en Argentine elle parlait parfaitement l'espagnol. Elle va beaucoup aider mon grand-père et fera la cuisine pour des centaines de réfugiés, dans d'immenses chaudrons. Peu à peu, les habitants de Meillon s'aperçoivent que ces familles espagnoles sont pacifiques. Elles portent alors des légumes à la maison pour aider Paul et sa femme.
L'année suivante, en septembre 1939, éclate la guerre contre l'Allemagne. Les hommes du village sont soit militaires soit en captivité en Allemagne. Les réfugiés espagnols deviennent alors très utiles aux travaux des fermes des environs et leur intégration s'accélère. Mon père et ses deux frères étaient écoliers à Pau, ville distante d'à peine quelques kilomètres. Mon grand-père avait demandé à ses 3 fils d'orienter tous les réfugiés qu'ils croisaient vers la mairie de notre village. Là, il les accueillait et leur attribuait un toit pour se protéger et des cartes d'alimentation pour avoir de quoi manger.
Est-ce que la deuxième guerre va transformer le mode de vie et mettre en danger votre province, très éloignée de l'Allemagne ?
Dès les premiers jours de la guerre, la France est administrativement coupée en deux. Au Nord c'est la « zone occupée », les Allemands tiennent le territoire, et au sud de Bordeaux c'est la « zone libre »; Meillon se trouve donc en zone libre où les habitants ont encore la possibilité de se déplacer librement, sauf les bords de l'Océan Atlantique et la zone de montagnes qui nous séparent de l'Espagne, espaces très surveillés par les soldats allemands. Nous resterons en zone libre jusqu'au 11 novembre 1942.
Alors que se passe-t-il de 1939 à 1942 ? Comment réagit la population du Béarn face à la guerre ?
C'est une période extrêmement difficile. Dès septembre 1939, les soldats allemands envahissent l'Alsace-Lorraine, les Flandres et la Belgique. Des milliers de personnes sont jetées sur les routes emportant ce qu'elles peuvent avec elles. Femmes, enfants, vieillards se déplacent comme ils peuvent. Les plus chanceux ont des automobiles, les autres des charrettes tirées par des chevaux ou des ânes, les plus pauvres marchent sur le bord des routes. Ils ne savent où aller. Leur seul but est de s'éloigner le plus possible des troupes allemandes. Ce sont des colonnes entières de réfugiés qui se jettent sur les routes. L'aviation allemande fait des raids et les mitraille. Il y aura beaucoup de morts pendant cette période dramatique que les historiens appellent «l'Exode».
Ces nouveaux réfugiés, belges, lorrains, chtimis, parisiens, veulent fuir la zone des combats et la barbarie des soldats nazis. Ils pensent que l'Espagne pourrait les accueillir malgré la guerre civile espagnole qui fait toujours rage. Après les Espagnols, le Béarn doit alors faire face à une deuxième vague de réfugiés. La situation est dramatique. La population de Pau, capitale de la région, passe de 25.000 à 80.000 habitants en l'espace de quelques semaines. Il faut faire face à une pénurie inimaginable, légumes, viande, fruits, lait sont introuvables et vendus à prix d'or. Une ONG américaine, l'Unitarian Comittee, va jouer un rôle très important en juin 1940 en envoyant à Pau 30 tonnes de lait, en poudre ou condensé. Ce lait, distribué dans les écoles, les maternités, les hôpitaux et même au camp de Gurs, sauvera la vie de centaines de nourrissons.
Comment sont accueillis ces nouveaux réfugiés ?
Face à cette situation inédite, dramatique, la solidarité des Béarnais va jouer à plein. Les réfugiés sont accueillis, les habitants du Béarn ouvrent leurs maisons, leurs greniers, leurs granges. Tout ce qui peut servir d'abri est occupé par ces familles. A Meillon, les habitants suivent l'exemple donné par mes grands-parents et bientôt 24 maisons sont connues comme étant des "refuges". C'est tout à fait exceptionnel car ce petit village ne comptait, avant la guerre, que 650 habitants. Aujourd'hui, grâce aux archives que mon grand-père nous a laissé, les chercheurs et historiens locaux, spécialistes de la période, ont répertoriés plus de quatre mille réfugiés qui ont transité à Meillon entre 1938 et 1943. Ce chiffre vous donne une idée de l'activité et du dévouement qu'il a fallu déployer pour secourir cette population.
Le régime du général Pétain collaborait avec les Allemands et persécutait les Juifs. Avez-vous connaissance de réfugiés Juifs dans votre région ?
Bien-sûr! Il y a une communauté israélite importante en Pays basque et en Béarn depuis l'expulsion des Juifs d'Espagne par les rois catholiques au XV° siècle. Bayonne et Pau sont de très anciens points d'ancrage de la communauté et nous comptons des cimetières et des synagogues extrêmement anciens. Les Juifs ont toujours trouvé refuge dans notre région et l'entente entre les différentes communautés a toujours été excellente, et ce depuis le Moyen-âge et la Renaissance. Les Juifs allemands, français et de l'Europe entière ont afflué dans notre sud de la France où ils ont été protégés, cachés, nourris par la population. Des réseaux de « passeurs » se sont organisés. Des bergers et des gens qui connaissaient bien la montagne ont permis à des milliers de Juifs et autres de fuir vers Lisbonne, dernière ville européenne d'où partaient des bateaux vers les États-Unis. Les gens les plus humbles et les plus modestes sont soudain devenus de véritables héros, risquant leurs vies à chaque instant. Beaucoup ont été tués par les Allemands.
Est-ce qu'il y avait des Résistants à Meillon ?
La première personne à aider mes grands-parents s'appelait Andrée Larromet. Elle habitait la plus grande maison du village, le château Frouard. Andrée et mon grand-père étaient de grands amis. Elle a aidé à l'accueil des premiers réfugiés espagnols. Dès le début de l'aventure, Andrée a répondu présent, prenant des risques inconsidérés. Cette femme était extraordinaire. En 1942, elle a rejoint un réseau de la Résistance sous le pseudonyme de Rose. Elle a été décorée de la Médaille militaire avec étoile d'argent des mains du général De Gaulle le 10 novembre 1944. En lien avec les services secrets britanniques, elle a caché des aviateurs anglais et canadiens et les a mis en contact avec les passeurs qui les conduisaient à pied à travers les Pyrénées.
Comment avez-vous découvert l'histoire de votre village ?
Pendant mon enfance, j'ai souvent vu des personnes étrangères s'arrêter devant la maison, l'été le plus souvent. Elles demandaient : « C'est toujours la famille Mirat qui habite cette maison ? Nous étions réfugiés ici pendant la guerre ». Mon père, qui les avait bien connus, les invitait longues et émouvantes retrouvailles. Ces choses-là me paraissaient « normales » tant j'étais habitué à ces scènes. De même, nous trouvions régulièrement la tombe de mes grands-parents fleurie par des mains anonymes.
Est-ce qu’une histoire d’un réfugié de guerre vous a particulièrement marqué ?
Oui ! L'année dernière, le fils d'un réfugié juif allemand m'a écrit de New-York où il est journaliste. Sa mère venait de décéder en lui léguant une importante quantité d'archives. Il a découvert les courriers que son père et mon grand-père se sont échangés pendant des années, même bien après la guerre. Quand il a découvert son histoire familiale, cet américain a voulu visiter Meillon. Il est venu au mois de Juillet dernier avec son fils âgé d'une trentaine d'années. Il m'a porté des copies de ces documents, les faux papiers faits par mon grand-père, les photos, des témoignages extrêmement puissants. C'est lui qui m'a suggéré d'en parler aux universitaires de la région. Depuis plusieurs mois, ces chercheurs se penchent sur ces archives qui dormaient dans un tiroir depuis tant d'années. Grâce à cette équipe d'universitaires, nous avons retrouvé des centaines de descendants de réfugiés qui nous envoient témoignages, photos, souvenirs. La plus belle surprise a été d'en retrouver quatre encore vivants. Ils étaient des enfants à l'époque mais leurs souvenirs sont toujours vifs et précieux.
Je sais que vous écrivez beaucoup d’ouvrage sur l’histoire de votre région. Est-ce que vous comptez faire connaître l'histoire de votre grand-père et de ce village ?
Je sais combien il est important de se souvenir du passé. Après la visite du journaliste américain, j'ai interviewé les derniers témoins de la guerre qui m'ont raconté leurs vies à Meillon pendant l'Occupation allemande. J'ai des heures de vidéo.
Je suis ami avec mon voisin, l'actuel propriétaire du château Frouart, qui a fait poser une plaque en l'honneur d'Andrée Larromet. Tous les deux, nous avons retrouvé un des passeurs qui conduisait les réfugiés de Meillon vers l'Espagne et nous instruisons actuellement leurs dossiers pour leur faire obtenir la reconnaissance de « Justes parmi les nations », décernée par l'organisme Yad Vashem. Nous sommes très fiers de l'attitude extraordinaire de ces personnes et très heureux de mettre enfin leurs actions en lumière !
Est-ce que le village de Meillon garde aujourd’hui la mémoire de Paul Mirat, son maire en temps si dur de guerre ?
Vous savez, à la fin de sa vie, mon grand-père a beaucoup peint. Ses tableaux ont été regroupés dans une exposition permanente à Meillon. Le maire du village a fait rénover un bâtiment pour abriter cette exposition et a baptisé le bâtiment « Espace culturel Paul Mirat ». C’est un bel hommage !
Et vous personnellement, quels souvenirs de votre grand-père gardez-vous ?
Des souvenirs enchanteurs ! Il était profondément artiste, à la fois peintre, poète et musicien. A l'âge de 15 ans, ses parents l'ont envoyé au lycée à Paris où son frère aîné était inscrit comme étudiant en médecine. Sitôt les parents revenus près de leurs chères Pyrénées, les deux adolescents quittent la vieille et ennuyeuse pension de famille où leurs parents les avaient logés pour louer un petit appartement en plein cœur de Montmartre. En pleine "Belle-époque", c'était le rendez-vous de tous les artistes, ils croisaient Giacometti, Erik Satie, des poètes, des écrivains, tout ce que Paris comptait d'artistes. Paul a bien-sûr loupé son baccalauréat, son frère n'a jamais été vu dans l'amphi de médecine, mais tous les deux étaient très assidus aux cours dispensés par la Schola Cantorum, le nouveau Conservatoire libre fondé par Vincent d'Indy où Paul a appris la flûte et son frère la composition musicale; mon grand-oncle a ensuite passé de nombreuses années à la recherche des paroles et des musiques des vieux chants de notre région qu'il a pu sauver de la disparition en les publiant plus tard en trois gros volumes. Le soir, les deux garçons mènent une vie de gentlemen, ils vont au théâtre, à l'Opéra, aux cafés concerts, ils se forgent une culture immense.
Quand j'étais enfant, la télévision n'existait pas, ou très peu, et Paul nous faisait le spectacle tous les soirs. Il était capable de déclamer par cœur de longues tirades de Chantecler ou de Cyrano de Bergerac, il jouait ou mimait n'importe quel opéra avec talent. Il était un acteur né. Chaque jour après le déjeuner, avant de retourner à l'école, il me prenait sur ses genoux et me racontait une histoire à sa façon, pleine de cavaliers intrépides, de beaux messieurs en chapeau haut de forme et de dames en crinoline. Il m'a donné son goût profond pour l'histoire vue à travers les anecdotes, et m'a fait d'immenses cadeaux en me communiquant son humour et son incroyable amour de la vie. J'espère un jour le faire mieux connaître, ce serait le plus beau merci que je pourrai lui rendre.