Salut! Ça va?

Les compagnons soviétiques du Normandie-Niemen

2020-05
Des pilotes français et des mécaniciens russes réunis dans une même unité, c’est une première dans l’Histoire et si les mécaniciens ne sont pas oubliés sur certains monuments dédiés au régiment, peu de détails sur la vie de ces hommes et ces femmes qui ont permis aux pilotes de vaincre l'ennemi grâce à leur dévouement et leur habileté nous sont parvenus.

A son retour en France, c'est pourtant vers eux que sont allées les pensées du lieutenant Guido : « Les Yaks !!! En vérité, elle devait être impressionnante, cette escadre d'avions neufs chargée de renommée...

« Je pensai à toutes les amitiés dévouées laissées de l’autre côté, à mon mécano qui, juste avant notre départ, par une belle journée de mai au sud de Dantzig, m’avait demandé : Mon lieutenant, tu as été en Afrique ? - Affirmatif ! - Estce qu’il fait plus chaud qu’ici ? Il transpirait, le pauvre, dans sa tenue, d’été ! Température : +18°.»

Nous avons aussi le témoignage émouvant de Jonas Berteau en parlant de sa rencontre avec Valentin Ogourtsov en 2019 : « Surtout chez ce genre de personnes qui ont vécu la guerre, on peut lire dans leurs yeux des sentiments qu'ils ne disent pas mais qu'ils ressentent très profondément. Il y a des moments en fait où même on n'a pas besoin de parler, on se regarde et on comprend beaucoup de choses ».

Et chacun connaît le terrible et magnifique lien qui unissait De Seynes et Vladimir Belozoub : le 15 juillet 1944, lors d’un convoyage vers Mikountani, le moteur de l'avion a des ratés. De Seynes revient à Mikountani, le terrain de secours, le Yak a une fuite d’essence, le cockpit en est envahi. Maurice est totalement aveuglé, il n'arrive plus à respirer. Par deux fois, Maurice de Seyne tende de se poser, tandis le radio lui disait : « Saute Séquane !». Mais son mécano, (présent dans l'avion, désobéissance classique en cas de convoyage), tout recroquevillé dans un minuscule trappe derrière le siège ne possède pas de parachute. De Seynes refuse et l'avion finit par s'écraser avec les deux héros à son bord.

Ce geste scella définitivement l'amitié franco-russe et les deux furent enterrés ensemble sur ordre de Staline. Vingt ans plus tard, Thérèse de Seynes dira de son fils, au général Zakharov venu lui rendre visite : « Mon général, j'avais un seul fils, et il a eu la possibilité de se sauver… Mais alors l'honneur de toute notre famille aurait été entaché. Mon fils a agi noblement…»

A part ce cas unique, les mécaniciens du régiment n’ont jamais bénéficié d’une reconnaissance méritée dans le pays – pendant l’ère soviétique, tout lien avec des militaires étrangers était un sujet tabou (en France également certains anciens eurent à pâtir de soupçons d'intelligence avec le KGB).

Le régiment Normandie-Niemen était équipé de Yakovlev Yak-3, un avion de chasse soviétique robuste et facile à entretenir qui a été très apprécié par les pilotes et le personnel au sol.

C’est à Ivanovo à coté de Moscou que les pilotes français découvrent le Yak. Lors de leur arrivée, les Soviétiques, très élégants, ont demandé aux pilotes français de choisir le matériel sur lequel ils voulaient voler. Les pilotes français avaient le choix entre des appareils américains sous couleurs russes ou bien sur les nouveaux avions de chasse Yakovlev. Ils ont choisi de voler sur des Yak.

En novembre 1942 les 14 pilotes français sont à l’entraînement sur le Yak 7 biplace et vont pouvoir être engagés dans leur première campagne, par la suite ce Yak sera remplacé par des yak 3, petit monomoteur monoplace.

Leur construction débuta dans les premiers mois de 1944 et les premiers appareils arrivèrent en unité en juillet de cette même année, la plus grande partie des Yak furent construit durant la fin de 1944.

Les concepteurs ont su le rendre aussi léger que possible tout en augmentant considérablement sa puissance de feu et sa vitesse. Cet avion offrait une maniabilité exceptionnelle, son armement se composait d’un canon ShVAK de 20 mm tirant à travers le cône d’hélice et une mitrailleuse UBS de 12.7mm sur le capot moteur.

Ce petit chasseur en toile et duralumin n’a jamais été conçu pour durer, par exemple ses parties en bois n’était même pas recouvertes de vernis de protection, ce qui explique qu’en un an il y en eut 4848 exemplaires sortis des usines car les mauvaises conditions climatiques de l’hiver russe usèrent les cellules encore plus vite que d’habitude.

Rapidement, les mécanos français de la première heure, arrivés en août 42, épuisés au bout de peu de mois par la rudesse de l'hiver et les exigences du travail, partent pour le Moyen-Orient. Ils sont remplacés par des mécaniciens russes, ce qui ne va pas sans poser des problèmes de communication mais permet aussi de tisser des liens forts entre français et soviétiques. Entre hommes aimant la mécanique, on se comprend avec des gestes, et il s'il y avait des traducteurs, tous faisant un effort pour acquérir le maximum de mots utiles à l'amitié et aux avions.

Les militaires russes, mécaniciens, plieuses de parachute, radios, ingénieurs, secrétaires, cuisiniers accompagnaient les pilotes de base en base, toujours moins bien logés, avec des rations alimentaires inférieures à celles des français, ils travaillaient souvent par des températures extrêmes ; Roger Sauvage, dans son livre, dit que ses mécaniciens, par -25° C, enlevaient leurs gants pour resserrer ou ouvrir un robinet alors que lui n’aurait jamais pu le faire.

Maurice Guido dans ses souvenirs décrit son mécanicien avec tendresse :

« Le bon garçon ! Originaire de la région d'Omsk, il portait un nom que je n'ai jamais pu prononcer en entier. Trapu, timide, souriant, dévoué comme tous ses camarades, d'ailleurs, il était d'un calme olympien ; pourtant leur vie n'était pas comparable à la nôtre. Toujours en activité, l'hiver, jour et nuit, ils maintenaient nos moteurs à une température minimale ; en cas de panne, ils ne quittaient pas l'avion avant qu'il ne soit réparé. Les trous de D.C.A. dans le bois collé constituant nos ailes étaient bouchés séance tenante par des jeunes filles qui s'abritaient derrière une toile brise-vent. Le matin, nous ne trouvions plus de trace d'impact sur l'aile lisse et revernie. Je les admirais beaucoup »

Et il rajoute une anecdote amusante qui reflète bien la fierté de ces hommes attachés à bien travailler et heureux de combattre en arrière-plan : « Mes amis Taburet et Déchanet, dessinateurs et peintres de talent, ornèrent, à ma demande, le capot du Yak avec mon fétiche : un énorme Simplet hilare brandissant une fronde agressive ; cette fronde blessa l'amour propre de mon mécano soviétique, « les mitrailleuses marchent bien » me dit-il... »

De ces femmes, de ces hommes, il nous reste des photos sans identification, des noms dont certains sont rattachés à des pilotes de légende.

Ce sont tous ceux qui ont contribué à conduire le régiment à la victoire par leur dévouement intense, leur précieux savoir-faire et leur patriotisme viscéral.

Ils ne sont pas Héros de l’Union Soviétique, certains ne purent jamais peut-être écrire le livre de leurs aventures, d'autres périrent dans cette guerre, d'autres encore seront appelés à de hauts grades comme le colonel Sergueï Agavelian, le général Nicolaï Tourniev, récipiendaire des ordre de la Grande Guerre Patriotique, de l’Étoile rouge, de l'Ordre de la Légion d'honneur, Alexandre Krapalov, titulaire de la Légion d'Honneur française et de nombreuses décorations soviétiques, ou encore Dimitri Kouzmine, devenu diplomate à l'issue de la guerre.

Yves Donjon, archiviste, a publié une liste issue de l'ouvrage de Vladimir Goritsky traduite par son ami André Beaumann, liste qui bien qu’incomplète serait trop longue pour figurer dans cet article, nous allons néanmoins citer quelques noms et affectations du personnel militaire russe pour rendre hommage à tous …

Les Yak et quelques « mécanos »
Fédor Romanovitch Rijov, lieutenant chargé du recrutement des mécaniciens ;
Vladimir Belozoub, adjudant-chef mécanicien de Maurice de Seynes, mort en vol avec lui le15/11/1944 ;
Sergueï Astakhov, lieutenant mécanicien de Bruno de Faletans, mort en vol avec lui (circonstances inconnues) le 30/06/1944 ;
Alexandre Averianov, mécanicien de Marcel Albert ;
Alexandre Bazilev, mécanicien de Jacques André ;
Vassili Efimov, mécanicien de Pierre Pouyade, puis de Louis Delfino ;
Zakhar Ougrovatov, adjudant mécanicien de Joseph Risso ;
Ivan Ivanovitch, (15 ans) aide-mécanicien de Joseph Risso ;
Gueorgui Litvinov, mécanicien de Pierre Jeannel ;
Zibinn, mécanicien de René Challe ;
Kravazov, mécanicien de Henry Foucaud ;
Piotr Kolovpaev, Ivan Matveev, mécaniciens de Marcel Lefèvre ;
Alexandre Vassiliev, mécanicien et motoriste de Robert Marchi ;
Vladimir Sobolev, mécanicien de Robert Marchi, Pierre Dechanet, Maurice Monge ;
Iouri Maksayev, mécanicien d’Alexandre Laurent, Lionel Menut, Marc Verdier et Roger Versini ;
Alexandre Petrovitch, adjudant-chef mécanicien de Paul de Forges, Pierre Déchanet, Marcel Perrin ;

et bien d'autres mécaniciens qui se sont dévoués à entretenir et réparer les avions …

L’armement :
• Mikhail Zinovietvitch, lieutenant ingénieur armement.
• Nicolaï Filippov, Grigori Kiritchenko, Vassili Krasnikov, ingénieurs armement.
• Nicolaï Metelski, adjoint armemenent, Iouri Guergezel, spécialiste armement.
• Mikhaïl Mouromtsev, Pavel Stepanov, Alex Tsvetkov, maîtres armement.
• G. Aligberov, D. Koulechov, armuriers.
• Anatoly Artemiev, Nicolaï Bogdanov, Dimitri Diadiatchev, Nicolaï Dmitriev, Vassili Koukov, Ivan Matveev, Mikhaïl Mikhaïlov, Afanassi Obikhod, Vladimir Reoutov, Alexandre Rolitch, Viktor Sobolev, mécaniciens armement.

Les motoristes :
• Evgueni Beliankine ; Dimitri Belkine, Piotr Erochkine, Leonid Gorchkov, Igor Iline, Konstantin Ivanov, Gueorgui Komarov, Sergueï Kouznetsov, Mikhaïl Kozlov, Ivan Lioukchinov, Sergueï Moriev, Viktor Narichkine, Valentin Ogourtsov, Valentin Koliatiov, Viktor Spirine, Alexandre Vlassievski.

Les instruments de bord:
• Nicolaï Mikhaïlovitch Zorikhine, adjudant-chef mécanicien, spécialiste des instruments de bord ; Leonid Fedorov, maître équipements électriques.
• Mikhail Ganzenko, Sergueï Lasakov, Vladimir Kolotoguine, Alexey Miakcha, Grigori Paniouta, Grigori Starina, techniciens instruments.

La radio :
• Ivan Lounichkine, chef station radio ; Victor Lapine, ingénieur radio; Yantovski, lieutenant mécanicien radio ; Lev Mikhaïlov, Nicolaï Mojanov, mécaniciens radio ; Anatoly Antontsev, Mikhaïl Chifrine, Alexandre Zapolski, techniciens radio.

Les indispensables :
• Kolchin, lieutenant interprète.
• Mikhaïl Vartapietov, chef des services techniques.
• Ivan Barabache, Ivan Chtepa, Grigori Moskalenko, menuisiers.
• Sergueï Krivtchenko, chef service « construction ».
• Evdokia Michkovets, chef service parachute ;
• Zoia Koltcheva, spécialiste oxygène et pliage des parachutes.

Sur les photos d'archive, nous voyons des militaires féminins (bureaux, opératrices radios) mais nous n'avons pas à ce jour de précisions sur leur condition de vie. Elles venaient du « BAO », le bataillon du service d'aérodrome, une unité à part dépendante du commandement territorial et non opérationnel comme des unités de combats.

Tout rapprochement autre que professionnel était strictement interdit entre militaires français et militaires russes, nous ne pouvons qu'imaginer une certaine attirance des belles russes pour les aviateurs, et réciproquement, seule une histoire d'amour tragique d’une des secrétaires vécue avec un pilote est plus ou moins connue et a déjà été largement raconté dans un précédent numéro de cette revue.

Du 1° Septembre 1942 au 9 Mai 1945, Le Normandie-Niemen a écrit sa longue histoire à côté des combattants russes, mais également avec tous ce personnel au sol dont la collaboration était vitale pour la bonne marche du régiment, des hommes, et des femmes aptes à occuper des différents métiers sur le terrain comme dans les hangars, les cuisines ou dans les bureaux, aussi il nous semble indispensable de les associer aux héros français.

Sources utilisées :
Roger Sauvage, Un de Normandie-Niemen, André Martel, 1950
Revue Icare, n°62 à n°70 (1972 -1974)
Vladimir Goritski, Normandie-Niemen, Éditions Stratégia, Moscou 2007
Patrick Marchand, Les chasseurs Yakolev du Normandie-Niemen, Les Ailes de Gloire, Indochine 2001
Yves Donjon, Ceux du Normandie-Niemen, Astoure Éditions, 2010
Jacques Bertaux, revue Spoutnik du 16.09.2018

Crédit photos : fonds IFRD