Salut! Ça va?

Mission militaire en Russie du capitaine aviateur François Tulasne

2019-11
Tandis que la guerre touche à sa fin, d'autres conflits se poursuivent dans l’immense Pays des Tzars dont le pouvoir est ébranlé par la révolution bolchevique, ce qui préoccupe fort les Alliés.

L’armée de l'Empire Austro-Hongrois comportent des soldats de nationalités opprimées des Balkans dont des Slaves plus proches culturellement des Russes. Aussi de nombreux soldats refusent de combattre préférant être faits prisonniers par les Russes.

L’Armée russe, aux prises avec la défection de régiments passés aux bolcheviques, comprend l'avantage de constituer une Légion tchécoslovaque de troupes aguerries et courageuses.

Après la Paix de Brest-Litovsk, signée le 3 mars 1918, entre l'Autriche et la Russie bolchevique, l'Autriche aurait voulu récupérer ces soldats pour renforcer son front de l'ouest. Mais l'Armée tchèque resta dans le camp des Alliés et constitua à peu près le seul barrage organisé, au sud et à l'est de l'Empire des Tsars, contre les bandes bolcheviques, tandis que des Généraux tsaristes, Denikine et Koltchak puis Wrangel, peu conscients des bouleversements sociaux et nationaux, essaient maladroitement de réorganiser l'Armée avec des régiments de Cosaques restés fidèles.

Les Alliés, soucieux de soutenir cette résistance et de coordonner les efforts des différentes armées russes, renforcent leurs missions d'observation et de conseil, et envoient armements et matériel, rivalisant entre eux pour développer leur propre influence.

Pour la France, la Mission Militaire, auprès de l'Armée tchécoslovaque, est confiée, au cours de l'été 1918, au Général Janin, qui connaît bien le pays et la langue. Il arrive en Sibérie en décembre 1918, après trois mois de voyage, au cours duquel est signé l'Armistice. Celui-ci change alors l'objet de la mission car l'Armée tchécoslovaque va aussi déposer les armes et céder le rôle de barrage contre les Bolcheviques aux armées des russes blancs qui commencent à remporter des succès sur le terrain.

En définitive, le général Janin est peu après accrédité auprès du gouvernement provisoire de l'Amiral Kolchak et rejoint la ville d'Omsk, distant de 6.000 km de Vladivostok, à l'extrémité Ouest de la Sibérie.

Le Capitaine François Tulasne y est affecté, le 15 septembre 1918, comme adjoint au Commandant de l'Aéronautique tchécoslovaque. Il n'arrivera qu'en février 1919, après 3 mois de voyage, ayant parcouru la moitié de la planète, les États-Unis, le Japon et la Chine.

Épreuve du froid en Sibérie

[…] En février 1919, l'arrivée à Vladivostok, en plein hiver, par un froid sibérien, dans cette ville surpeuplée, est une grande épreuve pour nos gens habitués aux pays tempérés.

Tulasne évoque ces difficultés : « Pour ne pas coucher dehors par -35°, nos hommes durent rester abrités « pendant des semaines dans des téplouchka (wagons de marchandises) que, « d’une façon fort simple sinon régulière, nous nous étions procurés en les achetant quelques milliers de roubles à un chef de train. Qu'est-ce qui n'était pas à vendre alors en Sibérie, au milieu de la désorganisation générale ? Notre matériel n'était pas encore annoncé. Aussi dûmes-nous chercher quelques distractions pour ne pas succomber au cafard envahissant »
Le tir de quelque phoque, étalé nonchalamment sur une plaque de glace, ou des mouettes en plein vol permettait de ne pas se « rouiller ». Pour les récupérer sur les blocs de glace, certains étaient devenus experts en sautant de bloc en bloc ! Une chasse plus gratifiante se présenta : « Depuis quelque temps, nous avions entendu dire qu'aux environs de la ville, à 25 km, un tigre avait été signalé. Quelle chance pour nous chasseurs européens qui n'avions guère vu jusqu'ici, au bout de nos fusils, que d'innocentes bestioles ! De plus il était certain qu'à défaut de tigre, nous rencontrerions faisans blancs et bouquetins sauvages.

Profitant de la visite que je devais faire d'un matériel d'aviation, vendu par les Américains aux tchèques et stocké non loin de là, à Océanskaïa, nous organisions avec deux camarades fins guidons, une grande expédition cynégétique. »

Les routes étant de véritables fondrières en cette saison, Tulasne choisit de passer par la vaste étendue de glace de la baie maritime du fleuve Amour, dont l’épaisseur de 80 cm ou plus en faisait une piste idéale. La Cadillac filait bonne allure en faisant crisser la surface gelée avec ses roues garnies de chaînes, quand à l'approche de Oceanskaïa, le chauffeur aperçut une grande crevasse, il freina et voulut la contourner mais la surface craquait sous les roues arrières entraînant la voiture inexorablement dans l'eau glacée qui jaillissait de toutes parts. Tulasne et le chauffeur sautèrent rapidement depuis les places avant, mais les deux camarades et l'interprète assis à l'arrière, déjà à demi trempés ne furent sauvés que grâce au ralentissement de l’enfoncement dû à la capote gonflée d'air. Et bientôt l'auto disparut au son lugubre de son klaxon et le petit drapeau français planté à l'avant du capot faisait penser au pavillon d'un navire naufragé.

« Ahuris de la soudaineté du naufrage, nous restions hébétés au bord du trou noir au fond duquel on ne distinguait plus rien. Nous étions saufs, mais la voiture avait entraîné nos carabines, fusils de chasse et appareils photographiques. L'exode pour rentrer à Vladivostok fut pénible.»

Bientôt Tulasne est appelé à Omsk, auprès du chef de Mission, le Colonel Pichon qui est depuis un mois auprès du Général Janin, commandant en chef de l'armée tchécoslovaque, afin de préparer l'arrivée de son petit groupe et d'y étudier les conditions de son emploi.

Traversée de la Sibérie

Tulasne s'embarque donc, avec un lieutenant et cinq hommes, sur le train transsibérien qui met neuf à dix jours à parcourir les 6.000 km jusqu'à Omsk. Que d'occasions d'admirer et de photographier paysages variés et types humains si pittoresques des régions traversées : les plaines monotones de la Mandchourie, puis la Mongolie en bordure du désert de Gobi, auxquels succède l'interminable forêt de Transbaïkalie interrompue seulement par la trouée lumineuse du lac Baïkal gelé. Le train quitte le lac en prenant la vallée de l'Angara et fait bientôt arrêt à Irkoutsk, où Jules Vernes situe le dénouement de son roman «Michel Strogoff». Dans la ville, piétons et voitures traversent en tous sens le large fleuve glacé, car, par souci d'économie, une partie du pont de bois démontée est remisée sur le bord du fleuve !

Pendant la première moitié du trajet tout s'est bien passé, mais laissons le soin à Tulasne de raconter son aventure : « Mais en arrivant à Zima, après avoir traversé la rivière Oka affluent de l’Angara, le train stoppa. Le bruit circula aussitôt que des Bolcheviks, ayant fait sauter la voie ferrée, il était impossible d'aller plus loin pour le moment. Les nouvelles complémentaires arrivèrent bientôt : à trois cent verstes de là, à la suite d'une attaque des bandes bolcheviques tenant la forêt, le trafic était interrompu. Sept trains avaient même déraillé. Il y avait eu bataille sérieuse entre les troupes tchèques chargées de la garde du chemin de fer et les bandes d'insurgés.

Trois villages avaient été détruits par le canon et incendiés. L'arrivée de ces nouvelles à une répercussion immédiate sur le visage des voyageurs, trafiquants, nouveaux fonctionnaires ou officiers du gouvernement Koltchak, rejoignant leur poste. On chuchote, on délibère, on dévisage les visages sibériens qui vous entourent. Avec l'approche de la nuit, la rumeur de nouvelles alarmantes augmente : le pays n'est pas sûr... des émeutes ont eu lieu dans toute la région... un secours de cent hommes arrivera cette nuit même... le télégraphe ne fonctionne plus avec Irkoutsk... il est coupé des deux côtés de nous...»

Tulasne ne se laisse pas prendre par l'inquiétude générale et pense pouvoir déjouer une attaque éventuelle avec ses cinq poilus renforcés de quelques soldats français, tchèques et serbes d'un train de matériel qui avait dû stopper aussi. La tournure dramatique des évènements n’est pas pour lui déplaire :

«Que serait-ce donc qu’un tour du monde, si comme dans celui du romancier, il n'y avait pas une attaque de train!

Cependant je prenais toutes dispositions nécessaires pour ne pas être surpris. Un service de garde composé d'un de mes poilus et d'un officier « russe veillerait toute la nuit autour du train. La nuit fut calme. Le jour ramène les bonnes nouvelles, la voie est rétablie... nous allons repartir. Il a été décidé que pour traverser cette zone dangereuse d’environ 300 km l'on marcherait le jour et stopperait la nuit. Le soir nous trouve à Nijne-Oudinsk où nous passons la nuit. C'est demain que nous aborderons le point le plus dangereux où aujourd'hui deux trains nous précédant ont essuyé une vive fusillade. On nous fait espérer le renfort d’un train blindé. »

Lors du départ au petit jour, point de train blindé ! Le chef de train, un officier de cavalerie russe, demande à Tulasne d'assurer, avec ses poilus, la défense du train en cas d’alerte. Ceux-ci s'installent sur les plates-formes aux extrémités des wagons, couchés ou agenouillés sur des paillasses et abrités derrière des caisses, cantines ou bagages. Précaution utile, car la densité de la forêt sibérienne qui enserre le train est propice aux embuscades.

A la gare de Taïchet, dernière station avant le point des attaques, … grande agitation, un bolchevik vient d'être pendu au bord de la voie ferrée. Le chef de train demande à Tulasne de modifier les dispositions de combat et de fournir, sur la passerelle de la locomotive, une garde mobile à laquelle se joindrait un officier russe. Belle cible pour des tireurs invisibles ! mais Tulasne ne veut pas que l'on puisse juger les Français de poltrons et accepte de poster deux hommes avec le Lieutenant ou lui. Mais point d'officier russe...

Cela impressionna-t-il l'adversaire ? le train, lancé à vive allure, ne fut pas attaqué. Mais lorsqu’il traversa la zone signalée, une dizaine de kilomètres seulement, le spectacle de désolation frappa les voyageurs : les vestiges des sept déraillements, locomotives et wagons sens dessus dessous, et les traces de combats et de représailles, les silhouettes de pendus aux arbres sur fond de neige.

Le train arrive enfin, le 9e jour, à Omsk, ville bâtie au confluent de l'Irtych et de l'Om. C’est une ville très étendue à cause de ses maisons en bois à un seul étage, et dont les rues en terre battue sont de véritables cloaques de boue au moment du dégel tandis que l’été la poussière épaisse qui les recouvre est soulevée par les rafales de vents de la steppe. Pour prévenir les incendies ravageurs de villes en bois les Sibériens construisent des tours de guet (en bois) pour détecter les débuts éventuels d'incendie et permettre une intervention rapide. (photo)

Le Capitaine Tulasne se présente au Quartier Général du Général Janin qui est accrédité auprès du gouvernement de Kolchak, il y passe quelques semaines. Mais il doit ensuite se rendre à Troisk - distant de plus de 800 km - où la Mission française a son siège permanent.

La rencontre de Michel Strogoff

Rédigée par le cabinet du Général Janin, la mission de Tulasne était large : « Mai 1919 - Le Capitaine Tulasne, actuellement disponible se rendra, avec le Cdt Guillaumie, à Troisk. Sa mission sera d'étudier les possibilités de liaisons aériennes entre le Caucase et la Sibérie. Il se rendra à cet effet jusqu’aux points les plus avancés qu’il pourra atteindre et aura à évaluer pour chaque place les ressources disponibles à tous points de vue, les possibilités pratiques de création de plates formes aériennes, de bases et de dépôts, l'état d'esprit des états-majors et des troupes, les résultats possibles.»

Tulasne se réjouit que cette mission lui soit confiée tout en mesurant les risques qui attendent un homme seul, sans protection armée, dans ces steppes désertiques dépourvues de routes, parcourues par les bandes ennemies, et les pillards kirghizes.

Au moment de partir d'Omsk à Troitsk, il fait une rencontre inattendue qu'il aimera à raconter plus tard dans ses conférences :

« Ce fut au moment d'entreprendre cette expédition qui me faisait songer à celle imaginée par Jules VERNES dans son « Michel STROGOFF » que je rencontrai justement ce dernier. Grand, bel homme, vous parlant toujours dans la plus rigide attitude militaire, le capitaine de Cosaques du Terek, Michel Strogoff, voulait se rendre au Caucase, son pays, comme j'en avais moi-même l'intention. Je l'acceptais donc volontiers comme compagnon de route et je me réjouissais, intérieurement, d'avoir mis la main sur cet homme au nom prédestiné. J'en augurai un voyage qui ne manquerait pas de péripéties. Nous étions encore à Omsk, il était midi ; le train ne partait que le soir. Nous avions encore une après-midi à disposer. Michel Strogoff prit congé de nous jusqu'au départ. »

«Le soir il fut exact au rendez-vous, mais il paraissait être dans un état de surexcitation peu commune. Évidemment il avait bu plus que de raison. Loquace, il raconta à mon interprète qu'il avait rencontré un bolchevik auquel il avait tiré les oreilles... !

Mais soudain, un officier suivi d’un piquet d’hommes envahit notre wagon. On somme mon Michel Strogoff de montrer son revolver. On la lui confisque et, après une vive discussion, Michel Strogoff est invité à suivre la garde. Je ne l'ai jamais revu. Mon interprète m’expliqua que Michel Strogoff, cet après-midi, avait fait signe à un izvolchik (fiacre) de s’arrêter pour le prendre. Le cocher voyant le personnage en état « d’ébriété refusa et mon Michel Strogoff avait tiré son revolver et envoyé une balle dans le bras du cocher récalcitrant. (C'est ce qu’il appelait par euphémisme tirer les oreilles à un bolchevik)».

Tulasne regrette un peu ce compagnon de voyage tout en reconnaissant qu’il aurait pu se montrer encombrant... il fait donc le trajet en chemin de fer de 600 km avec son seul interprète.

Le 1er juin 1919, deux voitures partent de Troisk pour Kizil, où le Colonel Pichon désire rencontrer le Général Biélov. Dans la première, Pichon est accompagné de son aide de camp auquel il confie une liaison avec les Postes français d'Ekaterinodar ; dans la seconde auto, le Commandant Guillaumie, qui doit rester à Orsk pour assurer la liaison avec les cosaques d'Orenbourg, et le Capitaine Tulasne chargé par le Général Janin de l'étude et la mise sur pied d'une liaison aérienne permanente entre Ekatérinodar et Omsk.

Le trajet en auto à travers la steppe par des pistes sommaires fut plein de péripéties : passages de ruisseaux ou de rivière à gué où l'on s’embourbait et ne sortait qu'à renfort d'hommes et de chevaux ; la pluie diluvienne ayant rendu la piste impraticable, il fallut même passer une nuit sous une tente kirghize.

A Orsk, les officiers se séparent, Pichon arrivera à Kizil le 9 juin et décidera de revenir par Omsk où il voulait s'entretenir avec le Général Janin.

Le Capitaine Tulasne, impatient de partir, fait aussitôt l'acquisition de deux « tarantass », l’une pour lui et son interprète et l'autre plus rustique pour les bagages. Il s’agit d’une voiture à cheval, sorte de panier en osier posé sur quatre roues par l'intermédiaire de rondins fixés aux essieux. Elle n’a pas de siège et les indigènes s'étendent de tout leur long. Tulasne a préféré y aménager un siège avec son ballot de lit de camp et matelas et des planches comme dossier.

ll emporte des vivres pour quinze jours et des armes (1 carabine, 1 fusil de chasse, 2 revolvers, 1 poignard) ainsi qu’un sauf-conduit enjoignant aux autorités des villages traversés de fournir des chevaux de relais et tout le nécessaire.

Il a choisi un itinéraire peu direct mais qui suit la vallée de l’Oural et traverse les zones contrôlées par les armées cosaques d’Orenbourg et d’Ouralsk, environ 1200 km qu'il va mettre 12 jours à parcourir. Le gibier abonde dans ces étendues de hautes herbes ou de zones humides, la chasse leur fournit une nourriture abondante agrémentée de champignons que Tulasne connaît bien.

Pour déjouer les embuscades possibles des bandes ennemies parfois distantes de 10 à 20 km seulement, Tulasne fait des étapes de nuit, modifie son itinéraire, choisit soigneusement son campement, il explique :

« Ma seule sauvegarde était dans une grande mobilité et une très grande vitesse. Au prix des plus grandes fatigues, car je couvrais parfois dans ma journée 120 verstes (126 km) en marchant 16 à 18 heures... en roulant au trop, voire au galop, ballottés et cahotés sur la piste sommaire de la steppe, par une chaleur étouffante où surgissent des mirages. Nous changions de chevaux (ou de dromadaires) à chaque village, où parfois nous attendaient des réceptions enthousiastes. Dans une de ces stanitza (village cosaques) je fus même élu « Cosaque d'Honneur ». Un diplôme signé de 26 membres me fut décerné ainsi qu'un insigne que l'ataman décrocha de sa propre poitrine ! Ce titre en outre me concédait la propriété de 50 hectares de terres à condition que je les cultive moi-même !"

La première étape le conduit, au bout d'une semaine, à Boudarine, à cent verstes (1verste =1050 m) au sud d'Ouralsk, la capitale provisoire de l'Ataman Tolstov, chef des Cosaques d'Ouralsk. Il repart de Boudarine, le 15 juin. Il lui faut cinq jours pour parcourir ces 5oo derniers kilomètres en tarantass, jusqu'à Gouriev située au bord de la Mer Caspienne, à 12 km de l'embouchure de l'Oural.

Les Cosaques d'Astrakan avaient repris cette ville « clef de l'Oural » aux Rouges au début du Printemps. Tulasne prend quelques jours de repos, après son odyssée terrestre, et en profite pour visiter les pêcheries de Gouriev, très actives en cette région particulièrement poissonneuse. Il rend compte à la Mission française d'Omsk de la situation des régions traversées et lui adresse les rapports techniques concernant plus précisément sa mission.

Comment poursuivre le voyage jusqu'à Ekatérinodar, centre de la zone la plus à l'Ouest tenue par l'Armée russe, la voie terrestre étant coupée par les rouges dans la région d'Astrakan ? Ceux-ci ont aussi des torpilleurs et des sous-marins mais la flottille anglaise les contient bien, annihilant leurs efforts.

Pour se rendre au Caucase, il reste la traversée de la Mer Caspienne en bateau. Le Commandeur anglais Norris, dont la flotte anglo-russe est ancrée au large de Gouriev lui propose de le prendre à son bord. Le transbordement se fait sur de petits canots automobiles porteurs à l'arrière d'une grosse torpille. Comme il n'y avait pas de place, on lui offrit de s'installer à cheval sur la torpille, et c'est les jambes pendantes de chaque côté dans le sillon d'eau creusé par le canot rapide que Tulasne, assez impressionné, quitta le continent asiatique ! ....

Après trois jours de traversée à bord du vaisseau amiral anglo-russe, Tulasne débarque à Petrovsk (actuelle Makhatchkala), il poursuit le voyage et s'arrête visiter le pittoresque capital du Caucase septentrional, Vladicaucase située au bord du Terek torrent impétueux descendu du Massif du Kasbek qui culmine à 5.000 mètres. La population porte des costumes pittoresques, en particulier les hommes qui "parlent fort et prenne volontiers des allures de tranche-montagne, avec leur poignard ciselé sur le ventre, leur sabre damasquiné qui ne les quitte pas, leurs étuis à cartouche barrant leur poitrine sur la longue houppelande serrée à la taille et leur seyante petite toque d'astrakan".

Tulasne arrive enfin à Ekaterinodar (actuelle Krasnodar) où se trouve le Quartier général du Général Denikine et la représentation française, les Colonels Corbel et Chardigny. Le rapport du Capitaine Tulasne précise : « A Gouriev, en juin, la visite du Commodore Norris à l'Ataman Tolstoff a donné lieu à une grande manifestation de propagande anglaise au cours de laquelle Norris fut acclamé, porté en triomphe et nommé cosaque d'honneur de l'Oural. L'armée Denikine est entièrement ravitaillée en aviation par les Anglais qui ont à Ekatérinodar la réserve générale d'avions (nombreux appareils Kammel et Haviland). A Pétrovsk se trouvent de nombreux avions anglais (Handley-Page et Haviland) n'attendant probablement que l'autorisation de Denikine pour passer à Gouriev. »

« L'état-Major du Général Denikine est composé d'officiers ancien régime n'ayant rien appris et rien oublié, dont le rêve - ils ne s'en cachent pas - est la reconstitution de la Russie d'avant-guerre au moyen d'une alliance avec l'Allemagne. Les agents allemands sont nombreux dans la Russie du Sud et agissent ouvertement. La reconnaissance de Koltchak par Denikine a produit chez eux un fort mécontentement. L'attitude de ces officiers vis à vis de la France violemment hostile, en avril et en mai, paraît être depuis lors un peu améliorée. Le mécontentement contre nous a été soigneusement entretenu par les Anglais qui en ont profité pour rendre intenable la situation de nos officiers en cette région et pour acquérir auprès de l'armée Denikine une place prépondérante. Ils ont comblé cette armée de matériel, canons, tanks, avions, lui permettant ainsi de rapides succès. »
« D'autre part, dans les milieux militaires russes, on en veut à la France de ce que la Russie n'a pas été représentée à la Conférence de la Paix, sans vouloir se rendre compte que l'état où se trouvait le pays au moment de l'ouverture de la conférence rendait cette participation impossible. Les Russes se plaignent d'avoir ainsi fait la guerre et puissamment contribué à nos victoires pour rien. Ils ne nous pardonnent pas de nous être passés d'eux pour vaincre l'Allemagne et il leur est fort pénible de nous avoir de la reconnaissance ».

François Tulasne rapporta à ses proches – à son retour – les honneurs dont il fut l'objet : Remise d'un « Sabre d'Honneur cosaque » et don de 100 hectares de terres, s'il revenait en Russie !

Puis il s'embarque à NOVOSSIISK sur un lamentable bateau russe, le « Constantin » qui ramène dans leur pays de misérables réfugiés arméniens. Le bateau fait escale dans les ports de Géorgie, Tiapche, Adler, Sotchi, et Batoum où descend Tulasne. Il goûte le charme de cette station balnéaire, mais, avec son costume de bain, il détonne un peu au milieu des Russes qui ont l'habitude de se baigner dans leur plus simple appareil ! Il embarque à Batoum sur un bateau français « l'Anatolie ». Après six jours de navigation c'est l'arrivée dans le Bosphore et l'émotion devant le décor merveilleux de la Corne d'Or.

Tulasne se présente, comme prévu au Général FRANCHET d'ESPEREY qui le reçoit de façon charmante et le dirige sur Paris pour y rendre compte de sa mission. […]

En ce mois d'août 1919, François retrouvait enfin son épouse et ses quatre enfants âgés de 6 ans à 3 ans, lourde charge pour leur Maman, pendant ces années de guerre.

Citation à l'Ordre de l'Armée par le Président du Conseil, Ministre de la Guerre :
«Le Capitaine Tulasne François, de la Mission Militaire Française en Sibérie : officier d'une rare ténacité et d'une volonté remarquable. A exécuté, du 1er juin au 6 juillet 1919, une reconnaissance dans la région Orsk-Ouralsk, Gouriev, Petrovsk, Ekaterinodar dans des conditions difficiles et dangereuses. Grâce à son intelligence et à la précision de ses observations, en a rapporté des renseignements de la plus grande utilité pour le commandement».

Le 14 janvier 1920 signé H. Mordacq(ne comporte pas l’attribution de le Croix de Guerre.)